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Le journal de Pok

1 mai 2024

"El Magnifico" de Ed Harcourt : amère est notre défaite devant les ravages du Temps…

Flashback (indispensable) : Il y a 23 ans, en 2001, Ed Harcourt apparaît sur la scène « pop orchestrale » mondiale avec un album immédiatement reconnu comme une réussite dans le genre, Here Be Monsters. Nominé pour le Mercury Prize, il permet au quasi-débutant qu’il est (en solo, tout du moins) de réaliser un second disque, From Every Sphere (2003) qui rencontrera un succès raisonnable, en particulier en Grande-Bretagne. Et puis les années s’écoulent, pour lui comme pour nous : se succèdent des albums plus ou moins réussis, et, avec le temps Harcourt disparaît progressivement du devant de la scène, et aussi, admettons-le, de nos mémoires. Nous voilà en 2024, et Harcourt sort El Magnifico, son onzième disque : un (petit) buzz naît, qui voudrait qu’il s’agisse là du successeur qu’on avait arrêté d’attendre à Here Be Monsters. Nous le posons sur notre platine, et dès la majestueuse introduction de 1987, il faut se pincer : non, nous ne rêvons pas, c’est… euh… magnifique. Et ça le reste à peu près tout au long des douze titres et des cinquante-trois minutes du disque.

S’il nous fallait expliquer la musique que l’on entend sur El Magnifico, nous pourrions dire qu’il s’agit d’une sorte de torrent d’émotions qui se déploient dans un univers très cinématographique (nous parlons là du format d’antan, du cinémascope, avec une image immense et des couleurs qui pètent). Comme une sorte de versant britannique aux excès des meilleurs disques d’Okkervil River, avec en plus un chant de Harcourt qui évoque plus d’une fois celui de Will Sheff : le problème avec cette comparaison est qu’il y a évidemment aussi peu de gens qui connaissent Okkervil River qu’Ed Harcourt ! Mais pour ceux qui connaissent, l’écoute d’un morceau comme My Heart Can’t Keep Up With My Mind est assez troublante, comme si Harcourt et Sheff étaient deux âmes sœurs !

1987 est une ouverture puissante, avec Ed qui se prend pour un chat, et qui nous raconte toutes les fois où il a échappé de près, de très près même à la mort, pour conclure, avec la sagesse qui vient avec l’âge : « I got five lives left, I’ll save the rest / Choose my time to die / It feels good to be with you, being alive » (Il me reste cinq vies, je vais économiser le reste / Choisir mon moment pour mourir / C’est si bon d’être avec toi, d’être en vie). Into the Loving Arms of Your Enemy bénéficie d’un refrain lumineux, et sa construction en crescendo émotionnel en fait une chanson à l’impact imparable.

Mais le titre le plus immédiatement accrocheur du disque est sans doute le très lyrique Broken Keys : il est fait pour être repris de manière extatique dans une de ces grandes salles que la popularité désormais réduite d’Ed Harcourt ne lui permet plus de remplir (pour l’instant ?). On notera que le pote Greg Dulli (de Afghan Whigs) donne un coup de main sur cette chanson superlative. Le morceau le plus touchant est peut-être The Violence of The Rose, où la fragilité tremblante du chant et les émotions froissées qui se dégage de la mélodie splendide posée sur une partie de piano quasiment classique renvoie aux grandes années d’Elvis Costello… mais la chanson qui lui succède, Ghost Ship n’est pas mal non plus, avec une jolie ascension romantique en son centre : « And now I see a ghost ship / Drifting out of reach / Baby you’re a ghost ship / Begging for release » (Et maintenant je vois un vaisseau fantôme / Dérivant hors de portée / Chérie, tu es un vaisseau fantôme / Implorant ta libération).

Si Deathless pousse avec trop d’assurance, et inutilement, dans une direction « rock », et perd de la grâce, nombreux sont ceux qui souligneront que Anvil & Hammers, avec sa mélodie simple et joueuse, a tout d’un futur classique (enfin, si le fait d’écrire de grandes chansons importait encore dans la Musique d’aujourd’hui !). At the Dead End of the World, aidé par une voix féminine bien venue, celle de Stevie Parker, est une chanson qui brise parfaitement le cœur à chaque écoute, au point qu’on hésite presque à l’écouter, même si on ne sait pas si elle nous fait trop de mal ou trop de bien : « We’re never going back to the good old days / There is a white flag when you see my face » (On ne retournera jamais au bon vieux temps / C’est un drapeau blanc que tu vois à la place de mon visage). Amère est notre défaite devant les ravages du Temps…

Les deux dernières chansons de El Magnifico sont celles de l’envol : il y a d’abord l’irrésistible Seraphina, où la voix se fait plus basse, où le tempo se ralentit, où les cordes se chargent de nous mettre les larmes aux yeux, avant un final d’une ampleur éblouissante. Et puis El Magnifico, qui s’ouvre sur des notes de guitare flamenco et a un refrain en espagnol, est notre récompense suprême : la vie et l’amour ont été une guerre à laquelle on ne saurait survivre, même si on est un féroce conquistador, et alors que se déroule le générique de fin sur une trompette nostalgique, il ne nous reste qu’à contempler le spectacle les corps sanglants, enchevêtrés, de nos rêves défaits.

Un chef d’œuvre intime et pourtant à grand spectacle.

