Le journal de Pok

30 mars 2023

"Eye Contact" de Simon Beuret : le voyeur, en bleu

Eye Contact Couverture

Simon Beuret est un voyeur. Il nourrit son obsession du dessin par une autre obsession, observer sans être vu les gens qu’il croise dans la rue. Il les suit, les espionne, en évitant à tout prix le contact visuel, cet « eye contact » qui risque de le révéler à sa… proie. On peut penser à Mark Lewis, le cinéaste du Voyeur de Michael Powell, qui a besoin insatiable de cadrer les jeunes femmes qu’il rencontre dans le viseur de sa caméra. Heureusement, Simon, à la différence de Mark, ne tue pas ses « victimes ». Au contraire, il les abandonne une fois qu’il leur a volé ce qu’il cherchait, ce qu’il voulait retranscrire dans son dessin : leur singularité, leur âme en quelque sorte.

Eye Contact est un drôle de bouquin, et une drôle d’histoire : elle commence par une longue – trop longue sans doute – description des techniques de détective privé en filature qu’il utilise pour suivre ces inconnus et inconnues qui captent son attention, qui lui semblent dignes de son intérêt. Et puis un jour, quelque chose advient, la rencontre « de trop », qui va faire basculer le dessinateur dans un monde différent, mais tout aussi fantasmatique. Une jeune femme dont il n’a pas réussi à représenter correctement les yeux, le repère. Et se met à jouer avec lui, comme une chatte joue avec un petit rat. Est-ce le début de quelque chose de nouveau pour notre étrange obsédé ?

Eye Contact a quelque chose du polar fantastique, navigant dans les eaux troubles d’une semi-réalité quotidienne contaminée par des être fantastiques, dont on ne sait pas s’ils sont issus de l’imagination des protagonistes ou sont simplement des gens « ordinaires » surpris dans des situations extraordinaires. Eye Contact reprend aussi les codes classiques de la comédie hollywoodienne format « boy meets girl », avec ce fameux long chemin « bressonien » qu’il faut parcourir pour arriver jusqu’à l’autre.

Eye Contact est surtout, on le réalise assez vite, une célébration – pas toujours extatique, au contraire même – du travail du dessinateur qui doit donc regarder, observer ses semblables, avant de pouvoir réaliser ce dessin qui exprimera et transcendera en même temps leur réalité. En tant que telle, Eye Contact a aussi le charme d’un « work in progress », pas tout-à-fait parfait, pas tout-à-fait finalisé, avec, inévitablement, cette fin ouverte à tous les possibles, à toutes les nouvelles aventures, qui s’impose pour ne pas clore un tel récit.

Le dessin de Simon Beuret est à l’unisson de son sujet, à la fois suffisamment précis pour assurer une parfaite lisibilité et assez imparfait pour que l’esquisse demeure, pour que le fait qu’il ait été, quelque part, volé à une réalité observée subrepticement, corresponde au sujet de Eye Contact. Le bleu qu’a choisi Simon Beuret pour colorer uniformément son livre à la fois quelque chose de nocturnal, et donc inquiétant, mais aussi de paradoxalement agréable, douillet presque.

On le voit, Eye Contact est un concept tout autant qu’une BD. Son imperfection même – le lecteur trouvera certainement des choses à lui reprocher – fait partie de ce projet original, et passionnant.

Eye Contact extrait

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29 mars 2023

"Think of It" de Pamplemousse : Un nouveau volcan à la Réunion !

Think of It

Jacobins que nous sommes en France, nous avons du mal à même imaginer que le bon rock français puisse être autre qu’hexagonal. Victimes des plus vieux clichés du monde, nous imaginons les Français des îles plutôt portés sur les rythmes chaloupés, associés à la chaleur des tropiques. Pamplemousse est là pour nous rappeler, d’une bonne claque en travers de la figure, que la rage et la frustration ne sont pas l’apanage, voire la chasse gardée des citadins stressés de l’hexagone. D’ailleurs, si l’on considère la situation politique et sociale de nos départements et territoires d’outre-mer, comment pouvons-nous être surpris de la colère qui se dégage de la musique volcanique du duo réunionnais ?

Basés à Saint-Denis de la Réunion, Sarah Lenormand à la batterie et Nicolas Magi à la guitare et au chant se passent cette fois du renfort d’un bassiste : Pamplemousse était auparavant en format trio, et avaient produit deux albums notables, Unsane vs RL Burnside vs George Michael et High Strung. Ils se réclament sans vergogne, et surtout sans nostalgie aucune, d’un rock hardcore US millésimé années 90, et leur credo est, sans surprise : émotions fortes et brutalité sans retenue. Ce troisième disque ne marque aucun repli vers une position plus confortable, plus accueillante, et la plupart des neuf titres composant Think Of It sont d’une virulence sans concession.

