Michel Cloup à la Maroquinerie (Paris) le mercredi 17 janvier 2024
21h30 : Michel Cloup se produit en ce moment sur scène en format trio – avec son batteur Julien et une seconde guitariste, Manon, qui apporte un volume et une puissance rock bienvenue sur la plupart des titres, la plupart extraits de son dernier album, Backflip au-dessus du chaos. Largement aidé de machines, Michel nous offre un set passionné – il vitupère et tempête quant à tout ce qui va mal dans notre société, avec une honnêteté, une franchise qui font plaisir – et en même temps avec une légère distanciation : en se défendant par deux fois dans son discours d’être un « professionnel », on a le sentiment qu’il n’assume pas complètement l’efficacité musicale pourtant indispensable à la transmission au public de sa (légitime) colère. L’introduction sur Brûle Brûle Brûle (« Tremble, vieil homme blanc / Tremble, jeune homme blanc ») est d’une pertinence totale, et est à même de gérer un peu d’inconfort parmi un public qui a eu du mal à répondre franchement « non » à la question inaugurale de Michel : « Etes-vous partisans du vieux monde ? ». La combinaison entre électronique et instrumentation rock est parfaite, comme dans un équilibre magnifiquement instable entre modernité et classicisme.
Ce qui peut desservir Michel Cloup, c’est sa voix, pas forcément celle qu’on attend d’un artiste engagé et furieux comme lui : une voix claire, haute, juvénile, pas si loin de celle de Katerine… sauf qu’ici on n’est pas dans le registre de la plaisanterie fantaisiste. Et puis il faut s’habituer à des textes qui ne respectent pas les règles habituelles de la poésie et de la chanson : pas de rimes, pas de « pieds », seulement de longues phrases récitées ou déclamées… qui, heureusement, touchent juste.
La première partie du concert peine à générer l’enthousiasme, mais peu à peu, la musique se met en place, la puissance dégagée monte… et notre plaisir aussi. Mon ambulance est parfait d’efficacité… peut-être parce que, avouons-le, on y retrouve les traces d’une sorte de « punkitude » positive qui rappelle les riches heures du rock alternatif français. Au bout d’une heure, Michel se lance dans la pièce maîtresse du nouvel album, Lâcher prise… qui connaît un démarrage difficile avec l’ordinateur qui fait des siennes et refuse un moment de synchroniser les boucles sur la rythmique : « Perdre le contrôle ou le prendre ? », telle est la question essentielle du morceau, et finalement c’est aussi le problème quasi existentiel de la musique de Michel Cloup, car ce finale d’une dizaine de minutes formidables devrait aussi être l’occasion d’un délire furieux, d’un véritable laisser-aller « orgasmique »… qui n’adviendra pas tout-à-fait. N’est-ce pas là aussi une certaine caractéristique de la culture française, analytique, cérébrale, « trop intelligente pour son propre bien » ? Là où l’équivalent d’un Michel Cloup britannique ou américain aurait largué complètement les amarres pour atteindre un paroxysme émotionnel total, nous restons, nous, coincés dans une certaine « distance » par rapport aux rituels du rock’n’roll live.