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30 avril 2024

"FU##KIN’ UP" de Neil Young & Crazy Horse : good old rust !

Le dernier Neil Young remontait déjà 4 mois : Before + After était une promenade acoustique à travers son histoire, la revisitant tout en y affirmant une indéniable cohérence. Un bel album, même si, soyons honnête, il ne reflétait pas la part du Loner que nous préférons depuis des décennies. Dans la logique de ses allers et retours entre délicatesse acoustique et furie barbare électrique, Neil nous offre cette fois avec FU##KIN’ UP un flashback focalisé sur un seul album, le très célébré Ragged Glory (1990), purement et simplement rejoué dans un état d’esprit à la fois fidèle à l’original (un p… de torrent d’électricité) mais également beaucoup plus… relâché : au lieu de disparaître jeune pour échapper à la rouille, Neil ayant décidé qu’il était assez solide pour la combattre à mains nues, cette vieille rouille, il est dans un état d’esprit de pur « rien à foutre » – d’où le nouveau titre de ce Ragged Glory Ver 2.0. Et qu’est-ce que ça fait du bien d’écouter ça !

Expliquons quand même en quelques mots le « concept » : Neil avec son Crazy Horse au format 2024 (c’est à dire, en plus des incontournables Talbot et Molina à la rythmique plus lourde que lourde, avec le génial Nils Lofgren à la seconde guitare, mais aussi, attendez, avec aussi Micah Nelson à la… troisième guitare) rejoue les 9 (vraies) chansons de Ragged Glory (le greffon Mother Earth n’ayant évidemment pas sa place ici) dans leur ordre original, mais en les affublant de titres nouveaux (sauf Farmer John, une reprise, donc non-rebaptisable). L’interprétation, peut-être live (on entend des cris d’un potentiel public çà et là), a pour but de pousser les chansons – dans des versions rallongées pour la plupart – dans leurs dernières extrémités, à coup de guitares évidemment saturées et bruyantes, et de vocaux ne craignant aucun excès : on sait depuis quelques années que Neil n’a plus sa voix d’antan, mais il compense cette faiblesse par une expressivité sans faille, tandis que les potes autour de lui font des chœurs façons piliers de bar, et poussent même des braillements absurdes dans le fond (Farmer John est même un joyeux délire !). Âmes sensibles et adeptes de la délicatesse et du bon goût, passez votre chemin !

On pourrait évidemment râler devant le fait qu’il n’est pas trop difficile de sur-électrifier un album déjà électrique, qu’il aurait été plus audacieux d’appliquer ce traitement barbare à un classique acoustique (Harvest ? Comes a Time ? Harvest Moon ?). On pourrait souligner que ce genre de livraison trahit un affaiblissement de l’inspiration – même si les derniers albums originaux étaient bien beaux, en fait. Mais on n’a pas du tout envie de faire la fine bouche devant ces neuf titres offerts nappés d’une bonne sauce au napalm par de vieux hommes en colère et qui n’en ont plus rien à f… !

Car le plaisir est total. Car les chansons résistent à ce traitement brutal et restent belles. Car plus il avance, plus l’album, à la manière d’un véritable concert, s’élève vers l’extase, jusqu’à un A Chance on Love (Love and Only Love) qui peu figurer parmi les plus forts enregistrements du Crazy Horse. Car FU##KIN’ UP dégage encore plus d’énergie que Ragged Glory. Mais surtout car FU##KIN’ UP donne un sentiment de liberté rare, comme si l’âge s’avérait une véritable libération : plus rien à prouver, juste jouer du rock’n’roll comme si demain n’existait pas.

29 avril 2024

"Notre petit secret" d’Emily Carrington : la destruction d’une enfant

Les chiffres sont désormais connus (mais sont-ils réellement « compris » ?) : en France, 10% des enfants sont ou ont été sujets à des agressions sexuelles incestueuses ; chaque année, plus de 40.000 mineurs sont victimes de violences sexuelles. Et c’est partout pareil dans le monde, avec des pics encore plus effrayants dans certains pays et certaines cultures. Notre petit secret se passe au Canada, et on est dépaysé parce qu’il y fait froid, très froid, pendant l’hiver, et parce que ses protagonistes vivent dans la nature, dans les forêts, dans des cabanes en bois qui semblent bien précaires. Et pourtant, on n'est pas du tout dépaysé parce que l’histoire qu’on lit se passerait, se passe de manière identique juste à côté de chez nous : un ami proche de la famille profite d’une situation difficile (la mère est partie, le père, sans emploi, est totalement dépassé…) pour abuser l’adolescente de 15 ans qu’il a commencé par aider en l’hébergeant, en la nourrissant.

Emily Carrington nous raconte dans sa première BD, qui sera peut-être la seule, l’épreuve par laquelle elle est passée alors qu’elle vivait dans une misère économique et émotionnelle profonde, et que Richard, voisin et ami de son père, l’a violée pendant des mois. Elle avait 15 ans, ce qui est considéré souvent comme « l’âge du consentement », mais elle n’avait pas la maturité pour donner ce fameux consentement, et a été psychologiquement détruite par ce qui lui est arrivé.

La première moitié de Notre petit secret raconte frontalement le délabrement de la cellule familiale d’Emily, puis les abus sexuels, les viols, qu’elle a dû subir de la part de Richard. Cette centaine de pages est une véritable épreuve pour le lecteur, qui doit regarder en face une horreur qui semble finalement « lointaine » lorsqu’elle est décrite dans les journaux ou commentée aux informations. Ici, il nous faut affronter l’épouvantable, un épouvantable pourtant terriblement ordinaire.

