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Le journal de Pok

11 mai 2025

"Le dôme de verre" de Camilla Läckberg : la routine du (bon) polar scandinave

Disparitions angoissantes d’enfants dans les paysages glaciaux et désolés de la Suède, serial killers et copycats, drames familiaux et secrets enfouis au sein d’une petite communauté renfermée sur elle-même, menace sur l’écosystème surgie de l’exploitation peu professionnelle d’une mine, racisme plus ou mois décomplexé de la population vis à vis des émigrés qui ont mieux réussi, atmosphère sombre et profondément déprimante, enquêtrice assaillie par les traumatismes de sa petite enfance qui interfèrent avec le présent, et puis une succession de coupables potentiels au fil des épisodes / chapitres, pour en arriver à la fin à une révélation sinon surprenante, mais tout au moins cruelle. On tient là, sans nul doute, une liste d’ingrédients classiques – voire désormais convenus – du polar scandinave, qui règne quasiment sans partage au sommet des ventes de livres populaires depuis plus de deux décennies…

Même quand on est, comme nous, fans du genre, il faut bien reconnaître qu’il a atteint une sorte de « plafond de verre », et qu’il nous donne de plus en plus le sentiment de tourner en rond, voire de s’épuiser. En attendant peut-être un nouveau Jo Nesbø ou un nouveau Stieg Larsson, qui le relanceraient, le polar scandinave ronronne : il continue à nous distraire, mais ne nous surprend plus guère. Et la situation est sans doute pire encore dans le cinéma ou la série TV : on a du mal à se souvenir aujourd’hui des frissons et du bonheur apportés par les visionnages de The Killing ou de Bron. Et on ne peut guère éviter une sensation de routine devant le Dôme de verre, la dernière production suédoise proposée par Netflix, pourtant signée par Camilla Läckberg, une autrice non négligeable elle-même.

Il serait néanmoins dommage de ne pas s’offrir une petite promenade le long de ces 6 épisodes de 45 minutes, qui tournent autour du retour dans sa ville natale d’une criminologue suédoise ayant réussi une carrière aux USA, se trouvant confrontée à la mort d’une amie et à l’enlèvement de la fille de celle-ci… Un double drame qui va la forcer à affronter un traumatisme similaire de sa propre enfance. Evidemment, et cela fait partie des choses trop prévisibles du Dôme de verre, les événements du présent et ceux du passé sont liés, jusqu’à une douloureuse révélation finale… que certains auront sans doute vue venir, mais qui reste perturbante… Grâce à un dernier épisode émotionnellement fort, qui relève le niveau de la série.

Les téléspectateurs les plus impatients déploreront sans doute la relative lenteur du développement de l’intrigue, mais on a envie de leur rétorquer que c’est également cette attention aux détails, ce focus sur la psychologie des personnages, cette étude fine du fonctionnement d’un microcosme social qui constituent la force d’un bon polar scandinave. Et que l’interprétation offerte par le trio central Léonie Vincent, Johan Hedenberg, et Johan Rheborg est assez solide pour porter les passages à vide de l’histoire.

Bref, les passionnés du polar scandinave ne devraient pas se priver du plaisir qu’offre cette minisérie, qui certes ne les surprendra pas, mais les séduira par son sérieux et sa qualité. Pour les autres, peut-être vaut-il mieux en effet qu’ils passent leur chemin.

10 mai 2025

"the world is still here and so are we" de mclusky : la colère est une énergie !

On pourrait commencer sur un registre informatif, du genre : « après plus de deux décennies d’absence, le groupe gallois mclusky revient avec un quatrième album qui allie l’énergie brute de leurs débuts à une maturité nouvellement acquise. Composé de 13 titres de 2 à 3 minutes pour un total dépassant à peine la demi-heure, the world is still here and so are we est un concentré de noise punk mordant et d’humour acide. » Mais ça n’avancerait pas à grand chose, étant donné que la probabilité que ceux qui nous lisent aient écouté mclusky avant le 7 janvier 2005, date de leur séparation, est redoutablement basse. Alors présentons d’abord mclusky comme s’il s’agissait d’un tout nouveau groupe : voici un « power trio », très en colère, constitué de Andy « Falco » Falkous (guitariste et chanteur), Jack Egglestone (batteur) et Damien Sayell (bassiste et chanteur), qui jouent un rock punk sans compromis, mais également très ambitieux et très intelligent – on retrouve chez eux des échos du chant de Johnny Rotten / John Lydon, mais également de la démarche d’un Mark E. Smith (The Fall). L’idée est de pogoter en enrageant littéralement, mais sans jamais perdre un sens de l’humour qui est l’un des modes de défense / de rébellion les plus rares et précieux qui soient en 2025.

Ce que réussit de manière unique ce the world is still here and so are we est d’exprimer et le chaos du monde, et notre colère face à lui, sans avoir à trancher entre l’intellectualisme évident de la démarche de mclusky et le sentiment troublant que tout cela n’est… qu’une vaste blague. Car chaque chanson sur ce disque est, comme l’a souligné un critique britannique, « un espace contradictoire dans lesquels le désespoir et la colère sont tenus à distance par une perspective, vide, et un humour, noir. » Pas mal, non ?

