"La merveilleuse histoire d'Henry Sugar" de Wes Anderson : Anderson + Dahl + Netflix = une belle surprise !
L'ami Wes Anderson est passé en quelques années du statut de star incontestée du cinéma indie de prestige à celui d'artiste original dont on se moque un peu, parce qu'il serait "enfermé dans son système" et "fait toujours la même chose". On ne reviendra pas ici sur le simplisme de ces critiques, qui refusent plutôt de prendre en considération l'évolution profonde du cinéma de Wes Anderson dans ses derniers films, parce qu'il est vrai qu'elle est loin d'être confortable. Le deal Netflix, offrant à Anderson la possibilité de réaliser un moyen métrage de 40 minutes (La Merveilleuse Histoire de Henry Sugar) et 3 courts métrage (Poison, The Ratcatcher, The Swan) adaptant des textes peu connus de Roald Dahl, a l'immense avantage de nous permettre de faire un point objectif sur l'évolution de son cinéma.
Avec un troupe d'acteurs réduite pour les 4 films - mais quels talents : Ralph Fiennes, Benedict Cumberbatch, Dev Patel, Rupert Friend ! - et des histoires percutantes (... et bien plus perverses, pour le coup, que celles dont Anderson est coutumier), le réalisateur peut se permettre de pousser encore un cran plus loin ses mécanismes visuels et narratifs. Cette fois, le texte de Dahl est seulement récité - et on ne parle pas seulement les dialogues - par les interprètes au sein de décors totalement artificiels (théâtraux, dirons-nous, mais comme d'habitude chez Anderson, la BD n'est jamais loin) au sein desquels s'affairent les machinistes et accessoiristes, et où les effets spéciaux ont l'allure de trucs de fête foraine.
Ces quatre films demandent au téléspectateur d'imaginer une large partie de ce qui lui est conté (et non pas montré). On peut bien sûr refuser de se plier aux règles du jeu, tant elles sont inhabituelles, voire incongrues, mais ce serait alors se priver de merveilleux moments de fantaisie, d'étonnement et même d'émotion. La Merveilleuse Histoire de Henry Sugar est le film le plus complexe des quatre, non seulement par sa durée plus conséquente, mais surtout parce qu'il enchâsse plusieurs récits les uns dans les autres pour en arriver à une conclusion idéaliste et étonnante. Et surtout formidablement touchante. The Swan est le court-métrage plus cruel, le plus "barré" aussi, et on sait gré du coup à l'imaginaire de Roald Dahl de venir injecter autant de souffrance dans l'univers d'Anderson. De The Ratcatcher sourd une méchanceté assez malaisante, tandis que Poison, sans doute le plus faible du lot, intéresse surtout parce qu'il permet à Anderson d'enfoncer le clou sur la brutalité du colonialisme britannique aux Indes.
On apprécie dans tous les cas, au delà de l'inventivité géniale des concepts mis en œuvre par Wes Anderson, le fait que son univers si particulier ait pu intégrer aussi intelligemment celui d'un autre auteur très singulier. Une piste à suivre pour les futurs films de Wes Anderson ?