La seconde moitié du livre semble d’abord moins convaincante : Emily nous décrit son état mental, la succession d’échecs en tous genres que sera ensuite sa vie. Elle tourne en rond dans un récit de « l’après » qui, on le comprendra, est composé au jour le jour, sans fil conducteur. Et puis elle aborde l’impossibilité d’obtenir la moindre réparation par la voix de la Justice, sans même parler de la malhonnêteté crasse de l’avocat qu’elle engage pour l’aider. Et enfin elle en arrive au seul recours possible qui lui reste pour que toute son existence massacrée n’ait pas été totalement vaine : apprendre à dessiner, et raconter son histoire. Pour se libérer elle-même de son « petit secret », pour dire aux autres qui ont vécu la même épreuve qu’ils / elles sont pas seuls / seules. Peut-être pour que son témoignage serve au moins à sauver une personne. Et finalement pour retrouver en elle-même la petite fille qui a été abandonnée dans une caverne, ou dans un no man’s land dont elle n’a pas pu s’échapper. Et pour la ramener dans une réalité qui l’air d’un jardin banal où poussent au moins quelques fruits, dans une fin bouleversante.

Faut-il être dévasté par la lecture de telles horreurs « ordinaires » ? Oui, sans aucun doute. Faut-il être réconforté par le fait que l’Art permet à ceux qui ont été aussi irrémédiablement détruits de se trouver une voix, une raison d’exister ? Absolument.

Notre petit secret n’est peut-être pas un grand livre, une grande BD. Mais sa lecture en est indispensable.

 

28 avril 2024

"Hopeless" de Kim Chang-Hoon : noir, c’est noir…

Depuis son explosion à la fin du siècle dernier, le cinéma coréen nous a épaté en faisant reculer, de film en film, les limites de ce qu’on pouvait montrer comme brutalités et comme horreurs psychologiques aussi, à l’écran, sans pour autant perdre en qualité, ridiculisant pour le coup un gros pan du cinéma US. On avait l’impression que cette course à la noirceur s’était tassée ces derniers temps, ce qui n’était pas un mal en soi. Et puis déboule Hopeless (titre parfaitement adéquat), premier film d’un certain Kim Chang-Hoon, qui a clairement décidé de faire parler de lui en nous imposant une œuvre totalement accablante.

Yeon-gyu est un lycéen issu des couches défavorisée d’une ville de province peu reluisante. A la maison, il se fait battre comme plâtre par son beau-père alcoolique. Au lycée, il est devenu la bête noire des caïds parce qu’il a défendu l’honneur sa demi-soeur, Ha-yan. Au travail – il est livreur dans un restaurant minable connu pour ses nouilles noires -, il fait la connaissance d’un enfant qui se fera à moitié tuer du fait des dettes accumulées par son misérable père. Un soir où une nouvelle correction de son beau-père le laisse défiguré, il rejoint les rangs d’une bande de truands minables, trafiquants de motos volées et usuriers, menés par un chef énigmatique qui se prend d’affection pour lui. A partir de là, tout va aller encore plus mal (oui, c’est possible)…

Plutôt mal reçu à Cannes du fait de sa longueur excessive par rapport à un scénario finalement assez simple et prévisible (mais souvent fatiguant par les allers et retours de son héros égaré, hésitant en permanence entre une vie criminelle et d’évidentes préoccupations morales), Hopeless a été remonté et coupé d’une dizaine de minutes, ce qui a pour effet de le rendre surtout moins compréhensible : nombre de péripéties ou de décisions de Yeon-gyu apparaissent assez obscures pour le coup… même si cette construction énigmatique, conjuguée à un joli savoir-faire de mise en scène (… surtout pour un premier film) génèrent finalement un certain intérêt pour un film qui, sinon, semblerait surtout une accumulation exagérée de problèmes sociétaux et de rebondissements catastrophiques de sa partie « thriller ».

Bien entendu, comme dans tout thriller coréen, l’habituelle absence d’armes à feu, remplacées par des battes de base ball, des couteaux et des instruments contondants et tranchants en tous genre (on appréciera l’usage du sac en plastique rempli de vis et de clous, de la tenaille, et du massicot !) nous vaut une série de scènes difficilement supportables à l’écran, même pour les plus blasés. On peut néanmoins difficilement juger que cet extrémisme sanglant est une qualité de Hopeless… Par contre, il faut admettre que quelque chose de troublant subsiste derrière le désespoir poisseux et la violence extrême : les liens entre Yeon-gyu et Ha-yan, mais surtout entre Yeon-gyu et le très charismatique Chi-geon (superbe interprétation de Song Joong-Ki), nourris par une ambiguïté permanente, jamais franchement explicités (et c’est tant mieux), font naître régulièrement une émotion intense qui est le meilleur du film.

On conseillera donc à Kim Chang-Hoon de poursuivre plutôt sur cette voie de la peinture des sentiments complexes plutôt que de continuer à nous assommer avec un univers plus noir que noir.