Dès le morceau d’ouverture, unpopular parts of a pig, déjà sorti sur un EP, mclusky affichent leur style : des guitares abrasives mais dissonantes, une basse saturée et une batterie qui percute la boîte crânienne. Des vocaux combinant parodie ironique et crises de rage épileptique. Et puis ces paroles impayables : « « Delicate seeds come from delicate flowers » / That was the horseshit she fed me for hours » (« Les graines délicates proviennent de fleurs délicates » / C’était la merde qu’elle m’a servie pendant des heures), puis « There was blood, of course; there always is / I’d recommend a shower if you want to hug the kids » (Il y avait du sang, bien sûr ; il y en a toujours / Je recommanderais une douche si vous voulez serrer les enfants dans vos bras). La grosse claque, mais hésitant entre rires et larmes. Cops and coppers présente ensuite une sorte de backbeat rappelant l’adoption des codes reggae par les punks londoniens en 1977, mais qui sonne comme si The Clash avaient été des fans ultimes des films Blumhouse. Way of the exploding dickhead, très hardcore dans son approche, déploie toutefois une violence tendant vers la caricature, quand on la met en perspective avec l’ironie cinglante des paroles (« Jerks prefer jerks for sure / I’m sorry, but you know it’s true / ‘Cause jerks prefer jerks like you » – Les imbéciles préfèrent les imbéciles, c’est sûr / Je suis désolé, mais tu sais que c’est vrai / Parce que les imbéciles préfèrent les imbéciles comme toi). Sauf que la conclusion de la chanson rappelle que cette rage-là est tout à fait sérieuse : « Your politicians will never… » Complétez par ce qui vous déçoit le plus aujourd’hui dans la politique, et répétez-le jusqu’à épuisement.

Après un the battle of los angelsea un peu moins intense que les trois tueries d’ouverture du disque, People person retrouve la classe totale, déployant une verve satirique exceptionnelle (« According to your fucking dad / A lot of peoplе like their heroеs bald and fat » – D’après ton putain de père / Beaucoup de gens aiment leurs héros chauves et gros…, soit peut-être LA phrase la plus hilarante et la plus mémorable de l’album) sur un rythme lourd et spectaculaire, et sur une guitare en fusion. Très très fort !

The competent horse thief offre une pause presque mid tempo (mais un mid tempo absurde et déglingué), presque pop (mais une pop vicieuse), avec un chant rappelant – notons combien c’est redevenu pertinent de les citer – les XTC des deux premiers albums. Kafka-esque novelist franz kafka est la chanson la plus rapide, la plus sauvage, la plus chaotique du disque, garantissant des moments de danger physique dans les moshpits durant les concerts… On reste néanmoins totalement dans la schizophrénie qui imprègne tout l’album : peut-être que, en fait, tout cela serait trop insupportable si la violence n’était pas tempérée par un immense sentiment d’absurdité et par la nécessité de faire œuvre de critique sociale pertinente.

The digger you deep est peut-être bien notre chanson préférée de toute : lourd comme du stoner rock, mais déployant une colère infinie, même lorsqu’une mélodie ironique naît au milieu des décombres : car le désespoir le plus noir, le plus nihiliste n’est jamais loin, derrière la provocation : « You’d be better off dead in the dark / Than performatively beating your meat » (Il vaudrait mieux que tu sois mort dans le noir / Plutôt que de te branler pour la galerie.). Une chanson très, très près de l’os ! Autofocus on the prime directive est nettement moins complexe, et est un pur cri de rage sur une trame hardcore punk sans concessions : le chanteur s’étrangle littéralement dans sa furie, et c’est impressionnant. Not all steeplejacks arrive alors comme une opportunité, bienvenue, de prendre un peu de repos : on cautérise les plaies, on adoucit les brûlures, on prend des sédatifs pendant trois minutes trente. Pour repartir à l’assaut de plus belle…

… avec l’énorme chekhov’s guns et son spoken word sur un martellement belliqueux : « Ch-ch-ch-ch-Chekhov’s guns / Shout out the end at the top of your lungs / ‘Cause who’s got time to be fucking around? / Not me, not you, or the other characters » – Les fusils de Tch-tch-tch-tchekhov / Crient la fin à pleins poumons / Parce que qui a le temps de déconner ? / Ni moi, ni toi, ni les autres personnages. Au premier et au second degré, car tout est sinistrement prévisible comme dans une pièce de théâtre respectant les règles de la tragédie, voilà un morceau dont on n’est pas prêts d’épuiser la richesse.

Après une courte minute et sept secondes très directes (juan party-system), mclusky nous balancent une conclusion faussement apaisée (enfin, pour eux) : Hate the polis est le titre le plus long du disque, et devient presque lyrique dans sa peinture et sa réflexion sur l’absurdité du monde actuel.

Conclusion, évidente : The world Is still here and so are we est l’un des albums les plus essentiels de 2025 pour qui aime son rock aussi brutal que drôle et intelligent. C’est l’un des retours (aux affaires…, en forme…, de flamme… etc.) les plus triomphaux entendus depuis très longtemps : mclusky prouvent qu’ils n’ont rien perdu de leur pertinence, de leur rage, de leur mordant… tout en demeurant ludiques et imprévisibles. Et cette fois, gageons que nous serons bien plus nombreux à les suivre.