On commence par un Mexican Boy frôlant la perfection en ce qui concerne la mise à feu d’une charge d’explosifs. Les choses ne se calment pas, au contraire, avec Empty Pool et Derry, Maine (hommage à Stephen King ?), et il faut attendre le formidable One Million Doors pour réaliser que Pamplemousse sait aussi écrire des… chansons moins extrémistes : en fait, à ce moment-là, il y a quelque chose des Pixies de Surfer Rosa dans la manière négligente dont la voix, qui est un tantinet moins enragée (même si Nicolas s’y entend pour hurler à la manière de… Frank Black, justement), porte une mélodie accrocheuse.

Dans le même ordre d’idée, on pourrait bien imaginer que le lourd et sanglant Fat Hollywood est un titre non publié des sessions de Trompe le Monde (c’est, de notre part, un compliment !). Vicious Mind est peut-être le titre qu’on a le plus envie de retenir de l’album, parce qu’il résulte d’une accélération punk parfaitement satisfaisante, et aussi parce qu’on aime bien son moto : « I am a danger to anyone beside me » (Je suis un danger pour quiconque m’approche !). Cactus ralentit à nouveau le rythme, valse noisy pour nous faire danser au bord d’un chaos traversé de chutes de météorites, qui prend une étonnante ampleur au fil des minutes, et prouve s’il en était encore besoin que Pamplemousse peuvent évoluer. I’m Not Dietsch évoque le chaos grunge désespéré d’un Nirvana débutant, avant une conclusion étonnante : la très belle Ballade de Steve (avec un texte en anglais, quand même…) adopte une forme de redescente quasi mélancolique, remarquablement cinématographique, avant que la guitare ne nous rappelle que Pamplemousse maîtrise le « noise ».

Pamplemousse a fait la première partie du dernier concert de Fuzz au Trabendo, et n’a pas démérité devant un public pourtant avide de voir l’idole Ty Segall à l’œuvre : une autre preuve s’il en fallait de la maturité d’un groupe qu’il va falloir suivre de près.

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28 mars 2023

"La Dernière Ville sur Terre" de Thomas Mullen : pandémie, guerre et capitalisme… en 1918 !

La Dernière Ville sur Terre couverture

La Dernière Ville sur Terre n’est pas un ouvrage de Science-Fiction, mais il a pourtant toutes les caractéristiques des meilleurs livres du genre : il nous offre à travers un récit dépaysant, dans une cité imaginaire, une peinture – et une réflexion – pertinente, stimulante de certains des plus grands maux dont nos sociétés souffrent aujourd’hui : la montée en puissance du fascisme dans un contexte de guerre lointaine et menaçante, les tensions et les affrontements sociaux, souvent violent, dans une société au capitalisme non régulé, et la façon dont une pandémie dévastatrice met à jour, en confinant et en isolant les individus, le pire de l’âme humaine. Le fait que la Dernière Ville sur Terre ait été écrit en 2006, donc bien avant le Covid et l’Ukraine, est clairement à mettre au crédit des qualités visionnaires de son auteur américain Thomas Mullen, encore peu connu chez nous, malgré la renommée aux US de sa trilogie Darktown… Et nous rappelle que le rôle de la meilleure littérature, de SF mais pas que, bien entendu, celle qui prend le monde à bras le corps, est bel et bien de prévenir plus que de guérir.

La Dernière Ville sur Terre a été réédité dans une collection, Rivages Noir, plutôt dédiée aux thrillers et aux romans policiers, ce qui peut lui apporter des lecteurs goûtant ce genre de littérature, qui risquent toutefois d’être déçus et par l’absence d’énigme à résoudre et par le peu de violence ou même de tension typique du genre, au long de ses 560 pages… Mais ce qui pourrait priver le livre d’une reconnaissance plus universelle, qu’il mérite à notre avis.

On est en 1918, dans une petite ville nommée Commonwealth (« le bien commun »), dédiée à la coupe forestière et à la fabrication de bois de construction, et née dans l’Etat de Washington, dans l’extrême Nord-Ouest des USA, du rêve utopique d’un couple, Charles et Rebecca Worthy, qui souhaitaient prouver qu’il était possible de créer une industrie ne respectant pas les règles en train de s’établir du capitalisme sauvage. Une utopie « socialiste », pas tout-à-fait collectiviste, mais visant au moins à une meilleure répartition des richesses dans la société. Mais ce rêve va être ébranlé, et peut-être irrémédiablement compromis par la propagation de la grippe espagnole (qui fit, rappelons-le, entre 20 et 100 Millions de morts entre 1918 et 1919 !), forçant la ville à un strict confinement, mais également par la haine des miliciens d’extrême-droite de la grande ville voisine, armés par les puissants propriétaires d’une scierie concurrente.

