"The Power of the Dog" de Jane Campion : "Protège mon âme contre le glaive, ma vie contre le pouvoir des chiens"
Depuis "An Angel At My Table", on sait que Jane Campion est l'un des talents les plus singuliers du cinéma contemporain, même s'il faut bien admettre qu'il y a une certaine irrégularité qualitative dans sa production, d'ailleurs parcimonieuse. On peut, en passant, célébrer - et déplorer - que Campion fut la première femme à obtenir la Palme d'Or à Cannes (pour le sublime "The Piano", bien entendu) après tant d'années de festival, et qu'il ait fallu attendre 2021 pour qu'une seconde femme soit à nouveau récompensée...
"The Power of the Dog", adapté d'un roman fameux de Thomas Savage, marque le retour au "cinéma", mais via la plateforme Netflix, de Campion après 12 ans d'absence. Une absence "apparente" puisque, entre-temps, elle a écrit et dirigé la formidable série TV, "Top of the Lake", qui est venu s'inscrire parmi ses meilleures œuvres... Toujours préoccupée par la place de la femme dans une société masculine, Campion attaque ici le sujet de la "masculinité toxique" dans la société, via la figure symbolique du cow-boy dans la culture américaine. Sauf, qu'avec Campion, rien n'est jamais aussi simple, et le militantisme franc n'a jamais été son style. La complexité thématique de son sujet lui permet de mettre en œuvre toute la remarquable palette stylistique à laquelle elle nous a habitué : contemplation de la nature, mutisme des personnages, rareté des éléments explicatifs (au spectateur de se débrouiller pour déchiffrer ce qui lui est montré, et ça, ça fait tellement bien par rapport à l'immense majorité des films qui traitent leurs spectateurs comme des demeurés), et surtout, ce rythme de narration qui touche la plupart du temps à la perfection (pas trop rapide pour qu'on ait le temps de s'imprégner des personnages et des paysages, mais pas non plus lent au point que l'on sente l'exercice de style).
S'appuyant sur un Benedict Cumberbatch stellaire dans un apparent contre-emploi (bloc de virilité caricaturale, salopard sans cœur) et sur un jeune acteur enchanté, Kodi Smit-McPhee, Campion nous régale d'un conte paradoxal sur la répression de tout ce qui n'est pas sexuellement dans la norme, qui nous ménage son lot de retournements de situation et de surprises. "The Power of the Dog" est d'ailleurs le genre de film sur lequel il vaut mieux en savoir le minimum avant de le voir, tant il déconcerte dans son cheminement, comme dans sa conclusion : dans l'univers minéral et impitoyable du Montana à l'époque brutale de la naissance des USA, Campion réussit, un peu comme dans la "Leçon de Piano", à déployer des trésors de sensibilité et d'ambigüité.
S'il y a un défaut dans "The Power of the Dog", c'est bien qu'il soit trop court, et qu'il abandonne trop dans sa seconde partie, la meilleure, le couple formé (à la vile comme à la scène) par Kirsten Dunst et Jessie Plemons, qui aurait pu facilement constituer le sujet d'un autre film.
Un "The Power of the Dog 2", peut-être, Jane ?