"Machine" de Thomas Bidegain et Fred Grivois : Tuer Bill et ressusciter Marx
Quelle mouche a-t-elle donc piqué Thomas Bidegain, Fred Grivois et leurs co-scénaristes d’écrire une histoire croisant Kill Bill avec la lutte des classes version années 70-80 (l’autogestion comme objectif d’un prolétariat qui aurait lu Marx plutôt que de suivre docilement les consignes de la CGT) ? Et comment ont-ils fait pour convaincre Amazon Prime de coproduire cet OSNI (objet sériel non-identifié) avec Arte ? Peu importe, mais au moins Machine prouve que les miracles – même tous petits – peuvent arriver dans l’univers pourtant ultra codé de la série télévisuelle.
Evidemment, la première scène, un wtf complet, laisse craindre qu’on ait affaire à un navet français de l’ORTF des années 70, mais les choses s’arrangent vite par la suite… même si la menace nanardesque ne disparaît jamais totalement, et ajoute finalement une certaine saveur au visionnage de Machine.
« Machine », c’est le féminin de « machin », une jeune femme qui a voulu disparaître dans la France profonde pour échapper à la traque lancée par les services secrets français, mais aussi par un militaire désaxé qui la tient responsable de la mort de son chef. « Machine », c’est surtout une ex-soldat rompue aux missions secrètes, surentraînée, mortelle quand elle use des arts martiaux, qui va se retrouver engagée dans un conflit social entre les grévistes d’une usine d’électro-ménager de l’Est de la France et les nouveaux actionnaires, coréens. La rencontre entre « Machine » et J.P., un ouvrier nostalgique des combats politiques du siècle dernier, va s’avérer déterminante… et mettre le feu aux poudres…
Chaque épisode s’ouvre, avec une ironie décapante, sur une phrase d’Emmanuel Macron, datant de 2017 : « Mon conseil à la jeunesse : lire Karl Marx ». Mais chaque épisode comporte aussi des extraits des textes du grand Karl, et de jolis aphorismes, délivrés par J.P., comme un brillant : "Marx et Staline, c’est comme Oasis avec les Beatles : ils se réclament d’eux, mais ils se gourent de partition !" . C’est JoeyStarr qui incarne J.P., et il est absolument formidable : se peut-il que le cinéma français ait un tel joyau à sa disposition, et qu’il ne l’utilise pas plus ?
Chaque épisode comporte aussi ses séances de bourre-pif, plutôt bien exécutées et filmées, qui font de « Machine » (Margot Bracilhon, étonnamment crédible !) une Beatrix Kiddo à la française (l’affiche de Machine reprend d’ailleurs les codes de couleurs, jaune et rouge, de Kill Bill). Et qui rendent indiscutablement la série très divertissante, en l’éloignant du « drame social » à la Ken Loach, pour aller vers quelque chose de plus délirant. Jusqu’à l’intervention finale d’une équipe de tueurs coréens qui renvoie aussi au cinéma d’action du Pays du Matin Calme.
Mais chaque épisode prend aussi le risque de raconter un peu n’importe quoi, avec le personnage du soldat désaxé qui traque « Machine », pas très bien interprété, il faut le reconnaître. Et d’inclure par là-dessus une romance parfaitement neuneu entre l’héritier de la famille coréenne et une soubrette de l’hôtel du coin. Ça passe ou ça casse : ça casse souvent, mais parfois ça passe, et on n’en demande pas plus !
Tout le monde n’appréciera pas la plaisanterie, c’est certain, mais dans l’univers des séries TV, Machine nous rassure quant à la possibilité pour des francs-tireurs d’infiltrer la… machine. Et c’est déjà beaucoup !
PS : Allez, une dernière vanne, pour la route : alors que les méchants capitalistes / politiques remercient un bon gros facho pour son aide d’un "Merci pour votre collaboration" , sa réponse sera : "De rien, c’est une tradition familiale !" . LOL. Ou pas.