"Synchronic" de Justin Benson et Aaron Moorhead : merci, Netflix !
On s’adresse ici à la frange – minoritaire mais bien vivace – des cinéphiles que le cinéma « mainstream » n’excite pas assez, qui s’ennuient devant les films bien léchés qui pressurent la glande lacrymale du bon peuple (dernier exemple terrifiant en date, l’horrible Empire of Light !), et qui préférerons toujours un petit film fauché rempli d’idées excitantes, si possible « high concept », qui les conforte dans leur idée que le Cinéma – comme la Musique, comme une grande partie des Arts en fait – vit réellement dans les marges. Les autres peuvent passer leur chemin, mais ceux-là connaissent déjà les noms de Justin Benson et Aaron Moorhead : un team de réalisateurs US indépendants, révélés par The Endless en 2017, qui proposent régulièrement des délires fantastiques et/ou sci-fi particulièrement excitants.
Netflix, qui mérite de temps en temps quelques louanges, vient de mettre en ligne Synchronic, leur dernier film datant de 2020, a priori jamais diffusé dans les salles françaises, et c’est donc l’occasion de rattraper un peu de notre retard sur leur filmographie (depuis, il y a eu Something in the Dirt, qui semble prometteur et a reçu une avalanche de critiques positives…). Il faut bien sûr révéler le strict minimum quant à l’histoire de Synchronic, nous nous contenterons de dire que le film suit Steve et Dennis, deux amis d’enfance qui sont ambulanciers / secouristes à la Nouvelle Orléans et sont confrontés à une recrudescence de morts violentes inexplicables. L’enquête que Steve va mener l’amènera à effectuer d’étonnants voyages dans le temps…
Il faut d’abord souligner que, même si Moorhead et Benson travaillent avec des budgets réduits, ils ont pu cette fois se payer des acteurs populaires comme Anthony Mackie (Sam Wilson dans Captain America !) et Jamie Dornan (Christian Grey dans 50 Shades of Grey !!), que l’on soupçonne quand même d’avoir accepté de jouer quasi gratuitement ici pour expier leurs péchés et pouvoir afficher au moins un film honorable dans leur filmo. Qui plus est, les effets spéciaux, intelligemment réduits au minimum comme dans toute bonne série B, sont presque honorables, ou du moins ne gâchent en rien le film.
Synchronic offre en fait un double intérêt : d’abord une bonne histoire de SF / thriller, à la fois originale et excitante, même s’il faut avouer que le film aurait pour une fois mérité de durer une bonne demi-heure de plus pour que le scénario puisse mieux exploiter le concept, et évite des raccourcis simplificateurs et peu cohérents dans sa dernière partie ; ensuite une remarquable richesse thématique, et même psychologique (du coup Dornan et Mackie ont quelque chose de consistant à jouer, ce qui les change !), qui confère au film une épaisseur humaine qui fait souvent, admettons-le, défaut aux films de genre. Le cadre de la Nouvelle-Orleans (la pauvreté endémique, le racisme) est remarquablement intégré au récit, tandis que le fait de représenter un passé américain aussi rempli de violence (impossible de rester 7 minutes dans n’importe quel moment de l’histoire des US sans se faire attaquer, voire trucider !) vaut mieux que mille discours sur le deuxième amendement !
Synchronic, au-delà du plaisir qu’on prendra à son visionnage, nous rassure donc quant à la capacité de jeunes réalisateurs talentueux et exigeants de réaliser des films épurés, tranchants même, qui puissent être populaires (à condition qu’ils soient diffusés !) et intelligents. Allez, pour le coup, on dira : « merci, Netflix ! ».