"Douleur et Gloire" de Pedro Almodóvar : le premier désir...
Il va m'être difficile d'être objectif pour parler de "Douleur et Gloire", et je préfère donc ne pas me livrer à un exercice critique selon les canons du genre. En effet, j'étais en larmes dès les 5 premières minutes du film, avec cette scène sublime des lavandières (et avec Penélope, la toujours divine Penélope Cruz !), une scène enjolivée par la mémoire incertaine d'un enfant, ou plutôt, comme on le découvre à la toute fin du film, par le travail du metteur en scène, mais qui invoque le meilleur de la culture espagnole. Et j'ai craqué à de nombreuses reprises, quand Almodóvar déploie comme souvent son Art absolu du mélodrame, avec toutefois une finesse et une justesse émotionnelle qui nous fait accepter les ficelles d'un scénario bien accommodant quand il s'agit de décliner tous les thèmes du bilan d'une vie : pardonner à ses amis avec lesquels on s'est brouillé pour des raisons qui paraissent désormais ridicules, retrouver un grand amour et constater que, si l'on ne vieillira pas ensemble, au moins le souvenir de la passion n'est pas vain, accepter finalement qu'on a déçu sa mère et qu'on n'aura jamais réussi à répondre à ses attentes, et surtout, surtout, dans une dernière partie vraiment réussie, retrouver le souvenir du premier désir, conjuguant fièvre (l'insolation, facile à blâmer…), sensualité, beauté et… découverte du geste artistique.
En mélangeant habilement ses propres souvenirs avec la vie fictive d'un réalisateur qui n'est pas tout-à-fait lui-même, en offrant à Banderas, qu'on n'a jamais vu aussi sensible, blessé, ce qui restera sans doute le rôle de sa vie, en parlant aussi frontalement de la douleur physique qui annonce l'approche de la vieillesse, un sujet bien peu traité au cinéma (un sujet qui certes n'attirera guère un public jeune...), Almodóvar réalise non pas un film testamentaire, puisqu'à la fin, le désir de créer revient, l'Art retrouve son sens, et le cinéaste retourne au boulot, mais un magnifique film "de rebond" : faire le bilan, pas folichon, d'une vie est avant tout l'occasion de repartir vers l'avant. Peut-être même d'être un peu plus vivant, parce que (partiellement) libéré de ces culpabilités, de ces regrets et de ces remords qui ont peu à peu grippé la machine du corps, bloqué les os et vrillé le cerveau.
La dernière scène, magnifique dans son maniérisme, dévoile tout l'aspect "méta" du film que nous venons de voir, et confirme que derrière ses oripeaux de confession et d'auto-biographie, "Douleur et Gloire" était en fait un pur geste d'auteur.
Almodóvar est toujours vivant, et c'est bien la meilleure nouvelle de ce film brillant.