« Knock at the Cabin » de M Night Shyamalan : la défaite de la raison ?
Depuis le carton planétaire du Sixième Sens, chaque film de M Night Shyamalan est l’occasion d’une empoignade générale entre fans et détracteurs, une tendance qui s’est encore exacerbée depuis le basculement de la carrière du réalisateur « prodige » après le Village, le dernier de ses films dont l’excellence était à peu près incontestable, et le début de son entrée dans un purgatoire dont il n’est pas encore sorti. Et dont il n’est pas près de sortir, apparemment. A part Tarantino (pour des motifs bien différents), on ne vient pas bien quel metteur en scène actuelle déchaîne aussi violemment les passions, et quelque part, de quel côté qu’on se situe, c’est bien réconfortant de voir que l’on peut encore, en 2023, polémiquer à propos de Cinéma !
Ceci posé, et sans faire attendre notre lecteur, annonçons que nous qui avons toujours défendu Shyamalan, et toujours trouvé passionnant son traitement des thèmes essentiels de la culture et de la société américaine, quelles que soient les maladresses qui pouvaient être répertoriées dans ses films, nous sommes restés cette fois froids, voire hostiles devant ce Knock at the Cabin. Le film a été mieux accueilli que d’habitude aux USA, laissant présager un retour en grâce du réalisateur, voire un retour à l’excellence, et la déception n’a été pour nous que plus sévère.
On ne raconte pas un film de Shyamalan (il vaut même mieux éviter d’en voir la Bande Annonce), on le sait, rappelons seulement qu’il s’agit là d’une histoire mystérieuse de home invasion pour le moins originale : alors qu’ils sont en vacances dans une forêt isolée, un couple avec une petite fille adoptée voit soudain quatre individus armés de manière artisanale faire intrusion dans leur chalet et leur proposer un choix absurde, qu’ils acceptent de sacrifier l’un d’entre eux ou ce sera la fin du monde, et la destruction totale de l’humanité (sauf d’eux trois !).
A partir de là, c’est à dire à partir d’un livre d’horreur de l’auteur US Paul Tremblay (la Cabane aux Confins du Monde), on imaginait bien ce que Shyamalan allait nous proposer : un bras de fer entre foi religieuse (la fin du monde et tout son attirail symbolique) et rationalité moderne (avec une sorte de défi pour les séquestrés de comprendre ce qu’il y a derrière les déclarations absurdes de leurs bourreaux). Avec un twist final, bien entendu. Et Shyamalan déroule dans Knock at the Cabin ce programme sans grande surprise, hormis, justement et malheureusement (ou pas) le twist final qui ne surviendra pas, ce qui décevra forcément pas mal de spectateurs.
Mais le problème n’est pas là, surtout dans la mesure où Shyamalan, revenant ici sur les traces de son très bons Signs (où une famille était similairement assiégée par des extra-terrestres), est toujours d’une redoutable efficacité quand il s’agit de faire monter la tension, de créer du suspense, et, c’est important, de tirer de ses acteurs des performances remarquables. Ici c’est l’improbable ex-catcheur (de haut niveau, il faut le souligner) et cachetonneur chez Marvel (où il est en général très drôle, il faut aussi le reconnaître) Dave Bautista qui, tout en délicatesse, atteint l’excellence, et constitue, avec peut-être la petite Kristen Cui, la principale raison de perdre une heure quarante de son temps devant ce qui est, sinon, un fatras obscurantiste de fantasmes états-uniens.
Car ici, Shyamalan choisit clairement le camp des conspirationnistes, des bigots, des ennemis de la raison : d’où l’enthousiasme du public US, et d’où le profond malaise – sans parler du profond manque d’intérêt – que l’on ressentira devant le film. Au lieu de choisir une ambigüité qui aurait pu être féconde, et de refléter les interrogations de nombre d’entre nous face aux menaces environnementales et au spectre de l’autodestruction de la race humaine, qui amènent soit à une espérance accrue en les bienfaits de la science et de la technologie, soit à un retour vers la foi religieuse, Shyamalan préfère faire partie de ceux qui s’adonnent à la superstition la plus obtuse. Et ça, c’est un drôle de repoussoir pour nous !
Techniquement, malgré son indéniable efficacité, Knock at the Cabin n’est pas exempt des maladresses habituelles du cinéaste, en particulier avec la symbolique pesante des sauterelles enfermées dans un bocal, mais surtout avec des flashbacks grossiers et franchement dispensables, ressassant des banalités gentillettes sur les couples homosexuels et sur l’adoption d’enfants défavorisés par la nature… Et qui accéléreront encore le décrochage de ceux que le blabla obscurantiste du film n’aurait pas encore découragés.
Le pire film de Shyamalan ? C’est bien possible…