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Le journal de Pok
2 avril 2024

"Le grand déballage" de Natacha Tertone : une seconde chance ?

Natacha Tertone, voilà un nom qui fleure bon les débuts de la new wave en France, à la toute fin des années 70 et au début des années 80, entre les blagues potaches et colorées de Starshooter et la dépression distanciée de Taxi Girl (souvenirs, souvenirs…). Mais non, c’est là une fausse piste, et dès la première écoute du Grand déballage, on réalise que le premier album de Natacha Tertone date en fait de la fin des années 90 : il s’inscrit plutôt dans l’élégante lignée d’un Dominique A de la toute première époque : suivant les titres, on reconnaît une sorte de dépouillement électronique mettant en avant des mots et des sentiments pouvant faire mal évoquant la Fossette, puis des incursions bruyantes et abstraites de la guitare électrique qui ont rappelé à certain le chaos inhospitalier du Remué du grand Ané. Et puis il y a ces rythmes ternaires, générateurs naturels de tellement de mélancolie, surtout quand on les doubles d’atmosphères de cirque triste, le tout pouvant évoquer Christian Olivier et ses Têtes Raides.

On s’arrêtera là au jeu des références, certes inévitables, mais aussi parfaitement inutiles. Car si Le grand déballage ressort aujourd’hui, remasterisé et assorti de quelques titres bonus complétant les douze chansons originales sans changer la donne, c’est que quelqu’un – que nous ne connaissons pas mais qui semble bien nous connaître, nous – a jugé qu’il serait toujours aussi pertinent un quart de siècle plus tard. Même si son classicisme « chanson rock » peut sembler décalé par rapport à ce qu’on écoute (?) désormais en France, le propos de Natacha et Bruno (Mathieu) est toujours à même de nous toucher qu’il le faisait au tournant entre le XXème et le XXIème siècle : ce disque, terriblement fort dans son innocence parfois maladroite, formidablement touchant dans son minimalisme toujours élégant, nous embarque aussi sûrement qu’il le faisait alors.

Lorsqu’on se prend en pleine tronche l’impressionnant les cartes postales, qui plombe de notes bruitistes la nostalgie amère d’un temps où les Francs n’étaient pas devenus des Euros (« Les cartes postales de Deauville, celles à deux francs / Les mêmes depuis dix ans au moins / Sauf qu’elles ont augmenté / Avant, elles ne coûtaient qu’un franc cinquante » : des mots faussement simples, mais totalement justes), il est impossible de ne pas se demander pourquoi Natacha Tertone, qui avait pourtant été repérée, y compris par les Inrocks, n’est pas devenue « grande », pourquoi elle a disparu aussi longtemps. Même si c’est le titre le plus immédiatement saisissant de l’album, c’est loin d’être le seul à nous emporter ou à nous traumatiser : le chaos bruitiste du Désamour fait quelque part écho aux souffrances noires et romantiques du grand Daniel Darc, alors que la ritournelle aux claviers est engloutie par le vacarme ambiant, puis tuée dans l’œuf (« Encore une réconciliation / On tente le coup d’la dérision / Pourtant, aucun des deux n’est dupe / De cette parodie de dispute ») ; la valse exsangue de l’Avalanche nous renvoie en plein cœur le souvenir de nuits noircies par un abandon (« Et je tourne en rond / De la chambre au salon / Du lit au guéridon / Car je suis seule, ce soir / Oubliée, abandonnée, délaissée« )…

Et puis il y aussi ce Katioucha, chanté dans un allemand qui tombe juste en place, parfaite BO d’un film affreusement triste et beau dans lequel nous ne voulions pas jouer, mais qui nous a choisis comme ses acteurs principaux. On en arrive à C’est, la première chanson de la jeune fille qu’était alors Natacha, celle par laquelle tout a commencé : c’est fragile au point d’en être gênant, c’est aussi d’une évidence mélodique qui frôle le cliché : ça aurait pu fonctionner sur la BO d’Amélie Poulain, c’est dire à quel point c’est irrésistible. Sauf que ce n’est pas le grand déballage pour le coup, mais le grand effondrement : « C’est comme un dimanche dans le désert / Là où tous les jours se ressemblent / L’impression d’être tête à l’envers dans un monde qui tremble« , c’est un peu l’écho lillois de la complainte d’un Morrissey qui appelait à une pluie d’ogives nucléaires pour mettre définitivement fin à l’ennui provincial des dimanches. L’album – au moins dans son format original – se clôt sur un Incident domestique qui achève en fanfare triste et en fracas encore plus triste toute chance d’espoir : « Le chaos à nos pieds / La confusion dans les esprits / L’estomac qui reste noué / Même quand la fête est finie« .

Toute chance d’espoir ? Non, car ce Grand déballage qui ressort amorce une possible seconde vie pour Natacha Tertone. Qui annonce déjà un second album. Déjà ? Oui, un quart de siècle plus tard, juste le temps d’un soupir…

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