"Glasgow Eyes" de The Jesus and Mary Chain : une petite révolution !
Glasgow Eyes est seulement le huitième album des frères Reid en quarante ans, et le second depuis leur reprise d’activités en 2007. Il nous faut pourtant bien admettre que, une fois passés les deux premiers disques qui ont profondément marqué l’histoire du rock, qui ont même refondé la musique dans les années 80 en créant quasiment une vague « noise » qui n’en finit pas de déferler plus de trente ans plus tard, la suite de leur discographie n’a été que rarement passionnante. Et c’est là que Glasgow Eyes surprend. Et ravit.
Car Glasgow Eyes est une petite révolution dans la musique de The Jesus & Mary Chain : on y trouve une emphase nouvelle sur les mélodies (même si, bien sûr, l’amour des frères Reid pour la pop classique des Beach Boys était clair depuis leurs débuts), mais surtout un effacement des guitares fuzz / saturées / bruyantes – la marque immédiatement reconnaissable du groupe – derrière les synthétiseurs. Des synthés ? Hérésie ! Sont-ils devenus fous ? Non, au contraire, car le sentiment immédiat que donne l’album, c’est celui d’une « nouvelle jeunesse » d’un groupe que l’on jugeait plus ou moins usé à force de redites. Après tout, c’est bien ce qu’on attend des artistes qu’on aime vraiment, cette capacité à aller voir ailleurs s’ils y sont, non ?
De toute manière, certains fondamentaux de la musique de The Jesus & Mary Chain sont inchangés : atmosphère brumeuse, chant hébété, mélodies surf, etc., tout est toujours là, et heureusement. On retrouve aussi les vieilles obsessions de Jim et William pour le rock’n’roll, pour son histoire, ainsi que leur intérêt pour les situations extrêmes, pour la déliquescence générale, derrière ce nouvel habillage partiellement électronique, qui ressemble parfois à un clin d’œil à la new wave synthétique des années 80. Glasgow Eyes contient même une chanson qui aurait pu être un tube radiophonique au siècle dernier, une chose dont on on pensait les Frères Reid incapables : Silver Strings est une ritournelle immédiatement accrocheuse, éminemment mémorisable, qui en d’autres temps, aurait valu au groupe de passer à la postérité.
Il y a dans cet album un gros travail de « retour vers le passé », une démarche logique pour des musiciens qui ont désormais dépassé la soixantaine, une démarche cohérente avec la préparation de leur autobiographie, Never Understood, qui vient d’être annoncée et sortira cet été. Ainsi jamcod, le premier titre – ultra-efficace d’ailleurs – extrait de l’album revenait sur cette fameuse nuit du 12 septembre 1998, où William était dans un trop sale état pour assurer un concert au House of Blues de Los Angeles, concert qui fut annulé et déclencha la séparation du groupe. J.A.M.C.O.D. signifie d’ailleurs Jesus And Mary Chain OverDose, et les paroles de la chanson sont assez terribles : « And I can’t shake the feeling / That I’ve seen this dream before / Fucking up and then falling down / But it punts me to the door / And I can’t see the ceiling / ‘Cause I’m face down on the floor » (Et je ne peux pas me débarrasser de ce sentiment / Que j’ai déjà fait ce rêve / J’ai merdé et puis je suis tombé / Mais ça me pousse vers la porte / Et je ne peux pas voir le plafond / Parce que je suis face contre terre).
Sur un sujet assez similaire, Chemical Animal revient sur les abus de substances de Jim Reid, qui expliquait dans un interview : « Quand vous tombez si profondément là-dedans que tout ce que vous faites est purement instinctif, les drogues sont votre seul moteur. Ce qui vous fait aller d’un point A à un point B, c’est de savoir si vous pouvez vous shooter. C’était une façon horrible de vivre, et je suis heureux de ne plus vivre de cette façon. » Et la confession qui constitue le coeur de la chanson, pour ne pas être surprenante, semble totalement sincère : « There is something you should know / There is something I don’t show / I fill myself with chemicals / To hide the dark shit I don’t show » (Il y a quelque chose qu’il faut que tu saches / Il y a quelque chose que je ne montre pas / Je me remplis de produits chimiques / Pour cacher la merde sombre en moi que je ne veux pas montrer).
Mais, comme c’était déjà la cas avant, le sujet du passé – et donc du futur – du rock’n’roll tient à cœur aux deux frères quasi-jumeaux : The Eagles and the Beatles paie un hommage plaisant à des figures titulaires du rock (« I’ve been rolling with the Stones / Making Keith and Brian Jones / … / I was born Bob Dylan / I grew up with Beach Boys « ) sur un gros riff basique qui évoquera bien des choses, en particulier le I love rock’n’roll de Joan Jett. Et l’album se termine – à tout seigneur, tout honneur – sur un imposant hommage au Velvet Underground et à Lou Reed, intitulé (attention, humour !) Hey Lou Reid… On frôle le pastiche dans cette longue conclusion, construite en deux parties singeant successivement deux phases de la vie musicale du Velvet. Ce qui donne l’impression (ou confirme, si l’on veut) que The Jesus & Mary Chain, un groupe qui a débuté dans un esprit de provocation violente et dans un dédain marqué envers tous ceux qui ne les suivaient pas dans leur extrémisme, sont bel et bien devenus de vieux plaisantins.
Car finalement, c’est sans doute plus ça la véritable nouveauté de Glasgow Eyes, plus que l’électronique et le passage à des guitares légères : l’impression de sérénité, presque de plaisir qui se dégage de la plupart des chansons, même de celles qui traitent de sujets sombres.
Oui, on ne saurait déjà dire, comme le clame une partie de la presse anglaise, si Glasgow Eyes est le meilleur album des Frères Reid depuis la paire de chefs d’œuvre de leurs débuts, mais, en tous cas, tout cela tombe à pic pour renouveler notre intérêt pour The Jesus & Mary Chain… Et honnêtement, on n’en espérait pas tant !