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Le journal de Pok
8 février 2024

"Fargo – Saison 5" de Noah Hawley : le choix de Dot

Fargo S5 affiche

Ce matin-là, peu de temps après qu’une bagarre générale dans la salle municipale de la petite ville où elle habite ait conduit à l’arrestation de Dot, deux hommes masqués s’introduisent chez elle pour la kidnapper. Ils vont vite réaliser que c’est une tâche bien moins aisée qu’elle ne le paraissait a priori…

… La suite, il vaut mieux ne rien en dire, et laisser au téléspectateur le plaisir de découvrir chaque rebondissement littéralement incroyable de cette nouvelle histoire imaginée par Noah Hawley, le créateur, scénariste, showrunner et réalisateur occasionnel de cette brillante série qu’est Fargo… Sans doute l’une des toutes meilleures des années 2010-2020, et à notre avis pas assez reconnue encore comme telle. Ce que cette cinquième saison devrait normalement changer, tant elle est ENORME !

Une cinquième saison que l’on a attendue trois ans, qui pourrait être la dernière et qu’on aurait envie de célébrer comme la meilleure de toutes – la plus forte, la plus impressionnante, la plus intelligente, la plus politiquement engagée… même si, parfois, elle semblera un peu moins décalée, moins subtile que les précédentes (en particulier la saison 4, sans doute la plus raffinée…). On commencera par souligner que c’est aussi l’histoire qui rend le plus directement hommage au chef d’œuvre fondateur des Frères Coen, avec des situations similaires, des personnages faisant écho à ceux du film Fargo, et même certains plans le citant directement : le couple dont le mari gère une concession automobile, la famille riche de la personne kidnappée, la paire de bandits pour le moins mal assortie et bizarre, la policière têtue, la recherche dans un champ enneigé d’un objet enfoui, etc. Et puis il y a aussi plus surprenant : ce tueur littéralement décalqué sur le personnage joué par Javier Bardem dans No Country For Old Men (avec sa coupe de cheveux improbable), qui ouvre une sorte de béance fantastique inattendue dans la série, dont on ne dira rien, mais qui permet à Fargo de se clore, une fois que les armes se sont tues (il y a beaucoup de violence dans cette saison, parfois drôle, souvent non !), dans une longue scène magnifique, magique. Comme si Hawley avait voulu montrer aux Coen une manière alternative de terminer la trajectoire de leur tueur implacable !

Mais cette cinquième saison est aussi plus engagée politiquement que les autres : centrée sur les violences conjugales et la masculinité (plus que) toxique, elle oppose deux archétypes du Mal contemporain, qui offrent à Jennifer Jason Leigh et à Jon Hamm deux des plus beaux rôles de leur carrière. D’un côté, le capitalisme pur et dur, sans pitié, s’enrichissant sur le dos de la misère des autres (ici, l’exploitation du surendettement chronique des Américains), de l’autre, l’Amérique profonde, rétrograde, violente, qui vote Trump mais est surtout réfractaire à toute notion d’état, de justice institutionnelle, ne croyant qu’en la tradition, la Bible et les armes à feu. Avec, au milieu, les gens ordinaires – ou pas tant que ça, car comme chez les Frères Coen, c’est chez les gens ordinaires que se trouvent les véritables vertus – et ceux qui luttent pour préserver un minimum de structure sociale, comme la police locale.

Là où le scénario est audacieux, et ne caresse pas tant que ça le politiquement correct dans le sens du poil, c’est que Hawley nous dit qu’entre ces deux maux, il faut choisir le moindre, et que la priorité aujourd’hui, c’est d’abattre la bête immonde des forces réactionnaires, quitte à se compromettre avec le Capitalisme, ce qui n’a rien d’évident. Admettons donc que le choix de Dot (Juno Temple, paradoxale et parfaite, elle aussi), c’est avant tout celui d’un monde féminin, peut-être cruel, mais en tout cas plus vivable que celui du patriarcat traditionnel (Qui a crié « Woke ! », « Woke ! » parmi nos lecteurs ?). Tout ceci est troublant, d’une lucidité et d’une intelligence remarquables, mais surtout, on le répète, permet à Fargo de se clore sur une longue scène pleine d’une douceur inattendue, mais aussi d’une étrangeté rare, qui voit les malédictions ancestrales et les mythes s’effriter contre la simple résistance de la bonté.

Un chef d’œuvre, tout simplement.

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