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Le journal de Pok
2 février 2024

"May December" de Todd Haynes : de la subtilité à la vacuité…

May December affiche

Disons-le d’emblée : Todd Haynes est pour nous l’un des réalisateurs US les plus importants de notre époque. Il est responsable d’une série de films allant de l’impeccable (Velvet Goldmine, Dark Waters…) au sublime (Loin du Paradis, Carol), travaillant des sujets bien plus complexes que 90% du cinéma US et allant chercher systématiquement des formes nouvelles, parfois à la limite de l’expérimentation (I’m Not There). Le plantage sévère que représente à nos yeux May December – en dépit de la générosité de critiques « officielles » qui ont visiblement du mal à accepter que l’un de leurs chouchous depuis des décennies ait pu réaliser un film médiocre, voire profondément ennuyeux – est donc l’une des grandes déceptions de cette année 2024 (qui ne fait que débuter, il y en aura sans doute d’autres…).

May December nous raconte (?) la confrontation feutrée entre deux femmes : l’une, Elizabeth, est une actrice à la mode qui doit interpréter dans un film (ou une série TV ?) le rôle de l’autre, Gracie, prédatrice sexuelle ayant causé un scandale suite à la découverte de sa relation avec un garçon de 13 ans alors qu’elle en avait 36. Un quart de siècle s’est écoulé, Gracie a fait de la prison, où elle a donné naissance à un bébé, s’est mariée avec sa victime, et a continué à vivre dans sa ville d’origine, Savannah, toujours sujette à l’opprobre générale.

Le scénario de May December est inspiré du cas bien réel de Mary Kay Letourneau, une professeure qui fit 8 ans de prison pour avoir eu des relations sexuelles avec l’un de ses élèves de 12 ans. La plupart des faits historiques ont été conservés, mais quelques modifications ont été apportées, avec une logique parfois discutable : l’origine samoane de l’enfant est devenue ici « coréenne » (Charles Melton, l’acteur-mannequin incarnant Joe Yoo a lui-même un peu de sang coréen…), le cadre de l’histoire a été changé d’une Californie – sans doute trop permissive – à un Sud beaucoup plus traditionnel et inflexible par rapport à tout comportement « déviant », mais surtout on est passé du monde de l’enseignement où l’emprise de la professeure sur son élève est institutionnelle, donc plus clairement condamnable, à celui d’une animalerie décatie… Ce qui permet d’enfermer plus facilement le couple dans une atmosphère moite et glauque, et de dérouler ensuite une métaphore à la symbolique lourdaude, et indigne de Todd Haynes, sur la métamorphose de papillons et leur envol vers la liberté !

May December est un film complexe, trop complexe pour son propre bien, qui examine une multitude d’aspects différents dans la vie de ses personnages, mais qui n’apporte aucune interprétation, aucune conclusion particulière à aucun de ces sujets : refusant la psychologie – ce qui est bien -, privilégiant la subtilité – ce qui est encore mieux – Haynes pousse trop loin son style habituel au point de transformer May December en une coquille tragiquement vide. Pire, pratiquement tous les personnages apparaissent finalement comme douteux (plus encore qu’ambigus), égarés au milieu d’une existence franchement banale, frôlant le sordide en dépit de leur aisance matérielle : impossible finalement de ressentir quoi que ce soit pour cette brochette de gens ordinaires, à la limite du haïssable, dont on ne comprend jamais les réelles motivations.

Entre les errances d’un scénario qui ne choisit jamais son sujet, la laideur consternante de la photographie (pourquoi filmer à Savannah, l’une des plus belles villes des Etats-Unis, si c’est pour aboutir à ces images laiteuses, parfois floues…?), et la seule tentative « expérimentale » du film – l’utilisation décalée par rapport à l’atmosphère du film d’une musique que Michel Legrand avait composée pour le Messager en 1971 – qui tombe à plat, rien ne semble aller dans May December : on n’a jamais connu Todd Haynes aussi peu, pardon, aussi mal inspiré !

On a lu partout l’expression d’un enthousiasme dithyrambique vis à vis de l’interprétation de Natalie Portman et Julianne Moore, deux très grandes actrices justement dirigées ici par un metteur en scène considéré comment l’un des meilleurs « filmeurs » de femmes (avec Douglas Sirk comme modèle…). Or, si Moore est géniale comme toujours, elle est finalement peu à l’écran, alors que Portman, le véritable personnage central du film, échoue à nous convaincre totalement, passant de l’excellence à un surjeu assez convenu, là encore inédit dans le cinéma de Haynes. C’est particulièrement sensible dans la scène de lecture « théâtrale » de la seule lettre d’amour de Gracie à Joe ayant « survécu », ou encore dans les plans vidéos finaux du tournage du film, où l’on tombe dans une certaine vulgarité de l’interprétation « à l’américaine » : deux moments gênants qui finissent de condamner le film à la dernière place dans la filmographie de Haynes.

Devant tant de maladresse, devant un tel manque de substance, et devant l’ennui qui se dégage d’une bonne partie des scènes du film, on peut se demander si le but de Haynes n’était pas en fait de dépeindre la médiocrité profonde de la « vie américaine », même dans un cadre glamour (l’actrice célèbre) ou totalement scandaleux et hors normes (le couple formé par la prédatrice et sa victime infantilisée) : peut-être faudrait-il revoir le film sous cet angle pour vérifier cette hypothèse ? Mais c’est clairement au-delà de nos forces !

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