"Ex-Voto" de Lonny : une affaire de sensibilité et d’héritage
Lorsqu’un disque vous touche intimement, il est toujours difficile d’expliquer pourquoi, ou plutôt d’éviter d’être dans l’expression purement subjective de sensations et de sentiments personnels. Avec en plus cette espèce de gêne qu’on ressent de vouloir convaincre à tout prix les autres de ressentir quelque chose de similaire. Et quand in s’agit, qui plus est, d’une musique dénudée, épurée, étiquetée – non sans facilité – folk, c’est encore pire, finalement : il va être difficile d’écrire plusieurs paragraphes pour tenter d’expliquer une magie qui tient avant tout à des choix minimalistes, à une accumulation de soustraction plutôt qu’un empilement sonore.
Il y a bien sûr le jeu déprimant des références, que nous jouons tous beaucoup trop systématiquement, et qui traduit malgré tout une « usure » musicale, puisque, quelque part, on admet implicitement que tout a déjà été fait et refait, entendu et réentendu. Ce qui n’est pas du tout ce qu’on ressent devant "Ex-Voto", le premier album de Lonny, et surtout pendant la majorité de ses onze titres magnifiques : au contraire, on baigne dans un sentiment de « première fois », d’innocence retrouvée, de beauté matinale, et cette espèce de virginité – mot dangereux, mais qui s’impose ici – s’apparente à une sorte de nettoyage doux de notre ouïe, et de nos habitudes.
Pour ceux, comme nous, qui n’ont souvent pas la patience d’écouter du folk, et qui ont souvent ironisé sur la fragilité fade de bien des interprètes seuls avec leur voix et leur guitare acoustique, il est important de préciser quand même que les références que l’on entend ici sont plus celles de Leonard Cohen (quelques arpèges) et de Joni Mitchell (cette élégance et ce détachement) : c’est dire que, dans le fond, malgré la douceur qui prévaut en apparence, "Ex-Voto" est plutôt du côté de la profondeur et de la… brutalité émotionnelle que de la douceur souriante. Et si l’on ajoute que, parfois, on a le sentiment d’avoir rencontré la petite sœur de Dominique A, c’est bien que "Ex-Voto" n’est finalement pas fait pour les âmes sensibles qui aiment être charmées.
Enregistré au Québec, où Louise – le vrai nom de Lonny – a vécu et où elle commence à avoir une petite célébrité, remarquablement produit par le Canadien Jesse Mack Cormack qui a lui aussi dépassé le cadre du folk traditionnel pour aller vers des terres plus aventureuses, "Ex-Voto" est chanté la plupart du temps en français, mais s’inscrit plutôt dans la tradition de la grande et belle musique anglo-saxonne : s’appuyant sur une formation de chanteuse lyrique et de violoniste classique, Lonny qui a 28 ans, a déjà exploré les sentiers du Rock, des Doors à Neil Young (The Loner serait apparemment, mais il faudra le confirmer, la source de son pseudo !).
S’ouvrant sur un "Incandescente" en demi-teinte, qui vaut plus pour son beau texte sur la résilience que pour son originalité, "Ex-Voto" explose dès sa seconde plage, "Comme la Fin du Monde", dont on jurerait qu’il s’agit de l’une des plus belles chansons que l’on ait entendu ces derniers mois. La suite de l’album alterne de la même manière titres plus complexes, qui n’hésitent pas à recourir à l’électricité et à ouvrir des gouffres sous nos pieds, et chansons éthérées, ou plutôt aquatiques en fait, l’élément liquide et la mer semblant essentiel dans l’imaginaire de Lonny. Le sublime "la Maison des Filles" retrouve donc la magie des plus belles chansons de Dominique A, tandis que l’accrocheur "le Goût de l’Orge", célébration de l’Irlande, s’avérera le titre le plus pop, ou tout au moins le plus immédiatement accrocheur de "Ex-Voto".
Il est néanmoins tout à fait artificiel de pointer du doigt une chanson parmi les onze offertes ici qui soit… « la meilleure », tant tout cela est affaire de sensibilité personnelle. Lonny travaille dans ses textes, en français comme en anglais (Black Hole, qui prouve peut-être même que le chant de Lonny est encore plus beau en anglais !), des sujets aussi intimes qu’universels, et souvent brûlants (le chagrin, le deuil, les rapports difficiles avec les autres, la nature de la féminité) : chacun y trouvera donc à un moment ou un autre sa part de complicité, d’empathie, de compréhension…
Ce qui fera de "Ex-Voto" un parfait disque de chevet pour 2022. Et un disque qu’on aura envie de recommander à tout le monde, tout en craignant que tout le monde n’y trouve pas la Beauté qu’on y a vue.