27 avril 2024

"Crooks" de Benjamin Hessler, Marvin Kren et Georg Lippert : foisonnante et pittoresque…

Puisque nous avons vu plusieurs séries allemandes de bonne, voire de très bonne facture, pourquoi ne pas faire confiance à l’algorithme de Netflix, qui nous recommande le visionnage de ce Crooks, thriller et film d’action d’Outre Rhin ? Mais bien entendu, les choses ne sont pas si simples que ça : dès le début du premier épisode, on se rend compte que, derrière un habillage « à la Tarantino » (foule de personnages pittoresques, scènes extrêmes, second degré apparaissant occasionnellement) Marvin Kren, Benjamin Hessler et Georg Lippert nous vendent du tout-venant du polar classique : cette histoire d’un malfrat retiré des affaires et devenu honnête serrurier par amour, retournant pourtant faire « un dernier coup », qui va évidemment mal tourner et mettre en péril la vie de famille tranquille qu’il s’est construite, on a dû la voir des dizaines de fois déjà !

Heureusement, Crooks a d’autres choses plus marrantes, plus intéressantes à nous montrer, à commencer par son second personnage principal, Joseph, obèse à la force herculéenne mais cœur d’artichaud, souffrant comme un damné parce que son géniteur – le big boss de la mafia viennoise – n’a jamais voulu le reconnaître. Complètement en dehors des radars, interprété de manière truculente par un Christoph F. Krutzler inconnu chez nous, c’est un personnage qui vole toutes les scènes (heureusement nombreuses) où il apparaît ! Et puis, oui, le scénario de Crooks a cela de particulier, de différent, qu’il avance à un rythme effréné, parfois au prix de la vraisemblance de certaines situations. La série semble avoir toujours une longueur d’avance sur ce que nous attendons, nous surprenant par la multitude de tours et de détours qu’empruntent ses personnages, principaux ou secondaires (et il y en a beaucoup), tous pittoresques et plutôt bien croqués.

Débuté entre Berlin et Vienne, Crooks se délocalise rapidement en Italie, puis à Marseille, où une bonne partie de l’action va se passer, alors que nos héros se trouvent pris en sandwich dans une guerre entre gangs marseillais et truands corses. Il est certain que ce n’est pas cette série qui va redorer l’image la cité phocéenne, vu la peinture des quartiers Nord qui y est faite, mais, à condition ne pas prendre tout ça au sérieux, les multiples rebondissements et la fantaisie des personnages placent finalement Crooks dans la catégorie des bons divertissements.

Cela ne veut pas dire que tout soit réussi, et chacun aura sa liste de choses qui rompent le pacte de suspension consentie d’incrédulité : disons que de notre côté, on aura eu du mal à gober le manque de sérieux de la policière berlinoise, et l’amateurisme du chef des gangs marseillais – plus clown que truand. On aura aussi regretté l’épisode final assez bizarre du faux « casse » pour récupérer la coke des Corses saisie par la police marseillaise.

Et puis, quand même, l’idée de conclure Crooks sur la promesse d’une seconde saison tournant autour la pièce inestimable servant de McGuffin à toute l’histoire ne nous enthousiasme pas plus que ça…

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26 avril 2024

"A Kingdom in a Cul-de-Sac" de Ha the Unclear : débarquement néo-zélandais

L’année dernière, la découverte de Handprint Negatives, le premier Ep publié en France (en Europe…) des Néo-Zélandais de Ha the Unclear s’avérait l’une des plus belles surprises de 2023. On y découvrait des zinzins produisant une musique qui ne ressemblait à pas grand chose. Un an plus tard, une tentative plus « sérieuse » de débarquement, ou plutôt de reconnaissance par chez nous se matérialise avec ce « premier » album joliment nommé, avec un sens de la modestie (de l’auto-dérision) qui caractérise leur leader, Michael Cathro, A Kingdom in a Cul-de-Sac.

Soyons néanmoins précis pour éviter tout malentendu, il ne s’agit pas complètement d’un nouvel album de la part d’un groupe qui en a déjà publié deux – assez confidentiels – en Nouvelle-Zélande : Bacterium, Look At Your Motor Go (2014) et Invisible Lines (2018). On va parler plutôt d’une compilation d’anciens et de nouveaux titres qui puisse offrir au public français / européen une vision à peu près exhaustive de la musique d’un groupe qui a un talent foudroyant pour partir dans tous les sens. On retrouve d’abord les 5 titres merveilleux déjà compilés sur Handprint Negatives, sur lesquels on ne reviendra pas ici, vu l’enthousiasme débordant qu’on a manifesté à leur propos il y a un an. Mais pas de panique ! Il reste sept titres à découvrir : trois anciennes, dont l’efficace Wallace Line, datant de 2018, qui a tout d’un tube, et quatre toutes nouvelles chansons, qui, tout en restant dans le même ton (mais quel ton ?), balaient un spectre musical hallucinant, et touchent à chaque fois juste au centre de la cible : notre cœur.

