"L’odyssée des étoiles" de Kim Bo-Young : à la vitesse de la lumière !
On constate chaque jour avec plaisir combien la science-fiction prospective, ambitieuse et conceptuelle, des années 60-70 est revenue au premier plan, et dépasse à nouveau à la fois les enfantillages de duels au sabre laser (merci, Mr. Lucas, pour avoir fait rétrograder la SF durant des décennies au stade de l’école primaire !) et la propagande impérialiste montrant la race humaine dominant la galaxie ou menant des guerres contre des aliens belliqueux. Cette évolution positive est en partie – voire largement – causée par un développement du genre au delà du monde anglo-saxon : c’est aujourd’hui en Asie, et particulièrement en Chine, que l’on compte les auteurs les plus audacieux, les plus prometteurs, ceux qui font réellement avancer la réflexion sur l’évolution de notre civilisation, de la planète, etc.
Face à la proéminence de la SF chinoise, quelque chose bougerait-il du côté du matin calme, plutôt discret pour le moment, au moins vu de l’Occident ? Kim Bo-Young est en effet la première autrice coréenne de SF publiée en France, avec son roman l’Odyssée des Etoiles, comme elle a été auparavant la première à voire ses nouvelles traduites en anglais. Peut-être d’ailleurs est-il faux de parler de roman à propos de ce livre, car il est constitué de plusieurs histoires, donc de « nouvelles » qui sont surtout reliées par un thème commun, celui du voyage spatiale à une vitesse proche de celle de la lumière, et de la relativité temporelle (remember Einstein ?) qui, du coup, impacte sur l’existence des navigateurs.
Dans le premier récit, le plus long et sans doute le plus original, le plus frappant : deux fiancés vivant sur deux planètes différentes partent volontairement voyager à travers l’espace de manière à coordonner temporellement leurs retrouvailles pour se marier sur Terre ; malheureusement, une suite d’incidents, d’avaries, de problèmes, va retarder ces retrouvailles… des dizaines, puis des centaines, et enfin des milliers d’années ! Pendant ce temps, la civilisation humaine sur Terre va décliner, largement à cause de phénomènes climatiques, rendant le fameux mariage de plus en plus problématique. Tout cela est passablement absurde, avec un humour et sens de la dérision qui détonnent très favorablement par rapport à ce qu’on attend en général d’un récit de science-fiction, surtout dans le contexte passablement anxiogène de deux existences qui vont se voir défaites par une accumulation de circonstances. Et par les lois de la relativité. La conclusion, mélodramatique, est littéralement bouleversante, et on se rend compte alors à quel point la voix de Kim Bo-Young est originale, singulière même.
Les récits suivants sont un peu plus classiques, mais très disparates : l’un se rapproche de la SF « hard science », avec des réflexions mathématiques et scientifiques complexes, dont on est bien en peine de démêler ce qui est effectivement scientifiquement solide de ce qui est fruit de l’imagination de l’autrice ; l’autre aborde une réflexion originale sur l’origine des religions et le pouvoir que la foi (dans des divinités qui n’existent pas) confère aux prêtres de ces religions ; les deux dernières partent dans un délire onirique saisissant digne de la conclusion de 2001 l’Odyssée de l’Espace, que Kim Bo-Young cite clairement et tente de déconstruire et reconstruire suivant ses théories sur la vitesse de la lumière.
Tout cela est furieusement étonnant, et bousculera certains lecteurs habitués à déguster une SF moins « perchée ». On peut par contre penser que l’Odyssée des étoiles marque la naissance internationale d’une autrice à la forte personnalité (en Corée, elle a déjà reçu de nombreux prix pour ses nouvelles et romans antérieurs), qui pourrait bien marquer le genre.