"Les parias" d'Arnaldur Indriðason : noir, c'est noir !
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Les Parias serait a priori le dernier livre que l'immense Arnaldur Indriðason consacre à son héros, l’inspecteur retraité Konráð. Ce dernier poursuit son enquête sur le meurtre de son père, plusieurs décennies plus tôt, meurtre qui a conclu une période particulièrement traumatique de son enfance/ adolescence. Comme dans les romans précédents, il s'agit pour l'auteur de fourbir, d'approfondir sa lente et terrifiante autopsie du passé islandais. En faisant ressurgir les douleurs immondes enfouies sous les silences de la mémoire collective, en particulier les scandales liés à la pratique (présentée par lui comme) généralisée de la violence familiale, des abus et de la pédophilie, Indriðason semble vouloir avant tout régler ses propres comptes avec son pays, avec sa culture, avec son histoire... Plus qu'offrir un polar "classique" à ses lecteurs, en tous cas.
Les Parias débute lorsqu’une veuve découvre dans son garage un Lüger datant de la seconde guerre mondiale, qui semble avoir appartenu à son mari décédé, et que l'on découvre lié à un crime non élucidé : Konráð y voit une opportunité de résoudre, à sa manière (c'est-à-dire sans suivre aucune règle...), un cold case résultant des failles de la justice d'antan... mais il est surtout troublé de se souvenir de cette arme "exotique", qui a probablement appartenu à son père...
Comme tous les livres d'Indriðason, Les parias est lent, très lent presque immobile. Indriðason excelle dans l'entrelacement complexe de strates temporelles, dans la révélation progressive de vérités complexes, qu'il n'énonce jamais clairement... Et surtout dans les portraits (à charge, quand même) de monstres ordinaires et de leurs victimes, dont certains, comme les homosexuels violemment pourchassés, de figures à la dérive – ces exclus, ces « parias » du titre, que la société a rejetés et à qui l’auteur redonne leur place dans la mémoire islandaise, à sa manière, par la fiction.
L’action est diluée dans l’introspection, dans la mélancolie du non-dit. Les témoins de faits oubliés sont usés, errent dans la Reykjavik moderne, touristique, comme des fantômes. Les archives sont muettes. Le policier à la retraite apparaît de plus en plus antipathique, alors que le livre revient sur ses propres comportements alors qu'il était jeune et beaucoup moins "intègre" (à noter l'intéressant passage sur la Base américaine...). Il s'agit dans tous les cas d’interroger l’oubli, la mémoire, la responsabilité – individuelle autant que collective.
Les parias abrite trop de personnages, tresse une histoire à partir de trop de faits, dont beaucoup proviennent des livres antérieurs, que le lecteur aura peut-être oubliés : Indriðason ne nous facilite pas la lecture de son livre, n'offre aucun résumé des épisodes précédents (on n'est pas dans une Série TV sur Netflix !), ne revient jamais sur ce qu'il a raconté, explique très peu. La touche surnaturelle apparue depuis quelque temps rajoute une couche "d'histoire", mais achève de dérouter le lecteur rationnel. Les parias est difficile, semble ingrat, en plus de s'avérer profondément déprimant. Jusqu'à une toute fin remarquable, prenante, saisissante même, et émotionnellement forte.
Il est temps de faire nos adieux à un Konráð littéralement au bout du rouleau, finalement détenteur d'une vérité inutile et correspondant à ses pires cauchemars. Noir, c'est noir.