9 mai 2025

"L’Eternaute – Saison 1" de Bruno Stagnaro : ¡Viva Argentina!

Peu de gens en France, même passionnés de Bande Dessinée, connaissent le classique argentin El Eternauta, publié entre 1957 et 1959, et dont l’auteur (le scénariste), Héctor Germán Oesterheld, fut l’une des innombrables victimes de la dictature militaire dans les années 70. Cette œuvre majeure du 9ème Art – un roman graphique comme on l’appellerait aujourd’hui – raconte l’histoire, a priori classique, d’une invasion planétaire extra-terrestre, mais surtout de la résistance « populaire » d’un groupe d’amis à Buenos Aires. A l’inverse des fictions similaires états-uniennes, il s’agit de mettre en lumière l’héroïsme collectif, par opposition à l’héroïsme individuel, mais également de prévenir – un peu comme dans l’Invasion des Profanateurs de Sépultures, le film de Don Siegel – le danger que représente pour la société, et la démocratie, la « contamination » de l’homme ordinaire par des idées totalitaires, le transformant en esclave servile d’une puissance dominante.

On remarquera donc que le succès planétaire que rencontre aujourd’hui l’excellente adaptation en série TV de l’Eternaute tombe à pic pour faire écho à la montée de l’extrême droite en Europe comme aux USA, transformant potentiellement des amis et connaissances, devenus méconnaissables à force d’inhumanité, en instruments de conquête du totalitarisme. Et le créateur de la série argentine, Bruno Stagnaro, son équipe et ses acteurs, ne se privent pas d’insister, dans les vidéos accompagnant la sortie de l’Eternaute, sur l’importance de l’héroïsme – ou simplement de l’engagement – populaire, à un moment où la peur nous encouragerait plutôt à nous calfeutrer chez nous en attendant « que ça passe »…

Mais, au delà de son fort message politique, aussi nécessaire en 2025 qu’en 1957 ou en 1970, L’Eternaute est une remarquable série « post apo » et de science-fiction, régulièrement bien supérieure à tout ce que l’on a pu voir dans le genre en provenance des Etats-Unis. L’ancrage ultraréaliste de cette histoire de fin de l’humanité dans le décor de la ville de Buenos Aires – soumise en ce moment à une pression sociale terrible -, mais également de manière plus large dans la belle culture populaire argentine, confère à des scènes en théorie déjà vues et revues de nombreuses fois un impact émotionnel inédit. Les deux premiers épisodes, racontant le déclenchement de « l’attaque », qui prend des apparences très inattendues, sont stupéfiants de tension, au point d’en être quasiment traumatisants : notre identification avec cette petite bande d’amis, jouant au cartes (au « truco ») dans un sous-sol lorsque survient « la fin du monde », est totale, et il est littéralement impossible de ne pas s’imaginer « à leur place » alors qu’ils tentent de retrouver les membres de leurs familles, ou simplement de survivre alors que tout s’effondre.

Certains téléspectateurs se sont plaints du rythme de la série, qui prend en effet son temps pour nous montrer les réactions « humaines » de chacun des protagonistes, et ne joue pas la carte du thriller haletant « standard ». S’il est vrai qu’il y a un petit passage à vide au milieu de la saison, avec quelques moments plus prévisibles, les cinéphiles reconnaîtront dans l’Eternaute nombre de qualités du meilleur cinéma argentin, qu’il soit commercial (quelqu’un se souvient du génial les Neuf Reines ?) ou d’auteur : profondeur de la réflexion sociétale, élégance de l’analyse psychologique, mais également stylisation bienvenue du récit…

… Et puis, bien entendu, et ce n’est pas la raison la moins importante de se perdre dans le labyrinthe spatio-temporel de l’Eternaute et dans les rues dévastées de Buenos Aires étouffée sous la neige, il y a l’immense Ricardo Darín : parfait comme toujours, il est, une fois encore, le visage du meilleur cinéma argentin, mais aussi le symbole de ce qui reste encore d’humanité en nous, alors que la barbarie nous submerge.

Après une conclusion terrifiante du sixième épisode, espérons que la seconde et dernière saison de l’Eternaute ne tardera pas trop, et sera, surtout, aussi réussie.

8 mai 2025

"Les musiciens" de Grégory Magne : succession…

A sa mort, un père, richissime chef d’entreprise, lègue celle-ci à son fils, mais demande à sa fille Astrid (la préférée) qu’elle prenne en charge et fasse se réaliser le rêve de sa vie : l’exécution, une seule fois, d’une œuvre jamais jouée d’un compositeur contemporain exigeant, par un quatuor de cordes composé des meilleurs musiciens du moment. Mais le tout doit être joué sur des… Stradivarius ! Une fois le dernier Stradivarius acheté aux enchères, pour la bagatelle de 10 millions de livres sterling, la constitution du quatuor – fait de quatre personnalités fortes plutôt incompatibles – et surtout les répétitions avant la date fatidique du concert vont s’avérer une véritable épreuve…

