Les concerts que je n'aurais jamais dû manquer : Arcade Fire à Rock en Seine le jeudi 25 août 2005
Août 2005, j’étais encore plus au moins en transit entre Londres et Paris, où j’allais revenir. J’avais découvert le génial premier album d’Arcade Fire, et je ne me rendis pas compte qu’ils étaient à l’affiche de Rock en Seine cette année-là. Je n’y serais probablement pas allé, de toute manière… Heureusement, la télé filma l’événement – car ça en fut un vrai, un séisme de taille 9 sur l’échelle de Richter -, et je me suis depuis régalé de nombreuses fois en regardant le DVD. Ce compte rendu est donc écrit d’après le film du concert. Les photos sont de Robert Gil, que je remercie du fond du coeur.
« Le soleil d’une belle après-midi d’août baigne la Grande Scène. Nous allons voir pour la première fois en live Arcade Fire, groupe canadien qui a publié un album incroyable, « Funeral » au début de l’année. Une grande partie du public parisien ne sait néanmoins pas trop à quoi s'attendre, même si la rumeur parle de prestations scéniques exceptionnelles. Première évidence, ils sont quand même toute une troupe sur scène, huit musiciens !
Et ça démarre fort sur Wake Up, leur chanson la plus remarquée et célébrée à travers la planète depuis l’apparition d’Arcade Fire en 2004 : c’est une claque immédiate ! Win Butler a un peu la voix d'un Neil Young qui aurait beaucoup écouté David Byrne, à moins que ça ne soit l'inverse. Wake Up a un refrain qu'on chante en chœur dès la première fois sans même connaître la chanson. Le final est terriblement puissant, voilà guère plus de cinq minutes que le groupe est sur scène, et on bascule déjà dans l'hystérie : la partie est d’ores et déjà gagnée pour Arcade Fire. Mais, à partir de là, ça ne va faire que monter…
Laika est tout simplement incroyable. Les musiciens ont échangé leurs instruments, on va vite se rendre compte que c'est une pratique assez systématique au sein de Arcade Fire... William, le frère énervé de Win, et Richard Parry, le rouquin qui officie (en général) à la basse se battent à coups de baguettes de batterie : ce n’est que le second morceau du set, et c’est déjà du jamais vu. Les voix qui vibrent sur un accordéon romantique versent dans l'hystérie : imaginez les chœurs de l'Armée Rouge en version punk et en état d’ébriété. La jolie Régine Chassagne en rouge (les gants et les bas) et noir (la robe), elle nous parle dans un français impeccable, on réalise seulement alors qu’on savait qu'ils sont québécois. « Une vieille chanson », dit-elle : No Cars Go, pas une vieille chanson pour nous ! Le rythme ne faiblit pas, l'intensité non plus. « Hey ! » Tout le monde braille. Une mélodie imparable, encore une ! Un final stratosphérique… et on n'en est qu'à la troisième chanson !
Haïti swingue doucement, Régine est au chant, elle chante son pays d’origine. D'un seul coup, on se rend compte que les paroles sont en français ! Du coup, Régine est notre star, c'est décidé ! Elle semble comme en transe, et la moitié des mâles dans la foule (et pas mal de filles aussi) sont déjà amoureux d'elle. Même sur une jolie chanson plus "calme" comme Haiti, Will Butler - à la guitare acoustique - est déchaîné, il pogote même ! A la fin, Régine arbore un air triomphant, et coquin, qui nous fait fondre. Une chanson un peu moins forte (enfin, tout est relatif !) : Headlights Look Like Diamonds, qui sonne un peu plus rock indie standard, avec même un peu de synthés, mais la voix de Win Butler fait décidément décoller la moindre rime : romantique à un point affolant... et ces putains de « Ooh oooh oooh », et ces crescendos incroyables qui prennent aux tripes !
Crown of Love, la première chanson lente, une sorte de valse primitive, Win est au piano et sa voix exsude une douleur bouleversante. Régine est maintenant à la batterie : décidément, elle sait tout faire ! « If you want me, please forgive me ! » Les musiciens hululent derrière, les violons vous déchirent le cœur. Les larmes vous viennent aux yeux. Arcade Fire est un groupe immense, c'est déjà, et pour toujours, évident ! On finit à genoux alors que le rythme s'emballe. Brother Will pogote encore un tambourin à la main, on est au bal du samedi soir quand tout le monde est bourré et que la nuit a basculé dans la tristesse et la joie, sans qu'on sache vraiment la différence.
Un riff énorme à la guitare : Neighborhood #1(Tunnels), soit un autre hymne ! Incroyable ! La chanson monte comme à la verticale. S'accélère. Encore des « ooh ooh ooh », mais on les adore. Tout le monde chante, Rock en Seine a trouvé les Princes de cette édition 2005. Cette chanson est sublime, c'est la plus belle ! Mais on a dit ça de toutes celles qui ont précédé. Et j'ai bien peur qu'on le dise de toutes celles qui vont suivre. Les violons nous cisaillent : pourquoi ça s'arrête ? Le soleil descend sur le Parc de St Cloud. Une autre chanson romantique, en français : Une année sans Lumière. William et Richard reprennent leur théâtre extatique, apportant une légèreté bienvenue à une chanson infiniment douloureuse. Régine est de nouveau aux claviers et la combinaison de sa voix avec celle de Win est parfaite. Les violons nous donnent envie de sangloter. Puis, la guitare de Win marque l'envol de la chanson : c'est à nouveau le délire général sur scène...
« Ça va ? » demande Régine. « We got to go soon » avertit Win. Là, on réalise que Arcade Fire veut que ça monte encore en puissance. Power Out, comme une chanson de Talking Heads saisie par une frénésie barbare nouvelle. Le groupe décolle à nouveau. Régine est au xylophone, les voix mêlées m'évoquent - à moi seul - les grands moments de X en 1984. Puis une sorte de solennité transparaît, juste avant que la chanson ne se fracture. « Ooh oooh ». Again. « Ooh ooh ». Will a pété les plombs et frappe les cymbales avec un casque de moto doré, qui finit par valdinguer dans le public. « Ooh ooh ooh ». Tous les bras sont levés. Le miracle est qu'on conjugue la puissance du rock de stade (une horreur, on le sait) avec une furie primitive, tellurique, qui empêche tout recul, tout cynisme. Les premières notes de Rebellion s'élèvent. Ceux qui savent gueulent. C'est la dernière chanson, « Merci d'être venus », crie Régine. Le premier couplet, brandi par Win, nous crucifie littéralement. « Every time you close your eyes, lies, lies ! » « Ooh ooh ooh »... C'est bouleversant, tout simplement. Régine a maintenant l'air implacable, son œil noir nous foudroie. « Scare your sons, scare your daughters ». Les clowns se ligotent et s'étranglent avec des foulards. C'est l'extase absolue. Le final qui tue !
« Merci beaucoup », qu'ils nous disent ! Non, mais merci à vous, Arcade Fire, d'avoir cet après-midi ressuscité le Rock de la plus noble et de la plus belle manière qui soit, en moins d'une heure. Le XXIème siècle a son groupe. Il s’appelle Arcade Fire. Retenez ce nom : Arcade Fire. »