Pour comprendre un peu mieux toute cette histoire, dont la complexité tranche avec la limpidité et l’évidence absolue de la musique de A Kingdom in a Cul-de-Sac, on a pu rencontrer Michael Cathro, originaire de la fameuse ville de Dunedin (le centre de la musique néo-zélandaise de la « grande époque »), au lendemain du concert au Supersonic. « Au début, j’ai commencé tout seul dans ma chambre, j’ai réalisé un premier EP, auto-produit, puis je me suis dit, bon il faut que je joue ces chansons sur scène, il me faut un groupe. On a démarré en 2011 de manière très organique, avec une batterie qui est était juste un carton, avec une pelle comme caisse claire ; on jouait dans les cafés, mais les chansons devenaient plus complexes, on a rajouté de la guitare. Mon style d’origine, c’était plutôt de l’anti-folk, comme les Moldy Peaches, cette scène new-yorkaise avec cette merveilleuse (fausse) naïveté, Adam Green, etc. C’était une façon aisée de débuter dans la musique, mais sur les deux albums que nous avons fait, j’ai cherché des arrangements plus complexes. Il y a eu des changements de musiciens avec le temps, mais la plupart du temps avec mon frère Paul à la basse. On a un nouveau batteur, mais la formation est stable maintenant avec Theo, à la guitare qui est là depuis un bon moment. »

Même si, quand on joue au jeu des influences à propos de la musique de Ha The Unclear, on est sûr de perdre, on note un soupçon du fameux Dunedin Sound, comme dans la belle cavalcade de Fish. Michael : « Oui, ces groupes [du Dunedin Sound] sont toujours influents, et toujours actifs, on a joué avec The Chills l’année dernière ! Chris Knox vit juste à côté de là où je travaille, il a eu une attaque, malheureusement, il n’est plus mobile, mais il a toujours le même esprit !« .

Avec cet album volontairement conçu comme une carte de visite, on est à nouveau frappés par la versatilité de Ha The Unclear, par le fait que chacune des chansons semble partir dans une direction différente, explorer une autre manière de faire de la musique. Michael est très clair sur ce sujet : « Je m’ennuie très vite, et il est difficile de nos jours de trouver des groupes qui se différencient réellement de tout ce qui a déjà été fait. Je cite par exemple Parquet Courts qui réussissent ça… ce truc unique. Personnellement, je ne peux pas écrire la même chanson deux fois, si je recherche une atmosphère similaire à une de mes chansons précédentes, je me dis : « Non, je l’ai déjà fait ! ». C’est comme revoir le même film une deuxième fois, ça m’ennuie, je connais déjà l’histoire ! Chacune de mes chansons doit être unique, j’en ai besoin pour me sentir excité par ce que je fais ! »

A propos de Strangers, qu’on pourrait réduire à l’histoire d’un coup de foudre (potentiel) dans un ascenseur, Michael explique : « Je viens de terminer des études sur le travail du philosophe français Gilles Deleuze et le concept de connexion chaotique, et je pense que ça a commencé à influencer mon écriture. Strangers, c’est moi qui imagine quelle serait la dynamique que je pourrais avoir des gens avec lesquels je partage du temps dans l’ascenseur, dans le métro, ou simplement des gens croisés dans la rue… Ces micro-interactions sont fascinantes… »

Et puis il y a cette étonnante version déconstruire du tube des Rita Mitsouko, dont on ne reconnait que des fragments de paroles en français au milieu d’une réappropriation totale par Ha the Unclear : « C’est Comme Ça est une chanson que nous adorons, ça ne dénote pas particulièrement de notre part un amour de la France (rires). Non, c’est juste un morceau tellement unique, avec des vocaux fantastiques. 

La délicate et (faussement) dépouillée Infatuated est l’une des nouvelles chansons qui nous touchent le plus, tant elle dégage un sentiment de naïveté, de pureté dans l’expression des sentiments, de fragilité : « Quand on a démarré, il y avait chez nous cette approche de faire du bruit avec des guitares acoustiques, mais pas avec un accent américain comme on a tendance à faire au début, plutôt notre accent à nous. Mais il y a chez nous une vraie fragilité. J’essaie très fort d’exprimer des choses extrêmement intimes avec des mots qui soient compréhensibles aux autres« . Mais la mélodie prend ensuite son essor et la chanson s’élève vers les cieux. Et la magie se reproduit avec la merveilleuse conclusion de l’album, Mind and Matter, tout simplement bouleversante.

Quel est donc le secret de Ha the Unclear ? Michael a une réponse, même s’il a l’intelligence d’être tout sauf péremptoire : « Je fais attention quand j’écris une chanson de ne pas vouloir être tellement universel qu’au final tout est dilué, que je ne dis plus rien de significatif. La spécificité établit plus de connexions avec les autres que l’universalisme. La description d’expériences personnelles, spécifiques, est un défi immense, avec la contrainte des mots. Et il faut éviter la pensée binaire, bon / mauvais, qui nous limite tellement… »

Spécificité et ambigüité, sincérité et versatilité, des qualités rares dans le Rock, qui rendent la musique de Ha the Unclear étonnante. Et puis, quand même, un incroyable talent pour écrire des mélodies fantastiques !

Cette chronique inclut des propos de Michael Cathro enregistrés lors de l’interview qu’il nous a accordé le 19 avril.

25 avril 2024

"Sky Dome 2123" de Tibor Bánóczki et Sarolta Szabó : travail de deuil et évolution…

Même si l’on appelle de nos vœux le développement d’une véritable SF adulte sur nos écrans, à l’image de la littérature de genre – qui connaît une véritable nouvelle époque dorée en Asie -, l’influence néfaste de la vision US de ce que doit être un spectacle populaire (commercial) se fait toujours autant sentir. Sky Dome 2123 (« Ciel en plastique » de son titre original, en hongrois) est l’une des premières véritables réussites européennes de cinéma de SF adulte depuis des années (même si on peut évidemment relever quelques belles velléités de s’affranchir des codes US dans le récent Mars Express, par exemple). Et ce n’est certainement pas un hasard si Sky Dome 2123 nous vient d’Europe Centrale, où (l’on imagine que) il existe toujours une riche culture séculaire d’une pensée artistique « non occidentalisée » (non soumise aux codes hollywoodiens)… Et où Tarkovski (celui de Solaris et de Stalker) est une référence bien plus pertinente que Ridley Scott !

