"De grandes espérances" de Sylvain Desclous : real politik !
Pendant des vacances en Corse, Madeleine et Antoine font une mauvaise rencontre sur une petite route, qui se termine par un drame. Un drame risquant de les envoyer en prison. Pour y échapper, il leur faudra dissimuler, mentir. En seront-ils capables ? Leur couple y résistera-t-il ?
Présenté comme ça, le sujet de De grandes espérances, le second film de fiction de Sylvain Desclous, qui nous avait déjà offert l’année dernière un documentaire sur une campagne électorale, ressemble à celui d’un polar standard. Tellement standard qu’il paraît sans grand intérêt. Mais ce qui change, et c’est énorme, c’est que Madeleine et Antoine sont tous deux candidats à l’ENA, et ont de grandes ambitions politiques : pas moins que changer la vie du peuple français, en remettant à l’ordre du jour de vraies idées de gauche. Et que Madeleine vient d’un milieu défavorisé, tandis qu’Antoine est un fils de bonne famille…
Ce qui fait que, à partir de là, De grandes espérances va parler de choses bien plus passionnantes. Des choses, comme : les idées de gauche peuvent-elles être encore portées par des politiques dans la France macronienne ? Ou encore : entre idéaux et réalisme politique permettant d’arriver au pouvoir, jusqu’où faire des compris ? Et aussi : si on est de gauche, peut-on accepter d’être immoral au nom de l’intérêt général ? Sans oublier : comment le milieu d’où nous venons nous conditionne-t-il à réagir face à des événements potentiellement destructeurs. Du lourd, sans aucun doute. De quoi craindre un pensum théorique ou bien une leçon appliquée façon « Dossiers de l’Ecran » pour les nuls de 2023.
Le miracle, c’est que, non seulement De grandes espérances est un film plus ambitieux que 90% des films français, mais surtout que Desclous croit au pouvoir du cinéma pour raconter des choses complexes le plus simplement possible. Avec subtilité, avec légèreté même. Desclous fait confiance en ses acteurs pour porter des dilemmes colossaux sans user de dialogues inutiles. En enlevant quasiment toute scène explicative. En misant sur l’intelligence de son spectateur.
Desclous a raison, mais en plus il a du talent : De grandes espérances est une réussite totale, un portrait à charge de la France politique d’aujourd’hui qui ne tombe jamais dans la caricature… malgré la haine que le spectateur peut ressentir pour des personnages comme le père d’Antoine (dans une scène d’introduction puissante qui décrit sans ambages le mépris de classe et l’indifférence des puissants) ou comme le ministre du travail venant proposer aux ouvriers d’une usine qu’ils veulent reprendre et gérer un « chevalier blanc » bien pourri (un moment du film particulièrement fort, et réellement « engagé », pour le coup).
Benjamin Lavernhe est parfait comme toujours en jeune Parisien riche combinant lâcheté et principes moraux à géométrie variable. Emmanuelle Bercot est totalement convaincante en femme politique de gauche qui va succomber aux sirènes macroniennes. Mais c’est surtout Rebecca Marder qui nous emballe, dans un rôle complexe de jeune femme forte qui va devoir tirer une croix sur ses principes si elle veut tenir le rôle auquel elle aspire dans le monde politique.
Indiscutablement l’un des grands films français de l’année 2023.