… car il s’agit de faire s’accorder des individualités pour que, comme un vol d’étourneaux, ils sachent à tout instant, et sans communiquer entre eux, quelle direction prendre. Devant cette tâche qui paraît impossible, Astrid (Valérie Donzelli, qui porte une grande partie de la charge comique du film sur ses épaules, ce dont elle s’acquitte impeccablement…) a la brillante idée (mais est-elle aussi bonne que ça ?) d’embaucher Charlie Beaumont, le compositeur, un original plutôt confus dans sa vision de ce à quoi sa propre œuvre devrait ressembler : c’est l’excellent Frédéric Pierrot qui tient ce beau rôle, celui par qui l’émotion survient…

On voit très bien a priori le programme de ce genre de film, forcément feelgood et débouchant tout aussi forcément sur un triomphe improbable. Mais Grégory Magne est bien plus malin que ça, et le film ne cesse de tromper nos attentes, pour flotter en permanence dans un « entre deux » qui ne manque ni de douceur ni de magie. Soit une atmosphère douce-amère que la bande annonce – plutôt ratée – des Musiciens échoue d’ailleurs à traduire, au risque de décourager des spectateurs qui auraient pu prendre un grand plaisir – comme nous – devant le film.

Ce qui caractérise donc ces Musiciens, c’est avant tout une belle élégance et du scénario et de la mise en scène, discrète mais toujours juste. Mais c’est aussi la « partition » impeccable que joue chacun des quatre acteurs constituant le fameux quatuor, et dont les égos « enflés » doivent s’effacer pour que le projet puisse réussir : il faut dire que tous les quatre sont de véritables musiciens, ce qui évite au réalisateur d’avoir à cadrer leurs mains dans des plans séparés, et confère inévitablement une crédibilité totale aux nombreuses et belles scènes de répétition.

Il faut souligner que, pour ceux qui aiment la musique, Les musiciens s’avère particulièrement passionnant. Un peu de la même manière qu’il n’était nul besoin d’apprécier ou même de comprendre le jazz devant Whiplash, une passion pour la musique de chambre – un genre quand même pointu – n’est pas requise pour adhérer à cette belle réflexion sur le travail des musiciens. Et puis, petit spoiler, le rocker, éventuellement frustré, pourra jouir d’une jolie version du Where Did You Sleep Last Night? de Leadbelly, immortalisé par Nirvana : une délicieuse cerise sur un gâteau ma foi bien réussi.

6 mai 2025

"Flying With Angels" de Suzanne Vega : un nouveau classique ?

Après une décennie de silence discographique, l’immense Suzanne Vega revient avec Flying With Angels, son dixième album studio, produit par son collaborateur de longue date, Gerry Leonard, ce qui, quelque part, garantit que, musicalement, nous n’aurons pas affaire à une grosse rupture stylistique : pas de post-punk, dieu merci, ni de garage psyché, ni même d’électro déjantée… Ce dixième opus reste donc dans la continuité de sa discographie, nous offrant une « salade russe » de saveurs différentes, dans les registres pop, rock et folk qui lui sont habituels, avec, cerise sur le gâteau, de discrets épices soul-blues.

Plus surprenante sans doute est la coloration « politique » de certains textes, qui évoquent les complexités de la situation actuelle, sans pour autant sombrer dans un militantisme trop lourdaud, ni perdre cette élégance poétique et ce sens de la nuance qui ont toujours caractérisé le travail de Vega. Ainsi, l‘ouverture de l’album avec Speakers’ Corner est clairement une prise de position politique, Vega y abordant frontalement la cacophonie de la désinformation propagée sur les réseaux sociaux par les voix réactionnaires : un couplet comme « All those full of wind and air / Who howl and rant and rave / Screaming out distorted facts / About the souls they save / Promising the miracles / And pocketing the cash / Pretending they have principles / Preaching only ash » (Tous ceux qui sont pleins de vent et d’air / Qui hurlent, fulminent et délirent / Criant des faits déformés / À propos des âmes qu’ils sauvent / Promettant des miracles / Et empochant l’argent / Prétendant avoir des principes / Ne prêchant que des cendres) sonne comme une condamnation sans équivoque du nouveau gouvernement US… même si la voix de Suzanne Vega résonne aujourd’hui dans un grand vide, tant le milieu artistique US, terrifié peut-être par ce qui se passe, ne semble pas réagir aux abus actuels…

Flying With Angels tranche radicalement, en associant l’une de ces mélodies lumineuses qui rappellent les plus grands succès des premières années de Suzanne Vega avec un texte littéralement consacré à « l’élévation » (au sens baudelairien du texte, a-t-on envie de dire), tandis que la conviction dans la voix de la chanteuse s’avère irrésistible : à 65 ans, son chant irradie de jeunesse et d’enthousiasme. Et ça fait un bien fou. Le morceau Witch revient alors à la veine critique de l’introduction du disque, Suzanne semblant associer les effets dévastateurs des dérives du pouvoir US à une sorte de sorcellerie : « Suddenly speech is a show of absurdity / Hand-to-hand he’s fighting to stand / We’re living in a state of a permanent emergency » (Soudain, la parole est une démonstration d’absurdité / Corps à corps, il se bat pour rester debout / Nous vivons dans un état d’urgence permanent…). S’ouvrant comme une fausse ballade folk, Witch bascule dans le Rock grâce à des guitares électriques et des claviers menaçants, en ligne avec les paroles incisives du texte.