Le récit est – assez relativement quand même – centré sur le personnage de Philip, fils adoptif de Charles, qui va se voir forcé de faire des choix déchirants quand il est envoyé avec son ami Graham garder la route d’accès à Commonwealth confinée, pour empêcher l’entrée d’étrangers pouvant apporter la pandémie en ville. Mais le plus saisissant et ce qui marquera, sans doute inévitablement, le lecteur est la description de la propagation de la grippe espagnole et de ses effets effroyables sur ses victimes. Pour le reste, la Dernière Ville sur Terre est un livre psychologiquement très complexe, construit en un crescendo régulier débouchant sur un dernier tiers haletant (c’est peut-être là l’aspect « thriller » du livre ?), qui prend le temps de nous faire connaître et même aimer une multitude de personnages finalement assez exotiques pour nous. On mesure la distance qui nous sépare désormais de ce petit peuple souffrant et luttant dans une Amérique naissante et brutale, mais évidemment aussi combien, malgré le siècle qui s’est écoulé, leurs préoccupations sont proches des nôtres. Quant au contexte historique lui-même, assez peu connu comme le pointe Mullen dans son excellente postface, il est passionnant.

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27 mars 2023

dEUS à l'Elysée Montmartre (Paris) le samedi 25 mars

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C’est à 20h40 que Tom Barman et sa bande pénètrent sur scène, sous une immense ovation : les fans français de dEUS sont là (même si l’on doit bien compter un bon contingent de Belges dans la salle), et ils sont nombreux ! On attaque par la remarquable – et impressionnante - intro du nouvel album, How To Replace It, avec ses tambours martiaux et Barman, désormais moustachu, qui récite son texte avec son habituel magnétisme : c’est parti et on sait déjà qu’on ne sera pas déçus. « I came back from a firestorm / News from the deadzone » : c’est Must Have Been New, et aussi la confirmation, si besoin était, que la soirée sera largement consacrée au dernier album de dEUS, dont Barman déclare sans fausse modestie qu’il est fantastique.

Il faudra attendre le sixième titre de la setlist pour revenir aux origines du groupe, un W.C.S. (First Draft) reptilien, qui finit par exploser (« It’s the first draft of the worst case scenario ! ») qu’on a plaisir a réentendre. Mais peu importe, même si certains fans de la première heure se déclareront finalement déçus par une setlist consacrée quasiment uniquement aux albums récents du groupe : même sur les morceaux les moins passionnants, il y a quelque chose de presque magique dans la manière dont l’énergie naît dans la chanson, et se déploie, soit sous la forme d’un déluge électrique, soit de pointes d’émotion. Il se passe toujours quelque chose pendant chacune des chansons jouées par dEUS sur scène. Et puis, et ce n’est pas un détail, il y a toujours un son et des lumières remarquables, garantissant une immersion totale…

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Bien sûr, et tous ceux qui ont assisté une fois dans leur vie à un concert de dEUS le savent, le moment-clé est toujours Instant Street, et son très long final conjuguant chœurs du public qui s’en donne à cœur joie et hystérie électrique. Le fait que le groupe ne garde pas son morceau « anthémique » pour la fin mais le place en général au milieu du set permet de relancer l’énergie dans la salle au moment où typiquement, les concerts en passent par leur ventre mou, et de faire défiler la seconde partie des morceaux avec une ferveur qui ne s’épuisera pas avant la fin. Et ce soir, ce sera particulièrement vrai : avec les deux guitares et le violon en mode furie, c’est un IMMENSE moment de musique que dEUS nous offrent. Le genre d’extase qui fait que nombre d’entre nous diront en sortant : « c’était le meilleur concert à date de 2023 ! »… Ce qui n’est pas forcément vrai, mais témoigne de l’enthousiasme total que déclenche Instant Street… magnifiquement enchaîné, qui plus est, ce soir, avec un Fell Off the Floor, Man percutant.

Quatre Mains rappelle que dEUS est excellent en français aussi (« Il y a une distance à rêver entre la peau / Et l’éternité »), avant que Sun Ra ne vienne boucler le set principal dans un chaos de guitares déchaînées. Rappel de haut niveau avec le très beau Roses (« She treats me, she treats me like her local god »), son romantisme, ses coups de colère et sa plongée vers le chaos, puis le romantisme épuisé de Love Breaks Down, et enfin le maelstrom post-punk de Bad Timing.

