Belle and Sebastian à la Salle Pleyel le mercredi 7 février
21h00 : la scène de Pleyel est large et profonde, mais les musiciens de Belle and Sebastian sont nombreux, qui, outre leur fameux échange perpétuel d’instruments entre les morceaux (n’oublions pas qu’ils furent pionniers en la matière, et imités par de nombreux groupes ensuite !), nous gratifient de projections en arrière-plan de photos, vidéos et montages d’ambiance particulièrement pertinents par rapport aux textes et à l’atmosphère des chansons : ça démarre très fort avec de belles images en noir et blanc d’amour et de souffrance, rythmées par des mots faisant en écho avec le texte de Nobody’s Empire. Ça semble très pro en fait, et donc assez loin de l’image que le groupe avait à ses débuts de jeunes amateurs timides et dilettantes. Je m’inquiète un peu de ne pas retrouver la vieille magie - souvent célébrée - de cette musique tremblante, fragile : on sait combien le passage des années peut dessécher le cœur, combien la maîtrise technique acquise avec l’expérience repousse les fantômes timides de l’inspiration…
J’ai tort de m’inquiéter, car très vite, il est évident que le cœur du groupe bat toujours aussi fort : est-ce la voix, régulièrement bouleversante, de Stuart Murdoch, qui lorsque les chansons lui permettent de s’épanouir, nous saisit littéralement ? Est-ce la spontanéité qui règne visiblement sur le set, et qui fait que chaque chanson ressemble à une surprise que le groupe nous fait, mais se fait aussi à lui-même ? Je pense que c’est sur The Boy Done Wrong Again, premier extrait enchanté de l’immortel "If you're feeling sinister" que je m’avoue conquis, vaincu par ce groupe que j’ai finalement sous-estimé, un peu délaissé, au fil d’albums pas toujours complètement convaincants.
Au côté de Stuart, il est visible que Stevie Jackson, dont le physique tranche d’ailleurs avec le rigorisme miniature, vaguement veggie, qui est un peu l’image de Belle and Sebastian (« Cécile Aubry, encore merci ! »), assure une belle part du show, se donnant en spectacle avec une fougue qui dépasse régulièrement ses capacités de chanteur. Rappelons donc que, même si cela en irrite beaucoup, chez nos Ecossais, chanter faux fait partie du deal, et loin de gâcher les chansons, leur confère une sorte d’amateurisme sympathique (rappelez-vous le premier album d’Aztec Camera, ou toute la discographie de Galaxie 500 : il y eut dans les années 90 une véritable élégance du chant approximatif !).
Sarah, juste devant moi, est, elle, beaucoup plus réservée derrière son clavier ou avec son violon et sa flûte, et je trouve que ce ne sera que sur la fin du set qu’elle se lâchera, et rejoindra les autres dans la douce euphorie générale
Ce qui est bien avec une discographie aussi variée s’étalant sur 20 ans, c’est que Belle and Sebastian peuvent désormais nous offrir 1 heure et 35 minutes de musique parcourant toute une gamme de sentiments, de rythmes, de genres même, sans jamais pour autant nous perdre. Bien sûr, Stuart, au four et au moulin, est un peu le Monsieur Loyal de la bande : il s’assied au bord de la scène pour chanter plus près de nous, il raconte maintes anecdotes en se débrouillant même occasionnellement en français, il va discuter avec le jeune français recruté pour la soirée pour officier à la trompette et qui fait d’ailleurs un boulot superbe, il organise manu militari une invasion de la scène pour avoir orchestrer un ballet de fans lorsque la musique se fait plus groovy ! The Party Line, qui voit Stuart nous mimer la fièvre du mercredi soir debout sur son piano, nous réjouira tous, avant un finale, rappel y compris, qui revient, très logiquement, sur les premières heures, les plus magiques, du groupe.
Ce rappel, justement, qu’on nous présente ironiquement comme improbable et non prémédité, débute par une "song on request", choisie après réflexion et délibération entre Stevie et Stuart à partir des propositions du public. Sympathique, mais quand même anecdotique par rapport à ce qui va suivre : d’abord, un Fox in the Snow tremblant qui nous rappelle le goût de nos hivers d’enfance (bien différent, avouons-le, de celui de la neige d’aujourd’hui qui nous fait rager parce qu’elle bloque nos voitures…), et puis un Get Me Away From Here, I’m Dying qui pourrait servir encore et toujours d’étendard à une rébellion de la gentillesse et de la sincérité.
Pas très rock’n’roll, j’en entends qui disent. Oh que si, mes amis : cette musique est aussi punk que celle des jeunes américains de Starcrawler la semaine dernière, aussi rebelle dans sa détermination à avancer "wearing its heart on its sleeve", comme on dit là-bas. Bien sûr, Stuart, en bon Ecossais, a évoqué la Aulde Alliance, a maudit le Brexit (et rappelé qu’il souhaitait l’indépendance de l’Ecosse… pour que le pays puisse concourir à l’Eurovision !), mais sa vraie révolte, il la portait bien comme ça, dans cette humanité si apparente qui élève les meilleures chansons de Belle and Sebastian bien au-dessus de la concurrence.
Bref, je suis ressorti de Pleyel conquis, et si le verglas envahissait de nouveau les trottoirs et les rues de la capitale, mon cœur était, lui, bien au chaud.
L'intégralité de ce compte-rendu est publié sur Benzine Magazine : https://www.benzinemag.net/2018/02/09/live-report-belle-and-sebastian-rechauffe-la-salle-pleyel-le-tepsd-un-cocnert/