Chambermaid est une belle petite surprise, une sorte de relecture du classique de Dylan, I Want You : Suzanne y donne la parole à la femme de chambre évoquée dans le texte original (« Well, I’ll return to the Queen of Spades / And talk with my chambermaid / She knows that I’m not afraid to look at her / She is good to me / And there’s nothing she doesn’t see » – Eh bien, je retournerai à la Dame de Pique / Et je parlerai à ma femme de chambre / Elle sait que je n’ai pas peur de la regarder / Elle est bonne avec moi / Et il n’y a rien qu’elle ne voie), et on espère que le grand Bob appréciera cette réponse féminine malicieuse : « I’m the great man’s chambermaid / I’ve seen where his hallowed head is laid / I revere the places he has stayed / And clean crumbs from his typewriter / He is good to me / There’s nothing he doesn’t see » (Je suis la femme de chambre du grand homme / J’ai vu où repose sa tête sacrée / Je vénère les lieux où il a séjourné / Et nettoie les miettes de sa machine à écrire / Il est bon pour moi / Il n’y a rien qu’il ne voie). Quelle superbe idée, en fait ! Love Thief détonne par rapport à ce qui a précédé par son atmosphère typiquement soul, où la voix de Vega – peu coutumière de ce genre d’exercice – est portée par celle de la chanteuse de blues / jazz Catherine Russell : une parenthèse assez classique pour parler de l’importance de l’amour. Clairement pas un titre essentiel de l’album, mais un plaisir raffiné.

Dans Lucinda, blues rock bien envoyé, Vega rend un bel hommage à Lucinda Williams, à sa classe et à son esprit rebelle : « She’s a Dusty Springfield of the south / Leathery pants and a pale pink mouth / Beehive bleached blond shoulder length straw / Voice is sweet but mostly raw » (C’est une Dusty Springfield du Sud / Pantalon en cuir et bouche rose pâle / Paille blonde décolorée couleur ruche jusqu’aux épaules / La voix est douce mais surtout brute). C’est touchant, mais c’est aussi l’un des morceaux les plus immédiatement accrocheurs du disque. Les courtes trois minutes de Last Train From Mariupol frappent par leur solennité, par leur triste splendeur qui se déploie pour évoquer les réfugiés ukrainiens fuyant la barbarie russe : sans doute le sommet émotionnel du disque.

Après deux chansons aussi fortes, Alley sonne un peu plus conventionnelle, ce qui ne veut pas dire qu’elle n’aura pas ses fans, sa mélodie éthérée mais lyrique et la beauté de son chant l’empêchant de tomber du côté des chansons dispensables, typiques du fameux « passage à vide de la seconde face ». Rats est le titre le plus rock de Flying with Angels, entre la guitare marquant le rythme, l’orgue grinçante, et le spoken word de Vega : il s’agit de plonger cette fois dans les réalités urbaines, entre refuge sordide et gage de survie dans un monde en perdition. « Rats are on the warpath / Rats are on parade / Come and see them running through / The apocalypse man-made » (Les rats sont sur le sentier de la guerre / Les rats défilent / Venez les voir traverser en courant / L’apocalypse provoquée par l’homme). Pas très gai, mais finalement assez vivifiant !<

L’album se conclut sur Galway, une ballade très traditionnellement folk, entre Dylan et le folklore irlandais, mais superbement enlevée, voire même enjouée, qui permet de le clore sur une invitation à l’espoir et à la rêverie. Comme quoi, pas de renoncement à la Vienchez Suzanne Vega, même quand le ciel s’assombrit : l’espérance peut être trouvée partout, dans le passé de la musique rock et folk, comme dans les promesses du futur…

Avec Flying With Angels, Suzanne Vega signe un retour réellement magistral, fidèle à l’essence de sa musique, mais traversé par les préoccupations de 2025. Un album intelligent, acéré même, susceptible pourtant de plaire au plus grand nombre !

5 mai 2025

"Micro-héros (Donjon Parade niveau 10)" de Sfar / Trondheim / Ohm : au royaume des bouffonneries

Depuis – au moins – le film The Incredible Shrinking Man (1957) de Jack Arnold, on connaît le potentiel narratif, fantastique ou comique, du rétrécissement extrême de personnages, qui se trouvent devoir survivre dans un univers familier devenu une méconnaissable, où des choses anodines de la vie quotidienne deviennent des menaces terrifiantes. On pouvait donc attendre le meilleur de l’adaptation de ce concept fécond dans l’univers du Donjon, précipitant Marvin et Herbert dans le monde de l’infiniment (ou presque) petit, là où les monstres sont bien différents.

L’histoire de Micro-héros démarre plutôt bien : alors qu’un énorme dragon très dangereux s’approche du Donjon et risque de le détruire, Herbert et Marvin sont réduits à une taille microscopique par une fausse manœuvre d’Alcibiade, d’ailleurs coutumier du fait. Il s’agit alors pour le Gardien de retrouver ses deux meilleurs guerriers le plus vite possible, alors qu’ils ont désormais la taille d’une tête d’épingle, et qu’ils peuvent se trouver n’importe où dans le Donjon !