Car ce que Sky Dome 2123 nous propose, avant tout, c’est une magnifique histoire d’amour et de deuil au sein d’un couple dévasté par la mort de leur enfant… mais également une réflexion subtile sur la nécessité pour l’Homme de faire le deuil de sa propre Histoire, de ses ambitions délirantes, pour permettre à l’évolution de se poursuivre sur une planète elle-même dévastée par l’activité humaine. Sans jamais avoir recours à l’action, à la violence ou au thriller – la seule scène de tension, une poursuite en camions, ne dure qu’une paire de minutes sur un film qui en fait 112 -, Sky Dome 2123 est une fable quasi métaphysique, en particulier dans sa conclusion, qui n’oublie jamais de s’appuyer sur les plus humains des sentiments, mais également les plus ténues et subtiles des sensations.

Bien entendu, Sky Dome 2123 demandera aux adeptes du genre dans sa forme traditionnelle une patience qu’ils trouveront sans doute difficile de lui accorder. Par rapport à l’investissement financier et humain que représente sa création, on peut craindre que le retour commercial du film soit très insuffisant : peu supporté par les médias qui ont certainement du mal à promouvoir un film aussi « hors normes », aussi lent et dénué de conflits autres que psychologiques et moraux, ne bénéficiant pas du support d’une population jeune et geek comme le cinéma d’animation japonais, et qui plus est dissimulé derrière une affiche laide et passe-partout, Sky Dome 2123 sera-t-il même vu ?

La question de l’esthétique est évidemment au cœur d’un film attaché à décrire les paysages extrêmes d’une Terre rendue stérile par la pollution, mais aussi l’atmosphère artificielle de la vie menée par les rares survivants réfugiés sous un gigantesque dôme « de plastique ». Sky Dome 2123 est généreux en images magnifiques, en dépit de la tristesse – parfois oppressante – qui se dégage de ces peintures de désolation. Pour les personnages, le choix de Tibor Bánóczki et Sarolta Szabó s’est orienté vers la technologie généralement décriée de la rotoscopie : si cette dernière nuit à l’esthétique générale, créant un conflit permanent entre des personnages « à plat » et un fond en CGI (elle-même parfois maladroite dans certaines scènes), elle a permis au film d’intégrer de manière inhabituel – et exemplaire – une subtilité psychologique, une « humanité » réaliste qui ne peut venir que du jeu d’acteurs. Zsófia Szamosi et surtout Tamás Keresztes nous offrent une interprétation de haut niveau, qui participe beaucoup à l’émotion puissante que dégage le film.

A la fois bouleversant et politiquement très clair (la profonde « nocivité » de l’espèce humaine n’y est jamais excusée), Sky Dome 2123 est un grand film de Science-fiction moderne.

23 avril 2024

"Les derniers jours de Robert Johnson" de Frantz Duchazeau : mourir à 27 ans…

Le 16 août 1938, mourrait tragiquement Robert Johnson, l’un des plus grands musiciens du Blues, peut-être même l’un des créateurs essentiels à la définition de ce que le Blues sera (et à la manière dont il irriguera ensuite le rock’n’roll) : empoisonné par un mari jaloux de ce séducteur impénitent ? Victime d’une vie – courte, il n’avait que 27 ans ! – d’excès et d’abus ? On ne le saura jamais. La légende veut que son génie, immédiatement saisissant, renversant tous ceux qui l’écoutaient (… et lui permettant donc de séduire n’importe quelle femme qui croisait son chemin), ait été le résultat d’un pacte avec le Diable à un légendaire carrefour. La réalité est que Bob Johnson fut le premier membre du triste « Club des 27 », composé de ces musiciens exceptionnels emportés à l’âge fatidique de 27 ans, et qui compte – on le sait – Jimi Hendrix, Janis Joplin, Brian Jones, Jim Morrison, Kurt Cobain, Amy Winehouse

Frantz Duchazeau, créateur de BDs et amoureux de musique, avait déjà tourné autour de Johnson avec un livre sur Meteor Slim, et consacre cette fois les 240 pages de son Les derniers jours de Robert Johnson aux… derniers jours de Robert Johnson : car, de manière cruellement ironique, Johnson mourra sur la route, ignorant que sa célébrité avait dépassé les frontières du Deep South, et que deux hommes (blancs, pas forcément les bienvenus dans ces coins-là !) le cherchaient pour en faire la vedette d’un événement musical au Carnegie Hall de New York. Ces fameux derniers jours de juillet et août 1938, il les consacrera – comme pas mal des précédents – à errer dans la campagne, à chanter pour quelques dollars dans tous les bleds qu’il traversait, à séduire des jolies filles – noire ou blanches, il n’était pas raciste ! – et à s’enivrer chaque nuit, avant ou après un échange de coups de poing avec ceux que son « arrogance » (et / ou son talent) irritait. Tout cela dans un Sud violemment raciste, où le lynchage était une menace permanente pour un vagabond à la peau noire comme lui.

