The Psychotic Monks à l'EMB (Sannois) le vendredi 10 mai
22h30 : l’obscurité s’est faite, un drone annonce la venue sur scène de The Psychotic Monks, clairement l’un des groupes les plus intenses – sinon le plus intense – en live de la planète ! Le quatuor s’affaire à triturer ses instruments, petit à petit le son se structure (un peu comme chez God Speed ! You Black Emperor, si l’on veut…), de minces faisceaux de lumière blanche percent occasionnellement l’obscurité : je réalise que j’ai eu de la chance, pour les photographies, à l’Astrolabe qui avait laissé quelques lumières, le groupe joue normalement dans l’obscurité quasi complète. Des explosions occasionnelles commencent à déchirer l’atmosphère, et on sent que se construit la tension, chez les musiciens qui se concentrent, comme pour entrer en transe, comme au sein du public (… en tous cas, la partie du public qui veut bien jouer le jeu, je remarque qu’il y a clairement des spectateurs qui s’excluent très vite du set…).
Quand la batterie se déchaîne, quand des éclats incendiaires de guitare désintègrent littéralement nos sens, quand les corps sur scène se tordent, dans des danses convulsives insensées, le choix est clair et net : il faut décider si l’on veut se laisser emporter par le courant de cette musique torturée mais extatique, et trouver de la jouissance dans cet abandon, ou bien… quitter la salle. Isolation est un exemple type de la musique actuelle de The Psychotic Monks, qui s’est éloignée des courants psyché qui l’abreuvaient encore un peu au départ : un morceau à la fois exigeant de par son absence de construction classique, mais encore “listerner-friendly” grâce à ses passages vocaux où subsiste une mélodie décharnée, à sa base rythmique qui peut évoquer un post punk poussé à bout. Isolation se termine bien entendu en chaos émotionnel, et lance la partie la plus jouissive du set, celle qui voit des rythmiques infernales nous ramener aux plaisirs simples du punk hardcore ou du metal le plus extrême : dans la salle, c’est évidemment la folie furieuse, il y a – même si le public est resté malheureusement clairsemé – un beau mosh pit en fusion. A ma gauche, une fille pète les plombs, alors que son compagnon tente de la calmer : mais peut-on réellement se calmer lorsqu’on a lâché prise et que l’on dérive corps et âme dans cet univers fracassé et infiniment douloureux qu’est la musique de The Psychotic Monks ? Les musiciens viennent chacun à leur tour au contact du public, dans une confrontation qui peut même sembler menaçante, ou bien, comme l’organiste / bassiste, pour venir jouer au milieu du mosh pit. Dans ces moments de frénésie où ne sort plus de notre gorge qu’un long hurlement muet, où la transe est devenue une délicieuse souffrance, on est prêt à juger que The Psychotic Monks ont atteint les sommets.
On entre alors dans la seconde partie du set, la plus exigeante peut-être, celle qui désoriente sans doute le public (…qui s’enfuit d’ailleurs peu à peu…) : la violence qui a précédé s’est tue, et les musiciens construisent lentement une architecture sonore qui évoque bien entendu les chantiers du post punk, même si l’on peut aussi identifier des traces d’un rock progressif à la Pink Floyd. Et, dans le noir omniprésent, s’élève un chant désolé, qui va monter lentement en intensité, jusqu’à la folie, jusqu’à l’épuisement : « There is something shining in my head / And I don’t know what it is ! ». Là, on en est tous à hurler de douleur, d’égarement aussi. La musique est redevenue un chaos intégral, un abîme de douleur, de déraison et de perte. Et tout s’arrête.
1 heure, et c’est tout. Une heure d’un labyrinthe musical hérissé de tessons de bouteille sur lesquels se sont tranchés nos poignets. Une heure libératrice aussi, qui nous a permis d’affronter nos hantises, nos frustrations, nos fantômes. La musique peut-elle être une psychanalyse sauvage ? Une question inhabituelle dans le Rock, mais une question que The Psychotic Monkeys, un groupe exceptionnel qui conjugue radicalité artistique et honnêteté émotionnelle, nous pose. Et répond, du même coup.
Nous sommes quelques dizaines seulement à leur demander de revenir. Les lumières rallumées, deux des musiciens reviennent nous dire que, non, c’est fini, mais qu’ils discuteront avec plaisir avec nous, après (… sous-entendu après avoir rangé le matériel…). Mais finalement, à part leur dire mon admiration éperdue, de quoi parlerions nous ? La musique a déjà tout dit.