Si l’aventure débute donc de façon conventionnelle avec des fourmis menaçantes, Sfar et Trondheim forcent rapidement le trait, et plongent joyeusement dans une bouffonnerie pas trop fine, en injectant nos « micro-héros » dans le nez, puis dans la morve verdâtre de Grogro ! A partir de là, on ne peut pas dire que l’on se passionne pour le destin de Marvin et Herbert, dont on sait bien, évidemment – et c’est la limite de la branche Parade, située entre le Tome 1 et le Tome 2 du Donjon Zénith – qu’il ne pourra rien leur arriver de grave. Les péripéties farfelues s’enchaînent, jusqu’à une conclusion largement bâclée (un problème récurrent dans le Donjon) : « comment se débarrasser d’un dragon-zombie ? » était pourtant un problème intéressant, mais on ne peut pas dire que la solution de Sfar et Trondheim soit particulièrement stimulante, ni même logique…

Si l’on se sent bienveillant, on pourra bien rire en lisant Micro-héros, mais si l’on est d’humeur plus chafouine, on pourra aussi remarquer que le dessin bien rond d’Ohm, s’il fait preuve d’une indéniable originalité, donne des résultats variables : certaines planches, presque dans un esprit manga, sont plutôt belles, tandis que d’autres nous paraissent passer complètement à côté de l’esprit du Donjon, tout en privant de vie des personnages ici plus caricaturaux qu’attachants.

Un volume en dessous de nos attentes. Mais pas de souci, les deux prochains tomes de Donjon Parade sont pour bientôt !

 

 

3 mai 2025

"Astérix et Obélix : Le Combat des Chefs" d'Alain Chabat : Has beens en plein marasme…

Astérix et Obélix sont fatigués : héros d’un autre siècle, ils n’ont pas grand chose à nous dire de nos vies en 2025, et rajouter à la nostalgie bien vaine qui les maintient « commercialement » en vie l’ancienne « recette magique » de Monsieur Chabat, qui avait fait de son Astérix et Cléopâtre une jolie petite réussite, s’apparente au mieux à un emplâtre sur une jambe de bois.

L’histoire, usée autant que les autres, du Combat des Chefs, est plus ennuyeuse qu’autre chose : elle est loin d’être la meilleure de la « période classique » scénarisée par le talent de Goscinny, mais elle tenait au moins la route logiquement et… « psychologiquement » dans l’album. Les modifications apportées par Alain Chabat et ses co-scénaristes dans la dernière partie de la mini-série, autour, justement, du « combat des chefs », sont très maladroites, incohérentes et invraisemblables en terme de logique du comportement des personnages, et détruisent la dynamique du récit. De la même manière, même si elle est plus réussie, l’idée du prologue (tout le premier épisode) nous dévoilant la création de la potion magique par Panoramix et la fameuse « chute d’Obélix enfant dans la marmite », allonge de manière artificielle une histoire dont on a hâte qu’elle démarre…

… Et ce n’est pas l’accumulation de références « geeks » et l’actualisation des calembours autour des noms des personnages, qui se concentre sur le monde digital ("Wikipedia ? Non, Metadata !" ), qui pourront nous amuser plus qu’une paire de minutes sur les interminables trois heures que dure Astérix et Obélix : le combat des chefs. Vues et revues, les péripéties poussives qui émaillent le long tunnel de banalités qu’est cette mini-série datant clairement d’une autre époque, animée de manière banale et déguisée de couleurs flashy écœurantes, ne volent jamais bien haut. Les doublages vocaux manquent autant de dynamisme que de fantaisie, plombant de nombreuses scènes, et il n’y a guère que les scènes de bagarre – elles aussi sans surprise – qui créent un peu d’excitation à l’écran.

Le pire est évidemment la part « nostalgique » du projet : on retrouve les habituelles remugles réactionnaires lorsqu’il s’agit de célébrer une fois de plus la « résistance » face à l’envahisseur et les traditions gauloises… tellement « supérieures », évidemment, à celles de nos voisins italiens : la conversion finale du personnage féminin / féministe de Metadata aux charmes de la vie – osons utiliser le terme usé, mais très approprié ici, de la « beauferie » – française est assez ahurissante. Le pire est néanmoins le fait que, lors de ce dernier épisode catastrophique, Chabat gâche à coups de bons sentiments la seule vraie idée qu’il a eue : faire de César le dictateur impérialiste, antipathique et cruel, qu’il était réellement. La déception est ainsi totale !

Bref, Astérix et Obélix : Le Combat des Chefs est un véritable marasme qui nous arrachera à peine quelques sourires.

1 mai 2025

"Bosch : Legacy – Saison 3" de Michael Connelly et Eric Ellis Overmeyer : un adieu en demi-teinte

Cette fois-ci, après seulement trois saisons de Bosch : Legacy, cette seconde série, moins enthousiasmante, qui avait succédé à l’originale, Bosch (7 saisons, quand même !), excellente, il semble bien que Connelly raccroche les gants télévisés, et que nous devrons nous contenter – ce qui est tout sauf un problème – de ses romans. On quittera l’un des plus « beaux » (comprenez complexe, intrigant, paradoxal, etc.) héros récents d’une série policière US avec des regrets, et ce d’autant plus que ces dix derniers épisodes sont probablement les plus faibles de tous…

