"Alternate Forms" de Son Lux : le passage des lanternes…
Prévenons immédiatement le lecteur, particulièrement s’il est fan de la musique du groupe expérimental US : nous allons parler d’un nouvel album de Son Lux qui n’est pas vraiment un nouvel album de Son Lux. D’ailleurs, nous ne sommes ni experts, ni même fans de Son Lux, et nous nous sommes plongés dans l’écoute de cet Alternate Forms à cause de la découverte – et de l’enchantement qui en a résulté – de la chanson Alternate World, interprétée par le fabuleux Kishi Bashi (qui est l’un de nos artistes pop préférés). Car Alternate Forms consiste en la réinterprétation de l’intégralité – et dans l’ordre original des titres – de Lanterns, le troisième album studio de Son Lux (et celui que leur public préfère, en général) par de nombreux artistes, chacun s’appropriant la musique du groupe (bon, avouons que si tout le disque avait été réalisé par Kishi Bashi, ça nous aurait bien été, en fait !). Notons aussi que chaque morceau est désormais assorti d’un double titre, combinant l’original avec un nouveau, mis entre parenthèses : Alternate World est ainsi devenu Alternate World (Alternate Life)…
Ce type d’exercice, avec Son Lux restant aux commandes du projet, et participant à la réinterprétation de leur œuvre, n’est pas si fréquent : il ne nous vient même à l’esprit qu’un seul travail vaguement similaire, celui effectué par Peter Gabriel avec son double projet Scratch My Back / And I’ll Scratch Yours. Evidemment, l’une des énormes différences entre Son Lux et Peter Gabriel est que ce dernier avait fait appel à de grands noms du Rock (Lou Reed, Arcade Fire…), alors que Son Lux collabore ici avec des artistes bien moins connus, la plupart du temps eux-mêmes des créateurs expérimentaux.
Le premier risque évident de ce genre de disques, est que l’auditeur comparera systématiquement les nouvelles versions avec les originales, pour identifier les différences, pour décider de ce qu’il estime meilleur ou moins bon… ce qui est finalement stérile, et surtout ne correspond probablement pas à ce que Son Lux voulaient faire. L’autre risque est l’hétérogénéité du résultat, chaque collaboration tirant la musique dans une direction différente… Et il faut bien avouer que cet Alternate Forms n’échappe pas à ce problème, et s’écoutera plus comme une collection de chansons aux atmosphères diverses et variées que comme un album cohérent.
Parmi les grandes réussites du disque (au-delà du morceau de Kishi Bashi), la bouleversante performance vocale de la chanteuse sud-africaine de jazz, Vuyo Sotashe, sur Easy (Fight to Forget), est l’une des grandes évidences, dans un style musical radicalement différent de celui de l’album original. Dans un registre similaire, pour qui aime les très belles voix féminines, Pyre (Alarm Bells) est sublimé par le chant de la jeune Anna B Savage, qui confirme ici, en duo avec l’Américain DM Stith, tout le bien qu’on pense d’elle depuis son apparition en 2021. On admirera encore combien, sur Enough Of Our Machines (Walk Away), la chanteuse vōx évoque la diva Anna Calvi sur un lit de machines…
Du côté plus franchement expérimental, les sept minutes ambitieuses, quasiment psychédéliques, proposées par Jordan Munson et Isaiah Robinson sur No Crimes (New History) et le labyrinthe sonore de l’artiste électro Kilimanzego sur Plan the Escape (Sirens and Tremors) seront sans doute les passages qui raviront le plus les partisans de l’audace musicale.
Chacun, selon qu’il est fan de Son Lux ou non, qu’il aime Lanterns ou pas, réagira plus ou moins positivement à Alternate Forms, qui parfois accentue la force originale des morceaux, parfois la réduit, voire s’en écarte franchement. Il s’agit en tous cas d’un projet passionnant de plus de la part de Son Lux.