Séance de rattrapage : "Sicario" de Denis Villeneuve
Si j'aime bien le travail de Villeneuve, et si "Sicario" ne fera pas exception, ce film pointe aussi les limites de son talent : commençant par une demi heure magnifique de tension, de "réalisme éprouvant" (enfin ce que la fréquentation exagérée du cinéma hollywoodien fait désormais passer pour du réalisme...), puis se délitant doucement au fil d'un scénario sans doute insuffisant par rapport à son sujet, entre "Traffic" et "No Country for Old Men", "Sicario" reste en deçà de ses ambitions.Villeneuve est l'un des meilleurs cinéastes actuels pour faire naître la tension et la gérer de manière à la fois viscéralement efficace et élégante, mais il lui manque ce quelque chose de talent - de génie ? - pour pouvoir faire du "grand cinéma" à partir de ses intuitions et des scénarios ambigus qu'il choisit. Cette "zone grise", cette "indécision", ces "paradoxes" qu'il aime mettre en scène, tout cela est tout à son honneur, à une époque où l'on semble au contraire se contenter du "nous et eux", du noir et blanc, des certitudes rassurantes ; pourtant, il n'en fait pas grand chose, pour le moment du moins. Représenté au sein de son film par le personnage joué parEmily Blunt, Villeneuve prend note que le monde est "dégueulasse", mais ne se résout ni à tirer la chasse (et à prendre le vrai risque de dire "non" - en ne signant pas au bas de la page, en tirant dans le dos du salaud...), ni à en tirer les conséquences. Comme dans "Prisoners" qui souffrait du même travers, Villeneuve va quand même chercher quelque chose de rassurant pour donner du sens à ce qui est par trop révoltant (Dieu dans "Prisoners", une juste vengeance ici). Peut-être est-ce finalement une question d'âge, de "maturité", qui l'empêche de conclure son film avec le même désespoir et la même profondeur que les Frères Coen de "No Country..." ? Peut-être nous suffit-il d'attendre ?