"I Don’t Belong Anywhere" de October Drift : une seconde chance
« Eyes are blurry / Speech is getting slurry / … / Heart is always aching / Surprise your birthday / Wake up in an ashtray / Rise and shine and coffee / God, you need a hobby » (Ta vision est brouillée / Tu n’arrives pas à parler / … / Ton cœur te fait toujours mal / Surprend ton anniversaire / Tu te réveilles dans un cendrier / Lève-toi, brille comme le soleil et prends un café / Dieu, tu as besoin d’un passe-temps). C’est par une gueule de bois après une fête d’anniversaire alcoolisée que débute "I Don’t Belong Anywhere", le second album de October Drift : mais c’est une gueule de bois dont on sent qu’elle est là depuis toujours, et qu’elle est faite pour durer, parce que, dans le fond, c’est la vie qui nous rend malade plus que l’alcool et le tabac.
Et comme Airborne Panick Attack, la chanson, alterne les moments calmes (de spleen nauséeux) et les explosions soniques (de rage incontrôlable) d’une manière qui n’est pas sans évoquer le Nirvana le plus classique, on comprend bien que « I Don’t Belong Anywhere » (soit « je n’ai ma place nulle part »), avec ses photos sombres de gens qui paraissent accablés, n’est pas le plus fun des albums. Et c’est peut-être ce qui explique que, lorsqu’il est sorti pour la première fois, il y a un an à peu près, il n’ait pas séduit les foules…
Après, si l’on relit les critiques de l’époque, ce qui est toujours intéressant pour tester le pouvoir de préscience que nous avons tous (ou pas), nombreux sont ceux qui ont déploré ce qu’ils ont perçu comme un manque d’originalité formelle de la part d’October Drift : le groupe reprend avec enthousiasme (et l’enthousiasme, c’est important !) les recettes du rock indie US des années 90, des Pixies aux Smashing Pumpkins, avec une touche d’Arcade Fire même sur les passages les plus lyriques. Et puis il y a du Biffy Clyro là dedans pour faire un peu plus contemporain : Biffy Clyro est la seule influence que Kiran Roy, le leader d’October Drift, revendique spontanément. Et du coup, tout le monde semble être passé à côté des dix chansons formidables, presque toutes irrésistibles qui composent l’album…
Oui, des chansons tellement évidentes, en particulier grâce à leurs qualités mélodiques, qu’on a du mal à comprendre que « I Don’t Belong Anywhere » soit passé aussi inaperçu. Car, au delà d’un son certes immédiatement reconnaissable, et qui plus est un peu trop lissé par une production très soignée, ce que notre quatuor du Somerset – et c’est incroyable à les écouter, ils ne sont pas Américains ! – a retenu des Pixies et de Nirvana, c’est surtout que, pour que la rage et le mal-être soient transmis le plus efficacement possible, rien ne vaut une BONNE chanson, à laquelle les gens vont accrocher dès la première écoute, avec ce sentiment de l’avoir toujours connue, et qu’ils vont pouvoir chanter très vite eux-mêmes.
Il serait de toute manière ridicule de retourner l’évidence mélodique de titres comme Insects ou Webcam Funeral contre le groupe : après tout, ces jeunes gens sont anglais, on l’a dit, et viennent de cette terre enchantée où les mélodies semblent surgir de partout. Et puis, ressasser cette filiation évidente avec le grunge et l’indie rock US des années 90, empêche de voir d’autres choses intéressantes : leur parenté avec les débuts du mouvements post-punk au début du siècle, les similitudes entre leur approche d’une musique décrivant la grisaille de l’existence pour y trouver une nouvelle énergie avec celle de gens comme Interpol ou Editors, par exemple. Derrière le mur de guitares saturées qui s’élève régulièrement de manière impressionnante, derrière les textes sombres (d’ailleurs très joliment écrits), il y a un lyrisme – parfois pas loin d’être « positif » – qui les distingue du lot : une chanson comme Lost Without You a tous les atouts pour être chantée avec enthousiasme dans la communion joyeuse d’un grand concert, tandis que sur le très post-punk Bleed souffle un romantisme échevelé.
Si le long et puissant crescendo émotionnel de Ever After sonne assez convenu, la double conclusion paradoxale composée de l’extatique Feels Like I’m Home et du triste et intimiste coda acoustique Old and Distant Memory (« I’m an old and distant memory / I got cold and you got bored of me » – Je suis un souvenir ancien et lointain / Je suis devenu froid et tu t’es lassée de moi) permet à l’album de se refermer sur un mélange ambigu de sentiments qui prouve que le talent de Kiran Roy ne se limite pas à l’écriture de tubes potentiels.
Avec une réputation de remarquable groupe scénique, qu’il faudra juger sur pièce (October Drift assurent en ce moment la première partie de la tournée d’Archive dans l’hexagone), voici un groupe qui ne devrait pas rester longtemps anonyme. L’échec de « I Don’t Belong Here » en 2022 n’a pas découragé le groupe, qui croit beaucoup en son disque : il est déjà ressorti en édition complétée de 4 titres bonus, et est maintenant relancé, avec une publication physique, en France. Il n’y a pas de raison que cette seconde chance qui lui est offerte de convaincre les foules ne soit pas la bonne.