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Le journal de Pok
1 novembre 2023

"La chute de la maison Usher" de Mike Flanagan : Nevermore ?

La chute de la maison Usher affiche

Mike Flanagan est l’un des rares réalisateurs contemporains qui souffre du syndrome du « premier album », tellement courant dans l’univers du Rock : depuis le triomphe absolu qu’a représenté son The Haunting of Hill House, sa première série TV, il est désormais attendu au tournant par la population mondiale toute entière de fans de Fantastique, pour voir chacune de ses nouvelles œuvres condamnées irrémédiablement de la même manière, par un définitif : "Oui, c’est bien, mais ce n’est pas aussi bien que Haunting of Hill House". Outre le fait que l’on relègue dans l’obscurité son travail au cinéma, pas si ridicule que ça, il y a une certaine injustice à se référer éternellement à ce qui risque de rester longtemps comme le mètre-étalon de notre époque en termes de séries fantastiques (un peu comme si on jugeait toutes les œuvres de SF sur les paradoxes temporels à l’aune de Dark !) ? Mais Flanagan et son équipe (en particulier sa troupe d’acteurs fidèles) – et Netflix – en sont conscients, et après une tentative inutile de refaire la même chose (The Haunting of Bly Manor), ont décidé de brouiller les pistes en se renouvelant, et en allant faire « autre chose ».

Autre chose, c’est cette Chute de la Maison Usher, mini-série présentée de manière finalement mensongère – allez, on va dire plutôt « trompeuse » – comme une adaptation « définitive » – gros budget, grosses ambitions, du beau monde et du travail soigné à tous les étages de la fusée – des Histoires extraordinaires et des Nouvelles histoires extraordinaires d’Edgar Allan Poe, institution absolue, au même niveau que Lovecraft, de la littérature fantastique US. Et mondiale, aussi. La vérité est toute autre, et c’est à fois une plaisanterie plutôt fûtée faite aux fans, et une manière finalement retorse de se défausser : la Chute de la Maison Usher est en fait un remake (déjà !) de Succession, adapté à l’actualité toujours plus pertinente de la crise des opioïdes : rappelons que cette « crise sanitaire » créée par des « painkillers » fortement addictifs a déjà causé aux USA un demi-million de décès depuis le début des années 2000, que 120.000 morts de plus sont prévus en 2023… et que le sujet a déjà été abondamment traité au cinéma (Toute la beauté et le sang versé) et en séries (DopesickPainkiller, entre autres…).

La famille Usher, qui se déchire et se hait sous la direction du père tout-puissant, Roderick Usher (et de sa sœur diabolique, Madeline, avec laquelle une relation incestueuse reste sous-entendue), n’a pas grand chose à voir avec la nouvelle de Poe : elle est inspirée autant de la famille Roy de la fameuse série HBO que des Sackler, propriétaires milliardaires des laboratoires pharmaceutiques Purdue ayant créé l’oxycontin. Là où Flanagan utilise Poe, c’est dans la manière dont chaque épisode, nommé d’après une nouvelle du maître, va voir mourir – en général de manière atroce – l’un des enfants de Roderick : on est parfois plus ou moins proche du thème initial (comme dans le second épisode, le Masque de la Mort Rouge, le plus éprouvant en termes d’horreur visuelle), on entend réciter de temps en temps un poème de Poe (comme dans le dernier épisode, le corbeau), mais on se contente la plupart d’un « fan service » qui fera grincer les dents des fans de l’écrivain. Entre l’enquêteur / ennemi intime de Roderick, cherchant à le faire condamner et échouant toujours, nommé Dupin, et à l’exécuteur des basses œuvres de la famille qui s’appelle Arthur Pym, on ne va pas prétendre que ça vole très haut en termes de respect des originaux !

Oublions donc Poe – et notre déception potentielle – pour apprécier ce que l’on peut apprécier dans la Chute de la Maison Usher, qui est incontestablement une excellente série : Flanagan reste magistral dans le traitement de rapports complexes entre des personnages perturbés, et il est finalement encore meilleur dans l’horreur psychologique que dans l’horreur visuelle (l’épisode de la trahison de Roderick est terrible !), même si la Chute de la Maison Usher propose quelques visions littéralement infernales, comme le massacre de la boîte de nuit ou la pluie de victimes causées par l’addiction aux opioïdes. Et, logiquement, c’est comme toujours la qualité de l’interprétation – une constante chez Flanagan – qui permet à la série de passer outre plusieurs facilités scénaristiques : Bruce Greenwood, acteur de second plan, est formidable, et trouve ici le rôle de sa vie, tandis que Mark Hamill – qu’on n’a jamais particulièrement remarqué pour son talent d’acteur – est pour la première fois saisissant (mieux vaut tard que jamais, Mark !). Si Carla Gugino se voit confier le rôle un peu convenu de la représentante du… Mal (?) et a peu l’occasion de briller, Henry Thomas, autre habitué de la troupe de Flanagan, fait enfin oublier son image d’enfant éternellement adorable chez Spielberg (E.T.).

Très soignée esthétiquement, parfaitement mise en scène, soutenue par des effets spéciaux pour la plupart réussis, la Chute de la Maison Usher est une autre série de prestige Netflix qui redore le blason de la plateforme. C’est un divertissement intelligent, occasionnellement brillant… mais ce n’est malheureusement pas un autre chef d’œuvre de Mike Flanagan. Le syndrome du « premier album » risque de continuer à sévir.

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