Un peu moins d’une heure quarante d’une performance live impeccable, exceptionnelle par instants, d’un groupe qui avait eu la morgue de s’appeler « Dieu », mais qui, quelque part, tient ses promesses : dEUS sont désormais aussi légendaires que Tintin !

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26 mars 2023

"Apaches" de Romain Quirot : sortir de la salle ou pas ?

Apaches affiche

Apaches est très certainement l'un des plus mauvais films que j'aie vus de toute mon existence. Rien ne fonctionne, tout est mauvais, et serait risible la plupart du temps, si ça n'était pas franchement déplaisant parfois : la scène de bagarre dans le bar entre "l'héroïne" et le tenancier du bar est du pur WTF, dégueulasse de surcroît, annonçant la déroute qui va suivre. Mais on aurait pu s'en douter dès le générique qui utilise I Wanna Be Your Dog comme musique, et l'irritant récit en voix off qui débute l'histoire...

Si l'on veut faire une liste de tout ce qui ne va pas dans le film, il est difficile d'être exhaustif : un scénario qui ne fait aucun sens, ne respecte aucune vérité historique, avec des comportements des protagonistes qui ne répondent à aucune logique, aucune psychologie cohérente, des acteurs qui - évidemment - luttent pour leur personnage (et échouent), des dialogues anachroniques, une mise en scène qui privilégie les effets faciles au dépend de la narration et de la lisibilité des situations, une image d'une laideur confondante, un BO absurde (impossible de ne pas se sentir gêné quand les danses populaires de l'époque sont représentées avec en fond sonore du rockabilly chanté avec un accent français hilarant ! Et ça n'a même pas l'air d'être du second degré, juste du sous-sous-sous-Baz Luhrmann)... N'en jetez plus !

Mais même toute cette médiocrité, que l'on serait disposer à oublier - après tout, il y a eu des milliers de films vraiment mauvais au cours de l'histoire du cinéma -, ne peut excuser l'inexcusable : cette scène montrée comme un court-métrage burlesque des débuts du cinéma, où "les Apaches" exécutent des badauds lors de l'exposition universelle est d'une obscénité sans nom (et ce n'est pas le fait de "justifier" cette exécution, présentée comme "amusante" en l'expliquant comme un désir de libérer les Africains exhibés comme des animaux sauvages, qui va nous la faire avaler...). Ne pas sortir de la salle quand on vous inflige de telles choses est-il un acte de courage ? Je me le demande encore, vu la manière dont Apaches m'a durablement déprimé.

 

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25 mars 2023

Temples au Kimpton St Honoré (Paris) le mercredi 22 mars

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21h25 : Un rapide coup d’œil aux mini setlists scotchées sur scène confirme nos craintes : avec 8 titres seulement, on ne dépassera clairement pas les 45 minutes maximales ! Trois des quatre titres d’Exotico, le nouvel album à paraître, qui seront interprétés ce soir sont en fait déjà connus, car déjà sortis en singles… Pour compléter leur setlist, Temples ont sélectionné un titre de chacun de leurs trois albums, et un single de 2020, Paraphernalia.

On est évidemment inquiet, vu les problèmes de la première partie, mais ce sera inutile : le son, évidemment électrique avec les deux guitares énergiques et mélodieuses de Temples, est cette fois d’un niveau élevé, et, du premier rang au moins, plutôt bon. La proximité avec les musiciens du fait d’une scène basse, de l’absence de retours sur scène (pas la place, le pied du micro de James Bagshaw est même posé sur le sol de salle !) et de l’absence de recul, est un plus indiscutable offert par la configuration.

