Sparks à la Gaîté Lyrique (Paris) le dimanche 1er octobre
21h05, tout le monde commence à s’impatienter à force de supporter de la variété italienne sur la sono, quand Ron et Russell déboulent, accompagné d’un quintet de jeunes gens... Deux guitaristes, une batterie aux dimensions impressionnantes : c’est confirmé, Sparks nous revient cette année dans une configuration traditionnellement rock, pour la première fois depuis le milieu des années 70 ! What the Hell Is It This Time?, sorte de citation de l’époque “Propaganda” envoie du bois : nous n’avons jamais entendu encore Sparks comme ça sur scène. Tout le monde est vêtu de maillots rayés, même Ron (qui a quand même la cravate !), façon marins de chez Jean Genet. Ron paraît de plus en plus émacié, fragile même, on s’inquiéterait presque pour sa santé, mais, bien sûr, il sera égal à lui-même ce soir, c’est-à-dire absolument impassible, hormis lors de son traditionnel “Ron Moment”. Russell, en culottes de golf et chaussures laquées, garde son habituelle préciosité, et continue à pouvoir monter dans les octaves de manière insensée malgré l’âge qui s’avance. RAS de ce côté-là !
Sauf que là, c’est… Propaganda ! Enchaîné comme il se doit avec At Home, At Work, At Play. Forcément, on fond, on ruisselle, on sourit aux anges, on a un peu les larmes aux yeux. Et c’est comme ça que ça devait être à l’époque : puissant et mélodique à la fois. Post-glam déjà et pré-punk. Je jette un coup d’œil derrière moi à Clément qui arbore un grand sourire. Il y a aussi les mecs habituels du fan club, qui crient : « Merci, Merci ! » à la fin du morceau, ce genre d’ambiance, quoi… Le son est bien fort, je m’inquiète pour mon oreille gauche, à quelques centimètres de la sono… d’autant qu’on sait bien que ça va encore monter en puissance.
Pas sûr par contre que les subtils Good Morning et When Do I Get to Sing My Way bénéficient autant du traitement heavy rock de ce soir, un peu de leur beauté fragile reste sur le carreau, alors l’ambiance redescend d’un cran. Russell annonce des chansons du nouvel album, et un petit hippopotame en peluche lancé de la salle atterrit sur la scène : bien vu ! Missionary Position avec son stomp final un peu lourdingue remplit son contrat de relancer le set. When I’m With You, LE morceau pour les Français, et une version percutante et bruyante de Dick Around rajoutent un tour de vis : les guitares et la batterie déploient maintenant toute leur puissance, je m’éloigne prudemment de la sono pour protéger mon ouïe, profitant de l’espace qui s’est ouvert devant moi.
Les sublimes Edith Piaf et… Never Turn Your Back (souvenirs, souvenirs) déploient leur magnificence. Le solo sur Never Turn Your Back, joué à deux guitares par les deux petits jeunes tout excités est la cerise sur le gâteau. Plus tard, Clément me demandera si je crois que ces jeunes musiciens réalisent la chance qu’ils ont de jouer une musique comme celle-là en 2017… Je ne sais pas, mais en tous cas, ils ont l’air de bien s’amuser… même si l’on se rend compte à quelques petits indices au long du set que Russell doit être un patron plutôt autoritaire !
My Baby’s Taking Me Home, seul rescapé de “Lil’ Beethoven”, dépare un peu avec son aspect expérimental, mais l’interprétation au marteau piqueur de The Number One Song in Heaven – la voix de Russell est désormais complètement saturée dans la sono – lance le sprint de la dernière ligne droite. Ron fait son ineffable danse grimaçante, et This Town Ain’t Big Enough, dans une version impeccable, donne au set de ce soir une allure de classique éternel : oui, nous sommes bien en 1974, la machine à voyager dans le temps existe ! Heureusement, on sait les Frères Mael ennemis de la nostalgie, et le set se conclut par l’opératique Life with the Macbeths, la voix de la chanteuse lyrique astucieusement remplacée par la guitare électrique,… et les yeux de Ron et Russell définitivement fixés sur le futur !
Deux beaux cadeaux en rappel : d’abord l’apparition de Leos Carax (il y a des gens autour de moi qui n’ont visiblement jamais entendu parler de lui, tristesse, tristesse !) pour l’hilarant When You’re a French Director, et puis une reprise du génial Johnny Delusional, rescapé de l’aventure FFS, qui me fait vraiment, mais vraiment plaisir, Russell reprenant élégamment les parties vocales d’Alex Kapranos. Le concert se termine pied au plancher avec Amateur Hour, bien évidemment, histoire de satisfaire le gros du public.
Russell et Ron ne se décident pas à quitter Paris qui les idolâtre ce soir : si Russell, on le sait, maîtrise suffisamment le français pour s’adresser à nous dans notre langue, Ron prendra exceptionnellement le micro pour nous dire, en anglais, combien le cinéma français (la Nouvelle Vague) a été une source d’inspiration à leurs débuts, leur a donné l’envie de faire quelque chose d’artistique avec leur musique. Mission accomplie, Ron ! A quand la légion d’honneur pour Ron et Russell, Monsieur Macron ? Allez, on attend encore la sortie de “Annette”, la comédie musicale que Carax et Sparks sont en train de nous concocter, mais pas plus longtemps.
Une heure trente d’un concert que l’on n’espérait plus de la part de nos héros, et la nuit paraît un peu moins noire quand on ressort de la Gaîté Lyrique.
It’s a heartwarming song / For the easily moved / The effect is all wrong / Plain to see I’m not moved