"Relentless" des Pretenders : en avant !
Douzième album des Pretenders, trois ans après un Hate For Sale qui n’avait pas fait beaucoup de bruit, Relentless risque bien de ramener Chrissie Hynde, sinon sous les projecteurs, du moins dans les petits papiers qui ont un jour aimé ce groupe différent du reste de la « nouvelle vague » au sein de laquelle il avait éclos. Car Relentless est l’album d’une « grande dame » du Rock qui, et c’est inévitable après un si long parcours, dresse un bilan – mi-figue, mi-raisin – de son passé, mais s’interroge surtout sur son avenir, qu’elle prévoit clairement toujours aussi agité, sans répit. Car Chrissie l’affirme clairement d’emblée sur Losing My Sense of Taste : « I must be going / through a metamorphosis / Pre-senile dementia / or some kind of psychosis / I don’t even care about rock and roll / All my old favourites seem tired and old » (Je dois être en train de vivre / une métamorphose / le début de la maladie d’Alzeimher / ou une sorte de psychose / je m’en fiche du rock and roll / Tous mes vieux disques favoris me semblent usés et vieux). Il est temps de changer, d’aller chercher du neuf !
La voilà donc relâchant la pression sur le format « rock classique » des Pretenders – un format au sein duquel on sentait qu’elle tournait en rond -, et manifeste ici sa détermination à nous offrir des ballades pop, parfois très américaines, où sa voix (elle a toujours été une très grande chanteuse, on ne l’a pas assez dit) évoque parfois celle de Lana del Rey. Ce renouvellement de style place Relentless parmi les disques les plus intéressants de sa longue discographie.
Ce nouvel album, comme le précédent, a été co-écrit avec le guitariste James Walbourne, un musicien de studio réputé ayant collaboré avec beaucoup de grands noms du Rock, et qui était déjà apparu dans le line up des Pretenders : son style de guitare très psychédélique, très noisy, tranche avec l’héritage du groupe, et dès l’ouverture de Losing My Sense Of Taste, ceux qui n’auraient pas écouté les Pretenders depuis longtemps seront forcément surpris, tant on est à l’opposé du son d’un James Honeymann Scott ! On remarquera aussi, signe de ce renouvellement recherché par Chrissie et apporté par Walbourne, que plusieurs chansons ne suivent pas ici les recettes habituelles de la construction des accords d’un morceau rock, ce qui ménage des surprises pour le moins stimulantes dans leur progression (Your House Is On Fire, par exemple)
La première face de Relentless est superbe, avec en son centre, l’enchaînement terrassant de The Copa (très Lana del Rey, pour le coup) et surtout de Promise of Love, probablement le plus beau titre de Relentless. La fière conclusion de la face, Merry Widow (« I’m a divorcee but I feel like a widow, a merry widow » – Je suis une divorcée, mais je me sens comme une veuve, une veuve joyeuse) montée en puissance progressive comme on aime où le dialogue entre les deux guitares, celle de Chrissie et celle de Walbourne, fait merveille, est également un régal : un titre qu’on a hâte d’écouter en live !
La seconde, largement consacrée à des morceaux lents, est celle qui nous éloigne le plus de ce que l’on attend d’un disque des Pretenders… même si elle contient, pour brouiller les pistes, le rocker le plus efficace, Vainglorious ! Elle nécessitera plusieurs écoutes pour en extraire la beauté, mais chaque chanson finit par déployer son charme, contribuant à un sentiment général d’excellence : Relentless est le premier album des Pretenders depuis très, très longtemps (depuis 1984 et les trois premiers albums du groupe ?) qui ne comporte aucune chanson inutile…
S’il y a un bémol au plaisir qu’on prendra à écouter Relentless, c’est au niveau des textes qu’on le formulera : on sait que Chrissie n’a jamais été une grande parolière, ce qui ne posait pas de problème quand le seul but des Pretenders était, alternativement, de nous faire pogoter et fondre sur des sucreries pop, mais qui s’avère un peu plus gênant quand on en arrive à l’âge de la « maturité » où les chansons s’efforcent de faire sens. Ce qui ne veut pas dire que Chrissie n’ait rien à dire, au contraire, juste qu’elle peut encore s’améliorer dans la manière dont elle le dit.
Retenons néanmoins sa dévorante envie d’immortalité sur Let the Sun Come In, le single – très classiquement Pretenders, très accrocheur – paru avant l’album : « To live forever, that’s the plan / The longest-living mortal man / With a soul that can’t be perished / With a song that’s always cherished » (Vivre éternellement, tel est le plan / La personne à la plus grande longévité / Avec une âme qui ne peut pas périr / Avec une chanson qui est toujours chérie).
Et surtout la bouleversante conclusion de I Think About You Daily, qui voit Chrissie regarder en arrière, et admettre et ses torts, et ses sentiments de culpabilité… sur un lit de cordes dressé pour elle par Jonny Greenwood de Radiohead : « Now I think about you daily / But it only makes me sad / Things that got away / I treated you real bad / Now each morning when I wake up / It’s you that’s on my mind / You never can get over / Losing those you’ve did unkind » (Maintenant, je pense à toi tous les jours / Mais ça ne fait que me rendre triste / Ces choses qui m’ont échappé / Je t’ai vraiment mal traité / Maintenant, chaque matin, quand je me réveille / C’est toi qui est dans mon esprit / On ne peut jamais se remettre / De perdre ceux à qui on a fait du mal)…
A la fois réflexif et rempli d’urgence et de soif de vivre, Relentless le bien nommé montre qu’on peut toujours compter sur Chrissie Hynde pour aller de l’avant. On la suivra avec enthousiasme.