"Rappelle-toi ces belles années" de Julien Langlais : une vie détruite…
1914 : Célestin part à la guerre, abandonnant derrière lui sa jeune femme enceinte. Comme ses copains qui montent avec lui dans le train, il n’imagine même pas qu’il va plonger dans l’enfer, dans cette abomination que sera cette interminable agonie de milliers de jeunes hommes piégés dans les tranchées, bombardés, gazés. Dans quel état mental et physique en ressortira-t-il, s’il en ressort ? Telle est la question qui plane tout au long de Rappelle-toi ces belles années, la première BD de Julien Langlais : un récit construit en forme de puzzle dans lequel le lecteur s’égare, erre entre passé, présent et futur, réalité et délires. Sans plus de repères que le personnage principal du livre. Il passe de moments de bonheur – les souvenirs de « belles années » où l’amour illuminait sa vie – à de terrifiants tunnels d’horreur pure. Sans nulle garantie que la moindre lumière n’apparaisse jamais au bout de ces tunnels…
Langlais s’est passionné pour la première guerre mondiale, l’un des pires conflits du XXe siècle, il en a fait l’un de ses sujets d’étude à l’Académie de Bande Dessinée Delcourt, et c’est, logiquement, le sujet qui s’est imposé à lui au moment de concevoir sa première BD, qui porte la marque de cette obsession. Si le récit est sinueux, parfois indécidable, l’image est réaliste, ultra lisible. Ce conflit entre la noirceur du labyrinthe mental dans lequel personnages et lecteurs se débattent, et un dessin accueillant, des images régulièrement magnifiques (Langlais s’est aussi occupé des couleurs de la BD…) est un paradoxe, que l’on pourra apprécier, ou au contraire regretter. Si l’on compare Rappelle-toi ces belles années aux œuvres terribles de Tardi sur le même sujet, il est clair que l’impact du livre de Langlais est moindre. C’est que Rappelle-toi ces belles années n’est pas tant un ouvrage politique, dénonçant la barbarie des politiques et des militaires qui sacrifièrent une génération entière pour des motifs dont on a peine à comprendre la pertinence, Langlais préfère quant à lui nous livrer une histoire à hauteur d’homme, un drame intime plutôt qu’une fresque apocalyptique, même si ses ambitions en termes de narration éclatée jouent parfois contre l’impact de son histoire…
C’est là la beauté et la limite de cette première BD, qui marque toutefois l’apparition d’un nouvel auteur dont on suivra l’évolution.