Très élégamment vêtus, dans leur habituel style un peu rétro / années 60 en ligne avec leur inspiration musicale, les musiciens arborent aussi des coiffures à la mode de l’époque, à l’exception du batteur qui s’est coupé les cheveux très courts. James Bagshaw semble encore plus frêle que la dernière fois où nous l’avons vu sur scène, au Cabaret Sauvage en mars 2019 (l’un des derniers concerts avant que le Covid n’arrête tout !). Gamma Rays est une introduction toute en douceur au nouvel univers de Temples, plus atmosphérique, plus planant, mais par rapport à la version studio, et peut-être parce que nous sommes placés en face de Bagshaw, les claviers semblent moins prépondérants, et on apprécie son final énergique. Evidemment, c’est la mélodie accrocheuse du délicieux Certainty qui marque réellement le démarrage du set, et nous rappelle que Temples est quand même un fantastique groupe de pop music : Certainty est le genre de chanson parfaite après laquelle Tame Impala court en vain depuis ses débuts, et on se demande bien pourquoi Temples n’a pas le même succès planétaire que Kevin Parker. Cicada, le meilleur des quatre titres extraits du prochain album, déboule ensuite sur une rythmique puissante et s’élève en magnifiques arabesques orientalisantes. Ce sera sans doute – et un peu trop tôt - le sommet du set. Le refrain est, dès la première écoute, imparable : « I hear them every night / They echo into sight / They sound the symphony / A song so deafening / They circle far and wide / And in your mind define / Beneath the hollow sun / Cicada has begun » (Je les entends toutes les nuits / Leur chant résonne autour / On dirait une symphonie / Une chanson si assourdissante / Elles tournent au loin / Et dans ton esprit définissent / Sous le soleil creux / Les cigales ont commencé à chanter). L’un des meilleurs titres de Temples à date…

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Hot Motion nous ramène sur un terrain plus connu, énergique mais finalement plus convenu aussi. Oval Stones est la première vraie découverte de ce soir, mais ne nous frappera pas particulièrement à première écoute. Paraphernalia, très orientalisant lui aussi, est un single qui était passé largement inaperçu au milieu de la pandémie, en 2020, et sonne finalement comme une chanson de transition entre l’album précédent et l’univers d’Exotico. Afterlife est une chanson à la fois mélodique, mélancolique et lyrique, du genre qui aurait pu affoler les charts il y a trois décennies de ça. Shelter Song, la chanson la plus connue du groupe, clôt le set, sous les applaudissements des quelques fans présents dans la salle. Il n’y aura pas de rappel.

40 minutes, et c’est bouclé ! La frustration est forte, ce set n’a été qu’un avant-goût du véritable concert de lancement de l’album, pas encore annoncé à cette date. Le public est resté très calme, peu engagé dans un set pourtant convaincant, et le groupe lui-même n’a pas essayé « d’allumer le feu », sans doute lucide vis-à-vis du public de la soirée. Il demeure que, en huit chansons, Temples ont confirmé qu’on n’avait aucun souci à se faire pour leur avenir musical, et qu’on pouvait attendre Exotico avec confiance.

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24 mars 2023

"Servant - Saison 4" de Tony Basgallop : les plaisanteries les plus courtes... (bis)

Servant S4 affiche

The Servant, c’est fini. D’ailleurs Basgallop est déjà passé à autre chose : The Consultant, dans un registre finalement assez similaire, où il répète le même genre de mécanisme qui fait à la fois l’attrait (c’est original et surprenant !) et les limites de son style (l’accumulation produit un fatigant effet de grand n’importe quoi). Quant à Shyamalan, peu impliqué ici – a priori, seulement la réalisation de l’avant-dernier épisode, Awake, plutôt réussi d’ailleurs en termes de tension créée à partir de peu de choses – on sait bien qu’il se consacre à la difficile réhabilitation de sa crédibilité cinématographique.

Rappelons que Servant, c’est l’histoire de Dorothy, une jeune femme (Laurie Ambrose, irrégulière, parfois impressionnante, d’autres fois caricaturale) dont la raison a basculé à cause du décès de son bébé. Et de l’irruption au sein d’une famille bancale (Dorothy, Sean son mari, chef très médiatique, et Julian, son frère toxicomane incontrôlable et pusillanime) de Leanne, une nounou aux pouvoirs mystérieux qui va entraîner la maison, puis le quartier, et peut-être bien la ville de Philadelphie toute entière dans un chaos croissant.

On pourrait se contenter de faire un copié-collé de tout ce que l’on a déjà écrit sur la saison 3 de Servant, tant qualités et défauts restent inchangés au long de ces 10 derniers épisodes. Dix épisodes qui vont du meilleur, comme le premier, Pigeon – réalisé par l’inconnu Dylan Holmes Williams – brillant exercice de terreur hitchcockienne, citation des Oiseaux comprise – au pire, comme, malheureusement, le dernier, Fallen, dont on promet qu’il générera la colère de quasiment tous les téléspectateurs, tant il brade les pistes possibles d’interprétation de l’histoire contée dans toute la série au cours d’un final convenu, digne d’un film d’horreur de série Z…

Malgré cette déplorable conclusion, qui garantit que nous ne garderons pas un bon souvenir de la série, on pourra prendre un certain plaisir devant certains délires, régulièrement assez drôles, proposés par Basgallop et son acolyte scénariste Laura Marks : le sommet est atteint au cours de Zoo (6ème épisode) décrivant une fête d’anniversaire particulièrement désastreuse.

