"Des gens drôles" : questionner la « fabrique » de la drôlerie à l’écran…
On l’oublie trop souvent, lorsque le cinéma est né, il n’y avait que deux « vrais » raisons fondamentales pour réaliser un film : 1) faire rire les spectateurs – 2) leur faire peur (l’honnêteté nous oblige à ajouter que, très vite, il y a eu aussi l’érotisme et la pornographie via des films circulant sous le manteau !). Plus d’un siècle plus tard, les choses ont-elles vraiment changé, en dépit de l’intellectualisation du discours cinématographique et des velléités artistiques des créateurs ? Mais si faire peur semble toujours aussi facile, faire rire est un défi d’une autre envergure : nombre d’entre nous, cinéphiles passionnés, regrettons régulièrement que le burlesque n’ait pas fait de notables progrès depuis Chaplin et Keaton, ou que la comédie de mœurs et de situation n’atteigne plus que très, très rarement, les hauteurs qui étaient celles de Lubitsch ou Wilder. Pourtant, les gens rient toujours dans les salles obscures, devant des films réalisés par d’autres gens qui ont oublié, ou même ne connaissent pas « les Grands Anciens », et s’affairent, tournant le dos à l’héritage de décennies de cinéma, à « fabriquer de la drôlerie » à partir d’autres sources et d’autres médias : la télévision, le café théâtre, Internet bien entendu, mais aussi le stand up, grosse référence de notre époque…
L’équipe de Playlist Society s’est donc intéressée pour Des gens drôles, ce nouveau volume de leur collection Face B, à 7 cinéastes – reconnus ou non, œuvrant dans le cinéma populaire ou même le cinéma d’auteur : Michel Hazanavicius (Coupez !), Sophie Letourneur (Voyages en Italie), David Marsais (les vedettes) du Palmashow, Judith Davis (Tout ce qu’il me reste de la révolution), Jean-Pascal Zadi (Tout simplement noir), Emilie Bolet (Bis Repetita) et FloBer (Nous les Leroy)… Chacun a répondu à des questions tournant, logiquement, autour de l’inspiration, puis du processus de création d’un film comique, de l’écriture au montage en passant par la mise en scène et le filmage. Avec comme objectif, peut-être, de trouver des réponses à cette question fondamentale : « Comment faire rire le public (français en l’occurrence) en 2024 ? ».
7 entretiens passionnants, avec, sans que ce soit surprenant, une indéniable convergence sur les aspects techniques, ce qui pourrait prouver que les vieilles règles sont restent valides, quelle que soit la culture et l’époque : on parle souvent ici de rythme, de pertinence sociétale ou d’implication personnelle, de générosité vis à vis de l’autre, de tout ce qui, dans le rire, élève l’Homme plutôt que de le rabaisser. Ce qui change, ce sont plutôt les références, les nouvelles générations de réalisateurs se référant soit aux films de leur petite enfance (avec, au pire, le pénible De Funès comme totem, ou, au mieux, la Bande du Splendid), soit, très largement, à l’école US du Saturday Night Live et à Judd Apatow.
Finalement, le seul problème de ce livre « collectif » absolument passionnant est qu’il ne constitue qu’une amorce de réflexion sur un sujet fondamental comme celui du « rire au cinéma », et que l’introduction de Lucile Commeaux et la postface de Martin Jauvat, pour intelligentes qu’elles soient, ne font qu’effleurer le sujet.