"Here We Go Crazy" de Bob Mould : preuve de vie…
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Cinq ans ! Cinq ans sans un nouvel album de Bob Mould, notre vieil ami / vieille idole des années 80/90, depuis la brève mais incontestable brillance de Hüsker Dü. Cinq ans depuis un Blue Hearts colérique et engagé. Cinq ans durant lesquels Mould a fait quelques tournées en Europe, en évitant soigneusement l’Hexagone, tenant donc ses fans français – dont nous sommes, vous l’avez compris – dans un état de manque avancé. Et puis voilà qu’on tient Here We Go Crazy entre nos doigts fébriles. En imaginant que la situation politique désastreuse actuelle aux USA a motivé le retour du vieux (64 ans, seulement, en fait, et toutes ses dents) combattant. On le pose sur la platine, et, wham bam thank you Bob !, nous reviennent en pleine tronche tous nos souvenirs de guérilla sonique, que ce soit avec Hüsker Dü ou avec Sugar, le féroce et encore plus éphémère groupe fondé ensuite (Quelqu’un ici était-il au Bataclan le 16 juin 1993, quand Bob Mould a déversé sur nous une heure de plomb fondu, dont les oreilles de bien des spectateurs ne se sont jamais remises ?).
Première impression, dès la première écoute : Bob Mould reste absolument fidèle à son style, allant et venant entre énergie punk et introspection (énervée aussi, l’introspection). Guitares furieuses, rythmes régulièrement effrénés, mais aussi mélodies accueillantes, faciles à mémoriser et donc à hurler avec Bob. Ce qui, indiscutablement, au milieu du chaos actuel, nous apporte un vrai réconfort. Même si, sans surprise, Mould est tout aussi accablé que nous, ce qui justifie des morceaux tourmentés, mais aussi un besoin d’évasion. 11 chansons pour 31 minutes, montre en main : Bob Mould court sur au moins un titre sur deux comme à l’époque des débuts de Hüsker Dü, mais surtout comme si 64 ans était l’âge de l’éternelle adolescente. L’album, produit sans chichis, a été enregistré en format power trio, avec l’aide de Jon Wurster (à la batterie) et Jason Narducy (à la basse), deux violents qui supportent la guitare abrasive de Mould avec une rythmique puissante, qui rappelle l’époque de Sugar, avec une approche à la fois brutale et mélodique.
Here We Go Crazy débute de façon « accueillante » (mélodiquement pas loin du power pop !) avec le titre éponyme, qui se révèle pourtant une évocation frappante de la violence du monde actuel : « Borders fade away, home is where we stay » (Les frontières s’estompent, notre foyer est là où nous restons), ou plus loin : « Airplanes in formation, there’s a conflict in the sky / Modern constellation choosing who can live and die » (Avions en formation, il y a un conflit dans le ciel / Constellation moderne choisissant qui peut vivre et mourir). Une situation tellement stressante qu’il ne semble plus y avoir d’autre issue supportable que de disparaître : « I’m so far away from here / Did you see me disappear? » (Je suis si loin d’ici / M’as-tu vu disparaître ?). Le propos de l’album est clairement posé.
Le choc de Neanderthal, qui suit, n’en est pas moindre : une tuerie hardcore, un retour direct à la frénésie des années 80, pour évoquer tout ce qui est primitif en l’être humain. Pessimiste, qu’il est, Bob. Il faut pourtant savoir que « l’état du monde » n’est pas le seul sujet du disque, ni l’unique cause de la tristesse de Mould, qui souffre apparemment aussi d’une rupture : Breathing Room parle de la nécessité, dans sa situation, de s’aménager un lieu et un temps où se reconstruire, tandis que le très beau When Your Heart Is Broken insiste sur la douleur de la perte de l’amour, même si la combattivité dans le chant de Mould contredit la tristesse que dégagent les paroles.
Formellement, même si la furie électrique prédomine, il y a quelques petites exceptions, comme Lost or Stolen, un morceau acoustique – mais particulièrement intense – qui aborde la perte d’identité et les troubles mentaux résultant des excès de notre ère numérique : « Paranoid and schizoid thoughts, I am unconscious / They send me on an endless path to deep addictions that I fight all day » (Pensées paranoïaques et schizoïdes, je suis inconscient / Elles m’envoient sur un chemin sans fin vers des addictions profondes contre lesquelles je me bats en permanence). Your Side, conclusion magnifique, démarre aussi tout en douceur, avant de s’élever vers une sorte d’espoir, de salut illusoire peut-être, nécessaire sans aucun doute : la guitare rugit une dernière fois. « Time moves on, everything is gone / I wanna be by your side / Down in flames, nothing stays the same / I wanna be by your side » (Le temps passe, tout a disparu/ Je veux être à tes côtés / Tout est en flammes, rien ne reste pareil / Je veux être à tes côtés).
Here We Go Crazy est donc un autre disque totalement fidèle à l’essence de la musique de Bob Mould : urgence punk et mélancolie y font bon ménage, et la force des riffs de guitare n’empêche pas une sincérité désarmante dans les mots et la voix de Mould. Une sorte de preuve de vie, qui tient aussi de modeste démonstration de force.