On aura aussi dressé l’oreille durant Myth, un septième épisode intéressant, puisque proposant, par la voix de l’oncle George (Boris McGiver, qui a fait du bon boulot à chacune de ses apparitions) une relecture rationnelle de toute l’histoire… Relecture qui finalement ne s’avère qu’un truc de scénariste, malheureusement. On dit malheureusement parce que c’est bien là que se loge le problème fondamental de Servant : en ne choisissant pas entre surnaturel « classique » (les démons, la possession, tout ce genre de choses) et thriller réaliste (Leanne comme stalker – perturbée par une enfance abominable – de Dorothy), Servant n’est pas intelligent, juste confus.

Il est bien temps de passer à autre chose. Et de laisser la fin ridiculement ouverte (mais sur quoi ?) du dernier épisode rester définitivement sans suite.

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23 mars 2023

"Luther – Soleil déchu" de Jamie Payne : la première aventure de l’agent 008 ?

Luther Soleil Déchu Affiche

En 2010, quand la « petite » série anglaise Luther est apparue sur les radars, l’enthousiasme a été général : Idris Elba, qui est quand même l’une des meilleures illustrations cinématographiques de ce qu’est le charisme, y renouvelait joliment le cliché du flic torturé, voire déséquilibré, aux méthodes très discutables, mais très efficaces. A la cinquième saison, la série, usée jusqu’à la trame, s’arrêtait sans panache et sans gloire… C’est donc avec une certaine surprise que l’on découvre que Netflix a relancé le personnage, avec un long-métrage de plus de deux heures, Luther: The Fallen Sun (Le Soleil déchu, en traduction française) : on ne peut guère douter qu’il s’agisse d’une tentative purement commerciale de créer une nouvelle franchise avec un personnage aimé du public, en le boostant grâce à un budget autrement plus conséquent que celui des modestes « teléfilms » de la BBC, mais on se laisse, évidemment, tenter…

On s’inquiète que la réalisation du film ait été confiée à Jamie Payne, qui ne s’est jamais fait particulièrement remarquer dans les séries TV qu’il a mises en scène (The Alienist, Invasion…), mais force est de constater, dès le début du film, qu’il sait injecter du punch dans cette histoire de super-méga-psychopathe recrutant ses victimes, mais aussi ses suiveurs / spectateurs via un contrôle absolu qu’il tire de l’exploitation de leurs informations personnelles récupérées sur Internet. Les premières scènes du film, très réussies, laissent espérer un thriller de très bonne tenue, et ce d’autant qu’on est franchement ravi de retrouver Idris Alba, sa présence physique monumentale, sa voix légendaire, dans le manteau élimé du DCI Luther, toujours aussi brillant et encore plus dans l’ennui (il se retrouve en prison, cette fois !).

Il nous faut malheureusement déchanter : plus le film avance, à marche forcée derrière, enchaînant sans nous laisser jamais reprendre notre souffle les péripéties spectaculaires et… ahurissantes, plus on a l’impression d’être à bord d’une machine infernale lancée sans que nul ne contrôle plus rien ! Les invraisemblances s’accumulent de manière exponentielle, et on ne parle pas seulement des délires géographico-temporels, qui permettent aux personnages de passer de Londres au nord de la Norvège via Douvres (pour prendre un ferry qui n’existe d’ailleurs pas entre les deux pays !) en l’espace de quelques heures, mais aussi de la disproportion absurde entre les actions du serial killer et les moyens qu’il faudrait pour les réaliser et les mettre en scène comme il le fait. Bref, on est passé sans coup férir du petit thriller poisseux dans les rues londoniennes mal éclairées à la superproduction jemesbondesque avec un méchant quasi-maître du monde, dans le rôle duquel Andy Serkis, vraiment peu subtil pour le coup, cabotine effrontément.

Les scènes d’horreur s’empilent (c’est le propos du film, le voyeurisme qu’Internet favorise, mais il est difficile de condamner quelque chose en l’exploitant, on le sait depuis toujours), l’action ne s’arrête jamais, Luther – tel le super héros moyen – survit à toutes les blessures imaginables (un coup de couteau dans le ventre ? Rien qu’un peu de superglue ne puisse résoudre instantanément !)…

Il faut admettre que le film nous emporte régulièrement avec lui dans ses délires, que les dernières scènes, même si elles ont vaguement ridicules, exploitent joliment la splendeur des déserts glacés de la Scandinavie. On peut même, honteusement, reconnaître que l’on ne s’est pas ennuyé pendant les 2 heures de Luther – Soleil Déchu. Mais pourquoi a-t-il fallu que Neil Cross (le showrunner de la série, rappelons-le) pousse ainsi tous les curseurs dans le rouge, se livre à tous les excès possibles et imaginables à partir d’une idée initiale pas mauvaise, et fasse autant fi de la vraisemblance.