Duchazeau transperce son « road movie » de quelques flashbacks douloureux – et bouleversants – évoquant l’enfance difficile de Bob, son apprentissage de la musique, sa tragique histoire d’amour,… tout ce qui nourrira sa Musique, et en fera un Art de pur génie. Et il tente même de relever le défi, non sans panache, de représenter dans certaines cases l’effet de sa musique sur ses auditeurs… Tout cela dans un style graphique magnifique, un dessin charbonneux, exprimant une énergie, un dynamisme du mouvement, une force expressionniste hors du commun… qui rend la contemplation de chaque page inévitable : la forme, superbe, fait parfaitement écho au contenu. La seule (petite) réserve que l’on pourrait exprimer est que Duchazeau est l’un de ces dessinateurs qui ne réussissent pas toujours à différencier clairement les visages des différents protagonistes, que le lecteur reconnaîtra plus à leurs vêtements…

Quant à la fameuse « malédiction » de Johnson, Duchazeau, très intelligemment, évite le cliché, et en fait un non-sujet en nous en proposant plutôt une version psychanalytique, qui ne manque pas de sel !

… Et pourtant, il se pourrait bien que cette malédiction continue à rôder, puisque le mercredi 14 juin 2023, les planches originales sont dérobées au coursier qui les apporte à l’impression : cette disparition désastreuse dévaste évidemment Duchazeau, qui voit 3 ans de travail s’envoler littéralement… Heureusement, le voleur repenti (et sans doute pas fan de Bande Dessinée) restitue les planches, permettant à cette œuvre remarquable de voir le jour, pour célébrer l’exceptionnel talent de Robert Johnson. Et peut-être, espérons-le, pour qu’il soit découvert par de nouvelles générations.

PS : A noter aussi que l’œuvre de Duchazeau ne fait pas l’unanimité aux USA, et qu’elle ne pourra pas y être diffusée du fait des protestations d’on ne sait quels groupes de gens offensés par le réalisme de la description de la vie quotidienne dans les états du Sud des années trente. La malédiction continue !

 

22 avril 2024

"Rebel Moon : Partie 2 – l’entailleuse" de Zack Snyder : le pire est toujours possible…

Ecrire à propos d’une expérience aussi désastreuse que le visionnage de la seconde partie du Rebel Moon de Zach Snyder pose un certain nombre de défis. Le premier est la question – fondamentale – de l’utilité d’une telle « critique », puisque les fans de Zach Snyder continueront sans doute à clamer qu’on ne comprend rien au génie de leur héros, tandis que la partie la plus raisonnable des cinéphiles aura de toute manière abandonné depuis longtemps le visionnage des films de Snyder, et aura eu, après la débâcle de la première partie, peu de raison de perdre deux heures de plus de sa vie devant L’entailleuse, la suite de Rebel Moon - Enfant de feu... La suite, et a priori, pas la fin, puisque la conclusion du film laisse entendre que d’autres volets de l’épopée (rires) sont possibles (à moins que les financiers de Netflix ne débranchent l’alimentation de la pompe (à fric) maintenant en vie un patient désormais en coma dépassé.

Le second défi, puisqu’on a décidé de poursuivre, est comment – et pourquoi – ne pas juste répéter ce qu’on a écrit il y a quatre mois seulement sur Enfant de feu ? La copie / le plagiat des 7 samouraïs de Kurosawa, la reproduction juste moins enfantine des concepts de Star Wars, les travers habituels du « metteur en scène » Snyder, et toutes ces choses qui font de Rebel Moon un véritable désastre. Oui, quelque part, pas meilleur, voire pire que ce que la maison Disney a fait de Star Wars, mais dans un registre différent, plus bruyant, plus démonstratif, et finalement encore moins sympathique.

La construction de cette seconde partie est la même que celle de la première, en pire : le début, avec les paysans désirant protéger leur récolte des prédateurs de l’empire, est encore plus lent et moins intéressant. Sir Anthony Hopkins n’est pas là cette fois pour faire diversion (il ne reviendra à la fin qu’en ridicule super-héros marvelien !), et on a droit aux confessions pleines de clichés de chacun de nos mercenaires, qui ne servent sans doute qu’à nous faire « rêver » à toutes les autres planètes que l’univers de Rebel Moon nous fera visiter dans de futurs épisodes. On a droit aussi à l’entraînement « militaire » de quelques heures qui fera d’une bande de villageois des soldats plus aguerris que les soldats professionnels qui les attaqueront dans deux ou trois jours (sans même parler de leur capacité de creuser quasi instantanément un réseau de tranchées digne de ceux ce nos poilus en 14-18). Et puis à la fin, tout le monde danse sur de la musique celte, car il est établi par les mâles blancs états-uniens qu’une population du futur ne saurait avoir conservé du passé que les saines valeurs culturelles du l’Europe du Nord (bon, on ment, il y aussi ce bon Djimon Hounsou – d’ailleurs le seul à essayer de faire un travail d’acteur au milieu de la débandade générale – qui nous récite une incantation africaine, ou quelque chose du genre).