… Car si, comme de coutume, plusieurs enquêtes – tirées de différents livres de la « saga littéraire Bosch » s’enchaînent et s’interpénètrent au fil de ces épisodes, il est cette fois indéniable que l’accumulation de « plots » et « subplots », pas tous bien traités, crée à la fois un sentiment de saturation et de frustration : le principe était dans les neuf saisons précédentes, qu’il y ait une intrigue principale, complétée par des histoires « secondaires », plus simples, plus rapidement résolues. Ici, on passe systématiquement du coq à l’âne, le tout à un rythme effréné, ce qui nous laisse souvent avec l’impression qu’on n’a pas vraiment tout compris à ce qui vient de se passer. Certaines enquêtes, comme la dernière, qui voit l’apparition in extremis de Renee Ballard, soit un personnage important des livres qui fait un drôle de tour de piste alors qu’on en est à la conclusion de la série, sont bâclée en moins de quarante-cinq minutes, ce qui est réellement un comble, tant la crédibilité du processus d’investigation – sur laquelle est basée toute l’œuvre de Connelly – est mise à mal…

Bien entendu, l’un des grands charmes du travail de Michael Connelly est la richesse de ses personnages, et leur évolution – ainsi que celle de leurs rapports – au fil des années, alors que l’âge arrive et que l’expérience se double d’indéniables désillusions. Et, en dépit de ces failles narratives, cette dernière saison de Bosch : Legacy délivre à peu près ce qu’on attendait : entre la relation entre Honey Chandler (Mimi Rogers, qui semble souvent fatiguée…) et Harry Bosch (Titus Welliver, toujours vaillant, lui) qui est passée de la haine / rivalité à l’amitié / respect, et surtout la maturité très convaincante de Maddie en enquêtrice solide (Madison Lintz, devenue peu à peu l’un des grands intérêts de la série), il nous reste de quoi passer d’excellents moments en compagnie de ces personnages que nous aimons.

On tiquera néanmoins sur le choix – décalé par rapport aux livres – de rendre Bosch ouvert à la violence personnelle pour régler ses comptes, comme un vulgaire redresseur de torts hollywoodien, ce qui est bien loin de sa personnalité établie, certes rétif à la discipline, mais toujours moralement inattaquable. Formellement, on regrettera le choix, désormais « à la mode », d’une image sous-exposée et donc souvent illisible, ce qui ne rend pas le visionnage très confortable.

Bref, on quitte la version télévisée des enquêtes de Harry Bosch sur un sentiment mitigé, ce qui est dommage quand on repense aux sommets qu’avait atteint la première série à mi-course.

26 avril 2025

"Comment devenir riche (grâce à sa grand-mère)" de Pat Boonnitipat : sous le signe de l’empathie

Une grand-mère à la mauvaise humeur permanente et redoutable, menacée par un cancer en phase terminale, et son petit-fils sans cœur, bon-à-rien accro aux jeux en ligne, bien décidé à devenir son héritier en s’imposant dans sa vie durant les derniers mois qu’il lui reste : voilà le thème, à la fois mélodramatique et cruel de Comment devenir riche (grâce à sa grand-mère), un « petit » film thaïlandais qui fait du bruit un peu partout dans le monde. Et dont le visionnage s’avère aussi frustrant que remarquablement convaincant.

Survendu comme une comédie qu’il n’est pas, Comment devenir riche (grâce à sa grand-mère) est le film d’un jeune réalisateur qui fait beaucoup plus pleurer (plus une paire d’yeux sèche dans la salle quand on en arrive au générique de fin !) que rire (même si les moments drôles, surtout dans la première partie, ne manquent pas) : en adressant frontalement le traitement de nos aînés dans la société matérialiste d’aujourd’hui, Pat Boonnitipat adresse un sujet réellement universel, ce qui permet à chacun de s’interroger sur ses propres rapports à ses parents (ou à ses enfants, suivant son âge), garantissant ce fameux impact « planétaire » que le film est en train de rencontrer. Ce qui ne veux pas dire, et heureusement, que le film délaisse son ancrage local : au contraire, cette chronique d’une famille d’origine chinoise installée en Thaïlande fourmille de références culturelles qui nous le rendent aussi « exotique » (on sent qu’on ne comprend pas tout !) que totalement crédible.

Démarrant comme une sorte de comédie « d’arnaque » avec ce petit-fils décidant de s’attirer les faveurs de sa grand-mère pour pouvoir hériter, Comment devenir riche (grâce à sa grand-mère) s’enfonce progressivement dans une chronique très noire, désespérante – et tantinet désespérée – de l’horreur de la cupidité qui prévaut (et détruit l’humanité en nous) quand le matérialisme dévorant de la société nous fait oublier les sentiments les plus essentiels que nous nous devons les uns aux autres, surtout au sein de la famille. Et la belle lumière que diffuse, et souvent, le film, provient de cette évidence retrouvée de l’importance de partager de simples moments qui définissent la vie mieux que tout.

Bien sûr, on voit bien, très tôt dans le film, que l’escroc, le rapace sans cœur et sans âme qu’est le petit-fils, va construire une relation forte avec l’escroquée. Pourtant, cette prévisibilité du scénario, cette soumission à des stéréotypes un tantinet décevants, aggravée par l’utilisation excessive d’une musique « émouvante », n’empêche pas que l’on s’implique totalement dans cette histoire de rédemption, de retour partagé aux valeurs essentielles : l’alchimie entre les deux acteurs principaux (Putthipong Assaratanakul et Usha Seamkhumest, formidables…) est remarquable, créant une empathie qui s’avère l’une des grands forces du film.