La dernière scène, ouverte sur un futur différent pour John Luther, donne la réponse et confirme notre intuition : c’est bien à la naissance d’un nouveau James Bond que nous venons d’assister. Même si Idris Elba a régulièrement répété qu’il ne reprendrait jamais le rôle de 007, il vient clairement de céder aux avances de Netflix : attendons la suite, avec pas mal de craintes…

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22 mars 2023

"L’enfer en bouteille" de Suehiro Maruo : affreux, sales et méchants…

L Enfer en Bouteille Couverture

Bénéficiant déjà d’une première édition en France en 2014, voici que reparaît le stupéfiant l’Enfer en Bouteille, de Suehiro Maruo, maître japonais de l’érotisme morbide (mêlé de critique sociale, ce qui ne gâche rien…). C’est donc l’occasion parfaite pour qui ne connaîtrait pas encore de génie – ici, c’est le seul terme qui puisse venir à l’esprit, en l’accolant sans doute aux adjectifs de circonstances, comme « malade », « pervers », etc. – de se plonger dans l’une des œuvres les plus terribles du 9ème Art.

En France, Maruo reste un mangaka relativement peu connu, sans doute parce que son œuvre est destinée aux adultes, mais aussi parce qu’elle est excessivement malaisante. Au Japon, un pays où le rapport culturel avec la sexualité est bien différent du nôtre, Maruo est le visage du genre « ero-guro », où l’érotisme est mêlé au fantastique, à l’horreur, le tout baigné d’un humour qui ne fait généralement que peu rire les Occidentaux, tant il donne envie de grincer des dents. C’est d’ailleurs plutôt grâce à ses adaptations – célébrées – des œuvres de l’écrivain Edogawa Ranpo, comme l’Ile Panorama que Maruo a gagné un peu de reconnaissance chez nous, alors que ce que démontre cet Enfer en Bouteille, peut-être plus encore que le magnifique Tomino la Maudite publié par Casterman en 2021, c’est que Maruo est encore plus implacable lorsqu’il écrit ses propres scénarios !

Prenez par exemple Pauvre Grande Sœur, la dernière des quatre « nouvelles » constituant ce recueil. Voici le récit insupportable du destin atroce de deux adolescents jetés à la rue par l’ignominie d’un père : après avoir réduit sa fille à une rôle d’esclave domestique, il veut amputer les quatre membres de son fils attardé mental pour le vendre à une baraque de foire comme monstre forain, pas moins ! Pauvre Grande Sœur se clôt de manière suspendue et d’autant plus glaçante, alors que les deux victimes sont emportées vers un destin funeste. Il s’agit là probablement du plus pur chef-d’œuvre du recueil, et on aura un peu de mal à s’en remettre.

L’enfer en Bouteille, adapté d’une nouvelle de Kyûsaku Yumeno, constitue une introduction plutôt « soft », décrivant à demi-mot les tentations incestueuses entre deux enfants, frère et sœur, seuls rescapés d’un naufrage et vivant sur une île. Mais l’histoire est-elle aussi limpide qu’on en a l’impression à la première lecture ? Il convient de la reprendre pour essayer de comprendre ce qui se joue entre les différentes bouteilles jetées à la mer par les naufragés : on tient là un exemple parfait de la manière remarquable dont Maruo manipule son lecteur. Ou pas.

La tentation de Saint Antoine est une adaptation facétieuse d’un texte religieux du IVème siècle, qui a déjà inspiré de nombreux peintres, et en premier lieu Salvador Dali que Maruo cite graphiquement. La méchanceté incessante du petit peuple entourant un bon abbé victime de plaisanteries pendables, mais aussi de coups et d’injures, fait d’abord rire, jusqu’à ce que « la coupe déborde », et que notre dégoût monte vis-à-vis d’une humanité aussi détestable. Derrière l’humour, il y a là un pessimisme, voire un nihilisme effrayant.

