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Le journal de Pok
10 janvier 2024

"we dust" de Trunks : de chaque côté de la vitre dépolie

we dust

On sait depuis toujours que « supergroupe » signifie avant tout « assemblage hétéroclite de musiciens à l’ego disproportionné essayant de faire autre chose que leur job normal dans un groupe reconnu avec un résultat systématiquement inférieur » : les exceptions à cette règle sont tellement peu nombreuses qu’ils sont profondément enfouis dans notre mémoire (existent-elles vraiment ?). On va peut-être pouvoir désormais une exception, d’autant plus intéressante qu’elle est « locale » (on parle d’un groupe de la scène rennaise) et actuelle : un nouvel album est sorti en octobre dernier, et Trunks, puisque c’est d’eux dont il s’agit, sont en train de confirmer sur scène leur validité à l’occasion d’une mini-tournée française pour supporter l’album.

Trunks sont donc un « supergroupe », puisque il est constitué de musiciens dont l’activité principale est exercée dans d’autres configurations : il y a là Laetitia Shériff (basse et chant) reconnue pour son travail en solo, Florian Marzano (guitare et chant) de We Only Said, Stéphane Fromentin (guitare) de Yes Basketball et Ladylike Lily, Daniel Paboeuf (saxo) de Marquis de Sade et DPU, et enfin Régïs Boulard (batterie) de NO&RD et Sons of the Desert. Trunks existent depuis 2003, mais existent-ils vraiment ? On pouvait en douter du fait d’un silence de plus d’une décennie… jusqu’à la sortie d’un nouvel album, we dust, en cette riche fin de l’année 2023.

we dust s’ouvre sur Les belles choses, une chanson littéralement brouillée, brouillée avec l’évidence, avec les codes : il y a ce chant atmosphérique qui devient lyrique, ce saxo qui s’invite sans pudeur, mais aussi ces guitares qui menacent, qui cisaillent, qui enflent pour évoquer une tradition « noise ». C’est un titre finalement efficace en dépit de sa non-familiarité initiale, mais ce n’est pas non plus un modèle pour le reste de l’album. Qui n’a pas peur d’être plus surprenant que ça, comme on le réalise immédiatement avec le second titre, Edgeways, qui cherche plutôt la dissonance expérimentale, dans un territoire pas très éloigné de celui des Psychotic Monks

La belle pochette de we dust évoque un paysage de plage estivale vue à travers une vitre dépolie, et, pour une fois, illustre avec justesse la musique qu’elle renferme. On a envie de qualifier cette musique – à laquelle, et c’est formidable, il est difficile d’appliquer des étiquettes qui ne se décollent pas au morceau suivant – de « post-rock avec des vocaux ». Comprenez une musique abstraite, occasionnellement proche de l’ambient, sur laquelle c’est parfois le saxo qui assure le chant, et parfois des voix humaines (celles de Laetitia et de Florian). L’idée est de faire naître dans la tête de l’auditeur un assemblage cohérent – mais aussi parfois antagoniste – d’images et de sensations, et, par là dessus de jouer sur des montées et des descentes en intensité. Bien sûr, en bon adepte de « musique Rock », on savoure d’abord particulièrement les moments de l’album où l’intensité – devrait-on plutôt écrire la puissance – de la musique culmine : c’est le cas de l’extraordinaire Blood on Poppies, peut-être plus classiquement rock en effet, ou, dans un registre opposé, de l’instrumental OBO, très jazzy, mais où c’est le saxo qui finalement monte au créneau et fait basculer le morceau vers l’incandescence.

Ce sont les moments où la musique de Trunks traverse le verre translucide et nous projette dans une réalité où le cœur et les poings se serrent, où le soleil estival brûle la peau. Mais il y a tous les autres, où la barrière entre ce qui est exprimé et ce que l’on en perçoit reste tangible, sans que cela signifie une perte de pertinence, seulement un brouillage entre ce qui est illusion (What is Fantasy, avant-dernier titre de l’album, plutôt rêveur) et ce qui est réel (What is Real qui s’avère peu à peu dur et tranchant, et conclut le disque en forme de paroxysme). Ce sont des moments tout aussi précieux, comme Norbor avec son lit de percussions virtuoses ou le très émouvant et très prog rock – dans sa démarche, pas forcément dans son résultat, qui est tout sauf long, complexe et pompeux – Memotrunks.

Voilà donc un album qui, même s’il prend plus que probablement ses sources dans un certain indie rock noisy des années 90, a su intégrer d’autres formes musicales et ne ressemble que peu à ce que l’on écoute généralement aujourd’hui. Un album qui fait souffler sur nous un doux vent de fraîcheur. Espérons ne pas avoir à attendre une autre décennie pour en découvrir la suite.

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