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Le journal de Pok
30 septembre 2018

"Les Frères Sisters" de Jacques Audiard : les confidences de J.A.

Les Frères Sisters affiche

J e sais bien que je suis un réalisateur formidablement surestimé dans mon pays, et même que je suis très fier de moi, j'ai toujours réussi à emballer les gogos, à chacun de mes films, en tirant sur les mêmes grosses ficelles (la fraternité, la famille, le combat entre le bien et le mal qui à la fin reviennent au même, les femmes - toutes des p... sauf maman, etc.).

A force de tourner un peu en rond dans un hexagone de plus en plus étroit pour moi, je me suis dit que j'allais frapper un grand coup et aller titiller les Amerloques sur leur propre terrain, celui du Western, histoire de prouver que nous aussi on peut aller leur apprendre une ou deux choses.

C 'est-à-dire que j'ai pensé que je pouvais inventer un nouveau genre, auquel ce vieux Clint n'avait pas encore pensé, j'ai appelé ça le "nouveau classicisme post-moderne" : on part de "Impitoyable" avec ces cowboys dégueulasses et sans pitié, et on revient vers Ford et Walsh que les jeunes ne connaissent pas bien, alors ils n'y verront que du feu.

Q u'est-ce que vous voulez ? Le western, c'est le genre idéal pour moi : il y a plein de raisons valables pour montrer des plaies, des membres amputés, des brûlures. Tiens j'ai même eu envie de vous faire le coup de l'araignée dans la bouche, je sais que ça, ça va marcher : impact maximal !

U n truc important quand on fait un film "américain", ce sont les acteurs, je prends les meilleurs : Phoenix, Gyllenhaal, Reilly, avec des types comme ça, je ne peux pas rater mon coup, il suffit juste de leur faire faire ce qu'ils font toujours : Joaquin sera le mec violent et incontrôlable, Jake le mec sensible et intelligent, un peu gay même, et John C le bon gars auquel tout le monde va s'identifier. Succès garanti.

E t puis un truc tout simple, je fais filmer des paysages fantastiques de la manière la plus dégueulasse possible pour qu'on voit que je suis un mec qui a du goût, qui ne fait pas de la belle image !

S urtout, je fais bluffer la critique des Inrocks et de Libé, et puis même si j'ai de la chance, américaine, en faisant plein de raccourcis, en esquivant les scènes attendues, en ne montrant pas ou très peu, les duels, les fusillades. Du Lubitsch, les amis ! Lubitsch au Far West !

A vant tout, il me fallait une histoire, alors j'ai été chercher un bouquin que peu de gens auront lu en France, ça m'évitera les critiques du genre : "oh, le bouquin est vachement mieux", sans avoir pour autant à me fatiguer pour écrire un scénario. Top !

U ne chose importante pour réaliser un "chef d'œuvre", c'est de ne pas lésiner avec les ambitions, j'ai donc décidé de TOUT mettre, absolument TOUT dans ce film : la mutation de la société américaine, les pères de substitution, la famille comme ancrage incontournable, l'utopie politique face à la nature impitoyable, et même l'amour des chevaux, hein. C'est beau un cheval, et ça permet d'ajouter de l'émotion sans trop se fatiguer.

D es trucs rigolos aussi, il en faut : j'ai trouvé une chouette idée, la modernité c'est la brosse à dent (tu pues plus de la gueule, cow boy ! un vrai progrès, ça, non ?) et c'est aussi la chasse d'eau. Tiens les Français, ils ne se brossent pas assez les dents, peut-être que je vais contribuer à l'hygiène dentaire nationale. Quant aux chiottes, bon...

I l fallait quand même que je mette des grogniasses dans "les Frères Sisters", alors j'ai fait une sélection gratinée avec une prostituée avachie qui a bon coeur, une maître femme qui commande tout un village avant qu'on ne lui éclate le crâne (bien mérité, ça !), et surtout la bonne vieille maman qui attend patiemment à la maison le retour de ses enfants terribles pour leur faire à manger et leur donner un bain. On a fait le tour de la question, non ?

A près, je sais bien qu'il y a encore des gens qui vous me critiquer, qui ne vont pas saisir toute la puissance de mon film. Mais ce sera toujours les mêmes salopards, alors je les enc... profond.

R emarque, le problème maintenant, c'est quoi faire après. Netflix m'a contacté pour faire un thriller SF avec des moines défigurés et pédophiles au XXIIème siècle. Mais j'hésite encore. Qu'est ce que vous en pensez ?

D ésolé, les copains, il faut que vous laisse, c'est pas tout ça, j'ai la promo de mon film à faire. Et surtout, que tout ce que je viens de vous dire reste entre nous, hein ?

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