Le passionnant les Gâteaux de Riz de la Fortune est une sorte de thriller dans un univers de bidonvilles rappelant aussi bien Dodeskaden de Kurosawa que Affreux, Sales et Méchants (un sous-titre parfait pour ce recueil, d’ailleurs !) de Scola : un couple d’amants espionne un masseur misanthrope pour découvrir où il cache son magot et l’en dépouiller. Et tout se finira, bien entendu, dans une débauche d’ignominies, de tripes et de sang.

Comme toujours chez Maruo, le dessin est sublime, la perfection des corps et des visages tranchant avec la noirceur des âmes, et les vision érotiques, voire pornographiques, même si elle sont brèves, renvoient le lecteur ou la lectrice à son voyeurisme, d’autant plus honteux que les personnages désirables sont forcément des victimes dont on abuse ou des bourreaux répugnants.

« Vous qui ouvrez ce livre, abandonnez toute espérance » : la phrase célébrissime de Dante s’applique parfaitement à cette autre sorte d’enfer que Suehiro Maruo débouche pour nous.

L Enfer en Bouteille Extrait

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21 mars 2023

"Full Of Joy" de Clavicule : une explosion de joie… ou de fureur ?

Full of Joy 1280x1280

S’il y a un peu moins de 3 ans, les Rennais de Clavicule faisaient le constat que « le garage rock était mort » (sans en penser un mot !), ils nous reviennent cette fois « remplis de joie » : faut-il les croire cette fois-ci ? Pas certain, si l’on en croit des titres de chansons comme Painkillers ou Destroy Me Again ! La magnifique pochette qui enveloppe le bel objet qu’est ce second album de l’un des groupes phares de la scène indépendante française – il suffit de les voir sur scène pour en être absolument convaincus – est d’ailleurs relativement explicite à ce sujet : la joie et la beauté que vous avez en vous peut littéralement vous faire exploser, vous tuer, non ?

Par rapport au déjà excellent Garage is Dead, on reste ici dans une veine similaire, de combinaison de punk rock, de rock psyché et de… garage rock, donc : toujours aussi violente, toujours aussi furieuse, la musique de Clavicule continue à s’ouvrir aux styles musicaux adjacents. Plus traditionnellement punk rock à certains moments, avec des riffs rapides, tranchants et mélodiques (I Will Let You Know est une véritable merveille, une cavalcade effrénée mais lumineuse !), plus psyché ou grunge à d’autres (Destroy Me Again, qui peut évoquer le Nirvana des débuts, en moins accablant quand même…), voici un autre album parfaitement satisfaisant.

Même si l’on peut toujours chicaner sur les vocaux, qui ne sont toujours pas le point fort du groupe, les textes des chansons prennent de l’importance (enfin, si, occupés à pogoter frénétiquement comme on est, on veut bien les écouter !) : les musiciens de Clavicule sont des jeunes gens de notre époque, et sont comme chacun d’entre nous préoccupés par la situation de la planète, par les conflits qui déchirent notre monde, et par la souffrance que nous pouvons ressentir par rapport à tout ça. Attention, on n’est pas dans le prêchi-prêcha à la U2, mais dans la reconnaissance que le Rock, même – ou surtout – lorsqu’il est violent et brutal, est porteur d’un véritable sens. Et est une musique intime, qui parle personnellement à ceux qui l’écoutent, qui ne peut pas se contenter de stéréotypes généraux sur l’amour et la réussite sociale.

Le morceau le plus caractéristique de cette approche ambitieuse de la musique est Wilted Flowers, sorti en amont de l’album : plus de sept minutes de rage grunge, dérivant sur des notes orientalisantes, pour fustiger – aidé en cela par un clip vidéo complexe de Killian Eon – l’inaction générale par rapport aux dommages irrémédiables causés par l’humanité aux écosystèmes. Ceci dit, on peut préférer quand même le plus radical Rockets, avec une explosion finale qui frôle l’exceptionnel, et qui réussit à transcrire sur vinyle la force irrépressible du groupe en live : le genre de titre qui prouve que le groupe en a vraiment sous la pédale…

Terminons sur une note humoristique – car les musiciens de Clavicule ne manquent surtout pas d’humour, et savent rester positifs même en consacrant un album comme ce Full of Joy aux aspects les plus enrageants de notre époque : le groupe peut concourir sérieusement à l’oscar du meilleur titre de chanson de 2023, avec Queen Blizzard & The Sitar Guitar. Cette chanson, clin d’œil aux maîtres australiens du psychédélisme – évoqué à travers des accords orientaux se mêlant aux riffs de guitare les plus brutaux –, montre en tous cas la versatilité de Clavicule. On peut attendre sans crainte un troisième album qui aille encore plus loin et matérialise tout le potentiel des Rennais !

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