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Le journal de Pok
10 février 2023

"Pink Colour Surgery" par The Psychotic Monks : plus loin, toujours plus loin…

Pink Colour Surgery

Au risque de répéter ce que nous écrivions à propos de Bass Drum of Death, on peut légitimement se poser la question de l’importance d’un nouvel album des Psychotic Monks, quand on sait que leur incandescence scénique est purement et simplement impossible à reproduire en studio et à traduire en disque. Mais il y a une grosse différence entre un Barrett qui perpétue dans sa musique une tradition Rock bien établie et les Français, qui, sans doute conscients de cette différence fondamentale entre enregistrer de la musique et la jouer en public, choisissent la voie d’une expérimentation de plus en plus audacieuse, voire intransigeante.

Car si leur second disque, Private Meaning First était austère et radical, occasionnellement déroutant, que peut-on dire de cet impressionnant Pink Colour Surgery, qui voit The Psychotic Monks larguer franchement toutes les amarres par rapport aux codes de la musique, telle qu’elle est communément admise ? Pour ce groupe, quasiment à l’opposé de la majorité des gens de leur génération qui sont régulièrement obsédés par les trouvailles des musiciens du passé, et, dans le meilleur de cas, s’en servent comme tremplin pour aller chercher d’autres choses et faire évoluer le Rock (à qui ceux qui n’y connaissent pas grand-chose reprochent d’être une musique du passé…), il s’agit avant tout d’EXPERIENCE. Rappelons aux nostalgiques – et nous savons qu’ils sont nombreux – que HendrixZappaBeefheart, pour ne citer qu’eux, ont construit des œuvres immortelles, et d’une certaine façon populaires, sur l’expérimentation, ou plutôt sur l’expérience physique de l’auditeur face à la musique. Le problème est évidemment qu’en 2023, face à la digitalisation et à la virtualité croissante, l’expérience se doit d’être autant mentale que physique, théorique que pratique. Et c’est là où le travail du groupe sur ce Pink Colour Surgery rejoint aussi les grandes œuvres abstraites de la musique contemporaine, tout en conservant, et c’est là l’exploit du groupe, un aspect viscéral, une intensité qui viennent directement de « la sensibilité Rock ».

Composé de 7 titres dont la durée s’étale entre 3 (Imagerie) et 10 minutes (All That Fall) et de cinq interludes d’une minute ou moins, qui servent surtout de transition entre les pièces maîtresses, Pink Colour Surgery propose évidemment un défi à l’auditeur qui ne serait pas prêt à remettre en question ses acquis. En introduction, Post-Post- (titre des plus explicites à notre époque soi-disant Post-Punk) offre des passages encore vaguement rassurants où les guitares tonnent sur des martellements de batterie, pendant que le chant est une exhortation jusqu’au-boutiste, mais cette structure s’engloutit régulièrement dans un magma sonore indiscernable, annonçant des moments bien plus déroutants : émergent toutefois déjà des fragments de chant curieusement plus « pop » (terme osé ici), et surtout intimiste, qui montrent la polyvalence étonnante qu’a atteint le groupe. Post-Post- est grandiose, tout simplement.

Il est difficile, et surtout inutile, d’essayer de décrire par le menu chacun des titres de l’album, et ce, d’autant que chaque nouvelle écoute apporte un éventail de sensations – et aussi de couleurs – différentes. Et que chaque auditeur y trouvera sans doute quelque chose de personnel, quelque chose qui le touche, et qui restera invisible, indiscernable aux autres. Essayons quand même… Gamble and Dangle semble particulièrement touchant par sa manière de dénuder la voix humaine avant de la noyer dans le chaos. Le single Crash injecte des beats électroniques et des sons indus dans l’univers des Monks, et, surprise, ça fonctionne superbement bien : une piste à creuser, certainement. Imagerie s’apparente presqu’à une chanson, avec une mélodie quasiment fredonnée pour soi-même plutôt que pour l’auditeur, qui s’efface pour laisser place à un son abstrait, incompréhensible : c’est très beau et ça aurait pu être placé en conclusion de l’album, si les Monks faisaient les choses comme un groupe « normal »…

Décors est le premier gros, gros morceau de l’album, commençant lui aussi de manière mélodique, voire mélodieuse, un chant d’une infinie tristesse, pour se muer progressivement à une longue marche dans un paysage fracturé, abstrait, passant de moments de tremblante beauté à un terrifiant chaos final (« What’s on the menu tonight if it’s not human meat ? » (Qu’y a-t-il au menu ce soir, si ce n’est de la chair humaine ? ». On enchaîne rapidement avec All The Fall, qui revient (un peu) à des sentiments plus rock’n’rolliens, sinon plus humains : les paroles scandées, le fracas bruitiste de guitares et d’électronique, les percussions brutales, les accalmies crissantes, puis accablantes, qui révèlent la possibilité de la voix humaine, du chant… Quand le morceau explose dans une rage effrénée, on reconnaît une parenté entre The Psychotic Monks et les formidables Gilla Band (l’album est d’ailleurs produit, et ce n’est pas un hasard, par Daniel Fox, le bassiste de Gilla Band !). On s’y retrouve mieux, et on arrive très bien à imaginer combien ce morceau pourrait s’avérer extraordinaire sur scène.

Mais les choses ne sauraient s’arrêter là, en terrain (un peu) plus connu : location.memory opère un hold-up frémissant sur nos souvenirs, les congelant littéralement dans une stase improbable, mais que l’on sent… définitive…

… définitive.

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