"Aspirine" de Joann Sfar : "Je vous nique puis je ressuscite vos morts"
On sait bien désormais que le grand intérêt du travail, indéniablement impressionnant, colossal, du stakhanoviste Joann Sfar réside dans sa profusion, son étrange polymorphisme : alternant réflexions philosophiques - décalées mais souvent passionnantes - sur l'existence, la religion, etc. - et œuvres de pur divertissement fantaisiste, en passant par ce qui ressemble de plus en plus à des chroniques amoureuses, les nombreux livres de Sfar sont devenus pour pas mal d'entre nous des repères rassurants dans notre vie.
"Aspirine", one shot ou bien début d'une nouvelle série (on ne sait jamais avec Sfar), s'avère une sorte de pot-pourri de tout ce que son auteur fait, d'excellent comme de moins bon. Derrière une couverture au graphisme plus "classique" qu'à l'habitude, on retrouve l'univers - et la forme - de son regretté "Grand Vampire", l'histoire se focalisant désormais sur le personnage d'Aspirine, éternelle adolescente tourmentée : un sujet en or puisque les pulsion destructrices "normales" de l'adolescence deviennent pour le moins dangereuses quand elles tourmentent un être surnaturel aux pouvoirs immenses comme un(e) vampire tricentenaire !
Au cours des 140 pages de ce (trop long ?) volume, la rage inextinguible d'Aspirine va successivement entrer en collision avec un professeur de philosophie mignon mais irritant, avec de dangereux violeurs (car Aspirine, peau blanche et cheveux rouges, est évidemment sexy en diable !), avec sa grande sœur fort portée sur le sexe, avec d'autres personnages ressurgis des archives de Sfar (on vous les laisse découvrir), et surtout avec Yidgor, improbable fan des jeux de rôles traditionnels. S'ensuivent une savoureuse alternance de débats existentiels, avec cet habituel humour léger si typique de l'ancienne équipe de l'Association, et de scènes de violence ou de chaos qui prouvent que Sfar n'est pas plus imperméable que nous à l'imagerie envahissante des super-héros.
Il faut reconnaître que tout n'est pas excellent dans "Aspirine", et qu'on a surtout l'impression, comme souvent chez Sfar, que l'histoire avance sur le principe d'un maraboutd'ficelle vaguement négligent, d'autant plus irritant d'ailleurs que certains passages dégagent un mélange d'intelligence, de spiritualité et de poésie caractéristiques des meilleures créations de l'auteur. En l'état, voici donc un nouveau livre qui contentera largement les nombreux fans de Joann Sfar, mais ne lui gagnera certainement aucun nouveau suiveur !