"Citadel" des Frères Russo : les déboires du nouveau multiverse d’Amazon
Citadel fait partie du plan d’Amazon pour combler son retard vis-à-vis de son principal concurrent Netflix, et c’est d’abord par rapport à ces ambitions qu’il convient de juger son succès ou non. Le concept pondu les « Winners » du département Marketing semble tout droit sorti d’une séance de brainstorm corporate : on va reprendre et moderniser le principe des vieux James Bond (en y ajoutant la touche qui va bien de Jason Bourne) et surtout transformer ça en « multiverse », qui sera infiniment extensible, en particulier à travers la planète, pour que chaque pays (chaque pays « qui compte » en termes de nombre potentiels à de nouveaux abonnés à séduire, imagine-t-on) puisse en décliner une version locale. Et comme les financiers préoccupés (après l’échec et le ROI catastrophique des Anneaux du Pouvoir, on les comprend !) demandaient des garanties, on va confier la « franchise » aux Frères Russo, les rois du box-office de chez Marvel. Bref un plan (en théorie) infaillible, mais inquiétera sérieusement tous les passionnés de bon cinéma et de bonne séries télévisées : les bourrins de chez Marvel au poste de pilotage d’une idée mégalomaniaque préoccupée avant tout de faire du recyclage, on a forcément des inquiétudes quant au résultat !
Et, bien sûr, on n’avait pas tort… Déjà, avec les rumeurs d’explosion du budget déjà colossal, de conflits violents au sein de l’équipe pendant la conception de la série, et de nécessité de retourner complètement certains épisodes, l’affaire commençait déjà à puer franchement… Pourtant les trois premiers épisodes ont constitué une bonne surprise, en tout cas, par rapport à nos attentes pas trop élevées : du baston à l’ancienne pour commencer (joli premier épisode de tuerie générale à bord d’un train italien lancé à pleine vitesse), de la séduction avec le couple Priyanka Chopra Jonas – Richard Madden qui fonctionne parfaitement, coups de théâtre et rebondissements à gogo, et même un bonus pour les cinéphiles avec l’interprétation réjouissante d’un Stanley Tucci qui savoure visiblement le rôle de grand manipulateur génial et pervers qu’on lui a confié. Bref, cette histoire d’un couple d’agents travaillant pour une gigantesque organisation secrète, Citadel, confrontés à la destruction de celle-ci par une organisation concurrente, Manticore, et perdant la mémoire dans l’affaire, si elle est d’une stupidité intégrale, s’avère parfaitement réjouissante.
Les problèmes apparaissent ensuite, et s’aggravent à chaque nouvel épisode, trahissant la nature frankensteinienne du monstre qu’est cette première saison de Citadel : quelque chose d’effrayant et de ridicule à la fois, construit à partir de morceaux récupérés de versions divergentes du scénario et de scènes déjà tournées. En voulant donner de nouveaux tours d’écrou (comprenez de nouveaux coups de théâtre par-dessus ceux qui se sont déjà accumulés) tout en multipliant les scènes d’action spectaculaires à travers le monde, sans avoir jamais pris le temps de creuser les personnages, il est évident qu’on aboutit à un tourbillon ininterrompu de situations aberrantes et invraisemblables. On est passé de Jason Bourne à Alias, avec ces « missions impossibles » dénuées de sens et exécutées sans aucune crédibilité en une vingtaine de minutes par des super-héros dont on se moque éperdument. Car même Alias défendait ses personnages en nous faisant comprendre, vivre, ressentir les tourments que leur vie « professionnelle » créait dans leur situation amoureuse ou familiale. Ici, on en arrive dans le dernier épisode au plus grand des paradoxes : alors que Mason est confronté à un dilemme cornélien, celui de choisir entre les deux familles que chacun de ses « moi », avant et après la perte de mémoire, a fondée, le téléspectateur s’en bat franchement le steak ! Et accepte avec reconnaissance le preview de la prochaine saison de Citadel, qui sortira en 2024, et qui parlera d’un autre sujet, avec d’autres personnages. C’est dire le ratage que constitue ce premier chapitre du Citadel Multiverse ! Mais au moins, ça confirme notre opinion déjà établie que les Frères Russo sont deux gros lourds.
Et finalement, ce ratage constitue une bonne nouvelle, et encouragera peut-être les génies d’Amazon à ne pas faire confiance à leurs Marketeurs et à leurs Financiers. Et à s’intéresser à nouveau, comme c’était le cas au début de la plateforme Prime, au travail de véritables auteurs et artistes.