"Western Cum" de Cory Hanson : immensité électrique et hantée…
Avec la publication d’albums à un rythme de plus en plus effréné, on ne peut pas prétendre que le Loner nous manque, à nous ses fans. Par contre, vu l’âge qui avance, on peut se poser la question de la succession, ou, pour le dire autrement, des héritiers de Neil Young. Héritiers qui, vu la singularité du bonhomme, ne se bousculent pas au portillon…
… Pour un fan de Neil Young qui n’aurait pas encore entendu une note de la musique de Cory Hanson, l’écoute de Western Cum peut se révéler une sorte de choc : voici un disque qui, sans – heureusement – jamais singer le vieux maître de la country folk à obédience noise, est ni plus ni moins qu’une sorte de Everybody Knows This Is Nowhere millésimé 2023 ! On s’explique : une voix haute, délicate, des ballades country, des mélodies sensibles, des accélérations furieuses et heavy, et puis, surtout, un morceau-fleuve (de 10 minutes) où d’immenses solos de guitare électrique construisent un paysage lyrique à forte teneur émotionnelle. La vieille recette du Loner, donc, dont on pensait qu’il avait l’exclusivité, assaisonnée des meilleures idées de notre époque : une coloration psychédélique plus forte, des dérapages expérimentaux. Car Cory Hanson est un musicien inspiré, qui a construit son propre style au cours d’un parcours de haute volée : une collaboration avec l’incontournable Ty Segall, une participation aux Meatbodies, la création du groupe Wand…
Western Cum (soit « jouissance de l’ouest », comprenne qui pourra, surtout avec la pochette absconse et vaguement hideuse qui emballe l’objet) démarre à la fois rondement et confortablement avec un Wings qui conjugue tout ce qu’on aime : un respect de l’héritage US, tant que psyché que country, une jolie mélodie, des riffs plombés et des solos bruyants. Et des textes vaguement surréalistes, donc intriguants : « Well, I heard you were a cherub child / You spilled your milk, then ran without a trace / When clouds are gathering like police / The tears roll down the backside of your head » (Eh bien, j’ai entendu dire que tu étais un enfant chérubin / Tu as renversé ton lait, puis tu as couru sans laisser de trace / Quand les nuages se rassemblent comme la police / Les larmes coulent à l’arrière de ta tête)… d’accord ! Housefly continue dans le même registre, en meilleur encore, tant la voix de Cory sonne divinement au milieu des guitares qui pètent la flamme.
L’incroyable Persuasion Architecture démarre dans une sorte de furie tellement excessive qu’elle en devient abstraite, quasiment expérimentale, avant de revenir sur la piste poussiéreuse de la folk music délicate, tendance Neil Young (avec l’incontournable pedal steel guitar) : « I′ve been patient, but I’ve lost the time / Your naked figure is haunting my mind / Just a piece of tiring persuasion / Thrown out the edge of the world » (J’ai été patient, mais j’ai perdu le temps / Ta silhouette nue hante mon esprit / Juste un morceau de persuasion fatigant / Jeté au bout du monde), Cory semble perdu entre mélancolie et cauchemar surréaliste. Horsebait Sabotage, jouissif exemple de morceau country secoué dans une essoreuse heavy rock à tendance « sudiste », mais se vautrant de temps en temps dans un vague à l’âme spatio-temporellement perdu, déstructuré, est irrésistible.
Le chant sur le plus calme Ghost Ship rappelle d’abord de manière surnaturelle celui du Loner, mais se révèle un leurre, car l’élan lyrique qui soulève ensuite la chanson, n’appartient qu’à Cory Hanson, et c’est magnifique. Twins nous offre ensuite la plus jolie mélodie country de l’album, néanmoins rehaussée de guitares flamboyantes qui effacent le côté « traditionnel » de la chanson.
Et alors commence la merveille absolue de Western Cum : Driving Through Heaven, qui en dix minutes et vingt neuf secondes, va reprendre, puis littéralement transcender l’héritage du Crazy Horse. Principalement instrumental, avec ces merveilleuses parties de guitare dont on aimerait qu’elles ne se terminent jamais, le morceau se nourrit de visions psychédéliques tantôt effrayantes (« There is a killer riding on drops of rain / If you pick him up, you′ll never be seen again » – Il y a un tueur à cheval sur des gouttes de pluie / Si vous le ramassez, on ne vous reverra plus jamais), tantôt féériques (« Marble arches fall into an azure lake / The black curtains of a ghost ship coming in » – Des arches de marbre tombent dans un lac d’azur / Les rideaux noirs d’un vaisseau fantôme qui arrive). Oui, dix minutes et vingt-neuf secondes de pure magie électrique, où la beauté émerge régulièrement au milieu du chaos, mais d’un chaos soigneusement construit, voire précieusement architecturé !
Et le disque se referme sur un Motion Sickness hanté et mélancolique : le calme est revenu après la tempête, et c’est encore une fois magnifique, dans un registre presque traditionnel.
Western Cum est une expérience qui réussit à être à la fois classique, déroutante et exaltante, et qui confirme la stature d’un artiste hors du commun, nouveau chantre d’une Amérique sauvage et hantée. Et immense.