Sparks au Casino de Paris le mardi 19 avril
On le sait depuis le départ, pour avoir suivi la tournée de Sparks depuis son démarrage il y a plusieurs semaines aux USA : on ne peut guère espérer de modification à une setlist quasiment invariable (il y a eu de gros débats parmi les fans sur la disparition de Amateur Hour, l’un des titres favoris du public depuis 1974…), ce qui n’empêche pas toutes les hypothèses de fleurir quant à l’apparition d’Alex Kapranos (Franz Ferdinand jouant à Paris le lendemain soir), de Catherine Ringer ou de Leos Carax.
On attaque dans le plaisir avec So May We Start, la désormais fameuse introduction du film Annette, qui constitue une manière formidable de se retrouver « entre amis », pour un set que l’on souhaite tous inoubliable. Le groupe – deux guitaristes, un bassiste, un batteur, un claviériste par ailleurs remarquable chanteur pour appuyer Russell de ses chœurs – est sur une estrade à l’arrière, et n’interférera pas avec les Frères Mael, à la différence de l’organisation plus classique en format « groupe de rock » du concert à la Gaîté Lyrique en octobre 2017. La scène est largement dégagée pour Russell, même si on remarquera que, comme prévu, il s’approchera moins du public (à qui il a été demandé d’être masqué) qu’à l’habitude : il a été largement communiqué les précautions à prendre pour éviter que quiconque dans l’équipe Sparks ne soit contaminé par le Covid et donc d’interrompre la tournée.
Aucun changement visible chez nos merveilleux frères qui ont maintenant bien entamé leurs années 70 (d’âge) : Russel, couleur jaune (… canari ou gilet ?), continue à danser et chanter comme si le temps n’avait pas de prise sur lui, tandis que Ron est assis derrière ses claviers, impassible, d’une classe folle. On essaie de ne pas quitter Ron des yeux pour ne pas manquer l’un de ses demi-sourires mystérieux qui émergent quelques fractions de seconde çà et là. Ce soir, il se lèvera trois fois (miracle !), une fois pour son inimitable pas de danse, mais aussi deux fois pour « chanter » (parler !) sur Shopping Mall of Love et sur Suburban Homeboy. Nous aurons été gâtés.
Et nous avons droit à une visite incroyable du back catalogue de Sparks, avec une alternance efficace de morceaux très rock (Angst in My Pants, Tips for Teen, Johnny Delusional, formidable même sans Kapranos, This Town Ain’t Big Enough, bien entendu, en clôture du set), de chansons bien perchées (Under the Table, Shopping Mall of Love – jamais vu sur scène pour notre part -, Lawnmower…), de passages disco / dance (Music that You Can Dance to, The Number One Song in Heaven, dans une version fantastique…), etc
… Avec en cerise sur le gâteau de l’opéra, de la vraie, puisque la « surprise » de la soirée sera la participation époustouflante de Catherine Trottmann à une interprétation parfaite de We Love Each Other So Much. Et surtout, car c’est là que le set s’est distingué le plus, quatre inoubliables versions de titres de Lil’ Beethoven, qui confirme du coup sa pole position de meilleur album de Sparks : une place très disputée avec Kimono My House et Indiscreet, c’est vrai, mais ce soir il n’y avait pas photo… I Married Myself (Russell se contemplant dans un miroir !), The Rhythm Thief (sommet de la soirée, passionnant !), My Baby’s Taking Me Home (répétition et déferlement électrique émotionnel absolu) et en encore Suburban Homeboy en fête collective, étaient inégalables…
… Tout au moins jusqu’au final poignant de All That, immense chanson sur la résilience, écrite à l’origine sur les relations amoureuses, mais dont Russell admet qu’elle est devenue le symbole de cette première tournée après l’épreuve du Covid, et alors que l’épreuve de la guerre est là (nous avons d’ailleurs apprécié le petit signe de tête de Russell quand il a chanté « Moscow will march to France.. » pendant I Predict !). Un moment parfaitement sublime, où la musique a jeté une lumière éblouissante et chaleureuse sur notre existence :
« All that we've done / We've lost, we've won / All that, all that and more / All that we've seen / We've heard, we've dreamed / All that, all that and more… ».
A chanter encore et encore lorsque la nuit se fait plus sombre.