Et puis, ensuite, quand les vaisseaux de la flotte ennemie, qui fonctionnent au diesel et au charbon, finissent par arriver, on a droit au gros baston, qui se passe largement au ralenti, et qui verra les bons triompher, sans surprise, des méchants, au prix de la mort de quelques uns d’entre eux quand même. Dans ce gros baston, certes spectaculaire par instants – on aimera bien le duel final du grand méchant nazi avec la grande gentille d’origine nord africaine, qui se déroule au long d’une interminable chute -, on ne prendra même plus garde aux invraisemblances qui se ramassent à la pelle, ni aux idées déjà mille fois vues et revues, en mieux souvent, ailleurs. Et tout au long de ces deux heures – qui, dieu merci, n’en font pas trois -, on n’arrêtera pas de se poser la grande question : "Mais pourquoi un empire envoie-t-il une flotte et une armée à des années lumières juste pour ramasser quelques sacs de blé produits par des pouilleux sur une lune sans intérêt ?".

Mais le pire n’est pas que cette seconde partie de Rebel Moon soit aussi calamiteuse (moins spectaculaire, moins originale encore que la première), mais qu’il pourrait bien y avoir des suites au programme !

21 avril 2024

"Fallout" de Geneva Robertson-Dworet et Graham Wagner : mélange de genres instable…

On se souvient comment HBO a ramassé le jackpot avec sa brillante adaptation du jeu vidéo The Last of Us, et les cadres des studios Amazon en sont certainement restés verts de jalousie. Quelqu’un, lors d’une réunion marketing, a alors eu une idée géniale : puisque le plus grand succès de la maison dans le genre Sci-Fi est incontestablement The Boys, pourquoi ne pas imaginer une version série d’un autre jeu populaire, Fallout, qui ratisse le mise en adaptant le récit post-apo aux codes « gonzo » qui ont si bien marché pour The Boys ? Les cadres sont convaincus, ils votent en faveur de l’idée, et quelques mois plus tard, le verdict populaire… leur donne raison. Même les critiques semblent emballées par ce mélange de science-fiction, de thriller, de gore et d’activisme anti-capitaliste (une veine politique que la compagnie de Jeff Bezos exploite avec un visible délice…). Tout va donc pour le mieux, mais on est en droit de penser que Fallout n’est pas la réussite – hormis commerciale – célébrée un peu partout…

L’histoire paraît simple, mais – et c’est une indéniable qualité de Fallout – elle est beaucoup plus retorse qu’il n’y parait : la guerre nucléaire ayant été finalement déclenchée entre les USA et les « Rouges » durant les années 60, un certain nombre de privilégiés ont pu trouver refuge dans des « vaults », abris anti-nucléaires développés et construits peu de temps avant l’holocauste. 200 ans plus tard, les résidents de l’un ces « vaults » sont attaqués par des pillards venus de la surface, et Lucy se voit contrainte de quitter la sécurité de son environnement confiné pour aller chercher son père kidnappé. Ce qu’elle va découvrir, « à la surface » n’est pas exactement conforme à ce qu’elle attendait, et va remettre en question la totalité de ce qu’elle croit savoir…

Après une très belle introduction du personnage de Cooper Howard (Walton Googins, excellentissime, est l’une des grandes raisons de regarder Fallout, et c’est un bonheur de le retrouver des années après The Shield !) et de l’apocalypse nucléaire, on découvre dans le premier épisode le monde étrange des « vaults » (qui ne sont pas sans rappeler l’univers de Silo !). Et puis tout se délite, pour notre plus grand plaisir… jusqu’à une drôle de scène mi-western spaghetti, mi-film d’horreur de série Z, qui semble venir là comme un cheveu sur la soupe. On va alors réaliser que Geneva Robertson-Dworet et Graham Wagner nous ont concocté un drôle de potage aux grumeaux bien sanglants et à l’humour potache, qu’on va avoir du mal à ingérer : le mélange de genres, qui, il est vrai, fonctionne bien dans The Boys, a ici bien du mal à prendre. Est-ce dû en particulier à la production et à la réalisation de 3 épisodes de l’inénarrable Jonathan Nolan, déjà responsable de la catastrophe Westworld ? Ou bien est-ce tout simplement trop difficile de faire cohabiter dans une seule série une intrigue politique « sérieuse » et complexe, des scènes spectaculaires de SF rétrofuturiste (aux effets spéciaux néanmoins irréguliers), de la comédie burlesque et du gore sans limites ?

Qui plus est, l’une des grosses faiblesses de Fallout est ses personnages, qui, à l’exception de Cooper Howard / la goule, oscillent en permanence entre bouffonnerie et sérieux, et tendent à la caricature. Il faut ainsi plusieurs épisodes pour qu’Ella Purnell, d’abord oie blanche irritante, trouve le ton juste convenant à Lucy… Une solution qui échappera toujours à Aaron Moten, incapable de rendre son Maximus crédible !

Le meilleur dans Fallout réside dans les flashbacks où l’on voit Cooper Howard découvrir peu à peu les cuisines peu ragoûtantes de la grande entreprise où sa femme réussit professionnellement, et l’idéologie extrémiste d’un capitalisme ne reculant devant rien pour satisfaire ses actionnaires. Pour le reste, on en est réduit à osciller entre adhésion et répulsion, en passant par un stade fréquent d’irritation devant un scénario qui n’hésite pas à accumuler les invraisemblances (peut-être acceptables en jeu vidéo, mais beaucoup moins l’écran, comme ces fameuses potions magiques régénérant miraculeusement les joueurs… pardon, les personnages).

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