Pour en arriver à une belle conclusion, qui a l’intelligence de ne dédouaner personne de ses fautes, de ne pas mentir sur une quelconque amélioration morale des protagonistes. La vie continue, toujours aussi « dégueulasse », mais au moins quelque chose s’est passé entre deux êtres que la Vie séparait et qui se sont retrouvés.

C’est à la fois « rien » et « beaucoup ». C’est, en tous cas, et en dépit des maladresses du film de Pat Boonnitipat, ce qu’on attend du Cinéma.

25 avril 2025

"Beck, des palmiers dans l’espace" de Pauline Guedj : "Soy un perdedor (Things are gonna change, I can feel it)"

« In the time of chimpanzees, I was a monkey / Butane in my veins, and I’m out to cut the junkie / … / I’m a loser, baby, so why don’t you kill me?« … Quiconque était en âge d’écouter de la musique en 1993 se souvient de la bombe Loser balancée sur le monde qui n’en espérait pas tant, ce mélange improbable – mais surtout irrésistible – de blues, de country music et de hip hop. Beck Hansen (Beck, donc) fut vite catalogué représentant de la nouvelle génération de « slackers » (terme qui allait être à la mode durant les années 90), alors qu’il était avant tout un tout jeune homme passionné par toutes les formes d’art, et un travailleur acharné, bien décidé à créer sa propre vision de la musique contemporaine, sans chercher en aucune manière ni le succès, ni l’approbation de ses pairs.

Faux slacker mais vrai créateur touche-à-tout et inspiré, Beck allait devenir une figure majeure de la musique US, jusqu’à un relatif effacement dû à des problèmes de santé suite à un accident, puis à un retrait progressif loin des spotlights, conséquence déclarée des « effets de l’âge » le poussant à revoir sa propre approche artistique. A date, il nous a offert plus d’une quinzaine d’albums, couvrant un spectre musical excessivement varié, du folk roots aux expérimentations science-fictionesques, en passant par d’audacieuses constructions poussant la logique de Loser beaucoup plus loin (voir en particulier sa collaboration avec les Dust Brothers) et des albums classiques de « chansons », rendant au moins occasionnellement hommage à Gainsbourg et son Melody Nelson. Bref, il est impossible d’aimer TOUT ce que Beck a fait depuis 1993, mais il est tout aussi impossible de ne pas adorer au moins l’un de ses disques.

Il n’est pas surprenant que Beck ait intéressé Pauline Guedj, journaliste et anthropologue, déjà autrice d’une analyse éclairée sur un autre caméléon à la démarche insaisissable, allant et venant entre les genres et les formes, entre mainstream et avant-garde, le cinéaste Steven Soderbergh. Elle s’est attaquée à cette nouvelle énigme sympathique qu’est Beck, et a tenté dans son essai Beck, des palmiers dans l’espace, de comprendre d’où venait son inspiration, son énergie, son besoin d’expérimenter, son envie de changer à chaque fois, entre deux albums, de style musical.

La piste que Guedj a suivi, qui se révèle aussi féconde que passionnante, est celle de la quasi symbiose de Beck avec sa ville natale, Los Angeles : de son enfance – plutôt pauvre – à L.A. au sein d’une famille d’artistes qui a stimulé son désir de découverte et surtout de mélange d’influences, à son retour dans la même ville après un passage difficile à New York où il a fait un temps partie du mouvement anti-folk, Guedj a patiemment traqué les racines de son Art, pour nous en livrer ici, sous forme traditionnellement (à peu près) chronologique, une synthèse convaincante. Car le plus réussi dans ce livre, outre le fait qu’il s’agit d’un véritable « page turner » que l’on dévorera en quelques heures, c’est bien qu’on en sort en comprenant mieux – même s’il ne s’agit parfois que d’hypothèses – et le fonctionnement intellectuel et artistique de Beck, et l’importance de son œuvre dans les années 90 et 2000.

S’il fallait trouver des défauts à Beck, des palmiers dans l’espace, et oui, nous cherchons des noises un peu injustes à Pauline Guedj, on pointerait que la toute dernière partie du livre est plus faible : entre les explications / justifications assez embarrassées sur l’adhésion de Beck à l’église de scientologie (évidemment une grosse tache sur un CV par ailleurs impeccable) et un chapitre final nous expliquant tardivement l’intérêt de Beck pour la Science-Fiction, qui semble n’avoir été écrit que pour arriver à la phrase / trouvaille « des palmiers dans l’espace » qui clôt l’essai, disons que l’on n’est pas au niveau d’excellence de ce qui a précédé.

Mais ce n’est pas là une raison pour passer à côté d’un livre aussi indispensable, non seulement aux nombreux fans de Beck, mais à ceux, sans doute encore plus nombreux, qui se passionnent pour Los Angeles, sa dynamique et sa culture. Cela s’appelle un « must ».

Car… « I’m a driver, I’m a winner / Things are gonna change, I can feel it » (Loser).

Le journal de Pok
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