"The Boy Named IF" d'Elvis Costello : Retour à la New Wave ?
Cela fait une éternité qu’Elvis Costello a abandonné son style originel, cette new wave encore nourrie de l’esprit punk 77, qui le voyait cracher avec rage plein de concepts brillants et de mots compliqués sur des mélodies imparables : depuis le virage « américain » de "King of America", notre homme est passé à autre chose, non, pardon, à une multitude d’autres choses ! D’année en année, d’album en album, il a exploré l’Americana, la Country traditionnelle, le Blues, le Bluegrass, le Jazz, la variété orchestrale, la pop anglaise beatlesienne, le trip hop, le hip hop, la musique classique… et on a l’impression que cette liste est incomplète. Cette démarche de touche-à-tout insaisissable lui a clairement coûté une bonne part de son public Rock initial, mais au moins, il a toujours eu l’air de s’amuser comme un fou, et il a brillamment compensé l’usure (inévitable ?) de son inspiration mélodique par une créativité hallucinante.
Mais Costello, pour une raison qui n’est pas vraiment claire, a occasionnellement produit des albums où il reformait sa vieille équipe et revenait à ses premières amours : rock énergique, voire violent, et chant au vitriol. On se souvient dans ce registre de "Blood and Chocolate" en 1986, de "Brutal Youth" en 1994 et de "When I Was Cruel" en 2002. C’est dans cette lignée que s’inscrit le nouvel album, "The Boy Named IF" (« IF » pour « Imaginary Friend », l’ami imaginaire), et son ouverture avec "Farewell, OK", a tout du simulacre temporel : l’orgue grinçante de Steve Nieve et la batterie furieuse et sèche de Pete Thomas (des Attractions, il ne manque que la basse de Bruce Thomas, remplacé par Davey Faragher), le débit effréné d’Elvis sur un rock’n’roll emballé, le sentiment d’urgence. Bon dieu, nous voilà revenus à "Armed Forces" en 1979 !
La première réaction des fans est enthousiaste, dans un registre sans surprise (« le meilleur album de Costello depuis 30 ans ! », « l’Elvis qu’on aime est de retour ! »), mais pose quand même un problème : la splendeur – et l’originalité - de la plupart de ses dernières production ("Secret, Profane & Sugarcane", "National Ransom", "Wise Up Ghost" avec les Roots, "Hey Clockface") ne vaut-elle rien face au plaisir nostalgique, régressif presque, d’écouter en 2022 une copie – inférieure en qualité soyons honnête – de ce qu’il faisait avec les Attractions il y a plus de quarante ans ?
Il faut admettre que, même pour des anti-nostalgie comme nous, il y a ici une poignée de titres concoctés en suivant la recette ancienne qui fonctionnent à merveille : "Mistook Me For A Friend" a tout d’une chute inexplicable de "This Year’s Model", "The Difference" combine dissonances et fête foraine comme sur "Trust", "Magnificent Hurt" est une grande chanson, pleine de bile et d’urgence, qui aurait pu également briller sur "Armed Forces", le formidable "The Man You Love To Hate" aurait bien conclu le cirque baroque de "Imperial Bedroom".
Cet album est de toute manière trop riche, trop long aussi (Il aurait été bien meilleur ramené à 40 minutes, en sacrifiant quelques morceaux plus médiocres, comme le pénible "Penelope Halfpenny", où pour une fois, Costello se plante vocalement !)… Mais, si on l’écoute attentivement, on se rend compte que le « véritable Costello » d’aujourd’hui ressurgit peu à peu derrière le masque mensonger de l’éternelle jeunesse : la splendeur tremblante et la profondeur de "Paint The Red Rose Blue" (qui évoque le destin d’un artiste fasciné par la noirceur dans son Art et qui doit l’affronter dans une réalité beaucoup moins romantique), à mi-parcours, valent finalement bien mieux que les crises épileptiques qui l’ont précédée. Et l’élégance très mature de la superbe double conclusion de l’album, "Trick Out The Truth" (sur les véritables monstres qui peuplent notre monde, bien plus effrayants que ceux de nos enfance) et "Mr. Crescent", nous fait à nouveau fondre.
Le fil conducteur de "The Boy Named IF" est en fait le regard en arrière que jette sur sa vie un homme de 67 ans, et pas l’illusion d’avoir toujours vingt ans. Costello est toujours plus pertinent lorsqu’il trifouille dans les entrailles d’une vie ordinaire, dans une opération sans anesthésie et sans ménagement : ses textes sont bien plus brillants, à la fois subtils et aiguisés quand ils traitent d’adultère ("What If I Can’t Give You Anything But Love?"), de trahisons minables, de violence ordinaire…
Et de toute manière, absolument personne en dehors de quelques fans hardcore de Costello, n’attend un album de new wave millésimée 1980 en 2022. Par contre, nous sommes sans doute toujours assez nombreux – un peu moins en France, il faut bien l’admettre – à espérer une nouvelle poignée de belles chansons d’un grand auteur-compositeur comme Declan MacManus, l’homme, le vrai, qui se dissimule derrière EC.