"Maestro" de Bradley Cooper : la mélodie du malheur (en couple) ?
Maestro commence par un carton prometteur, une citation de Leonard Berstein définissant le rôle de l’Art comme un questionnement, engendrant des réponses ambigües, donc passionnantes. Voilà qui est prometteur, mais attention (spoiler ?), Bradley Cooper n’a aucune intention d’aborder un sujet aussi ambitieux dans son « biopic » sur le célèbre compositeur et chef d’orchestre. Non, Bradley Cooper ne s’intéresse visiblement qu’à une seule chose : l’histoire d’amour entre, puis le couple formé par Lenny (qu’il interprète lui-même) et Felicia Montealegre (rôle offert à l’excellente Carey Mulligan). Pas de honte à ça, surtout que le comportement égocentrique, à la limite du déséquilibre mental, de Bernstein, bisexuel incapable de mettre un frein à son désir pour des hommes (jeunes) en dépit de son amour sincère pour sa femme (et ses enfants), est clairement digne d’alimenter un scénario original !
Le problème est qu’on est là devant un décalage brutal entre ce que le film nous offre et ce que son positionnement en tant que « biopic » d’un génie musical laisse attendre… Et, plus grave encore, que, dans une volonté – certes louable – de déroger aux règles classiques du « biopic », justement, Cooper n’a pas pris la peine d’appuyer son Maestro sur un réel scénario, en en faisant un pur – et brillant, certes ! – exercice de style, que, dans notre évidente mauvaise foi, nous soupçonnerons d’être avant tout conçu pour l’Académie des Oscars…
La première partie du film, en noir & blanc (pourquoi ?) est un festival d’idées de mise en scène et de photographie, de décors, le tout déballé avec une énergie littéralement épuisante… surtout avec des personnages débitant leurs dialogues à la mitraillette, comme s’il s’agissait de retrouver la frénésie des screwball comedies hawksiennes ! Sauf que l’on n'a pas vraiment envie de rire, ni même d’être impliqué émotionnellement dans une histoire d’amour racontée à cent à l’heure. Ceux qui aiment la créativité formelle au cinéma seront ravis, les autres sont priés d’attendre…
… d’attendre que débute la seconde partie du film, en couleurs celle-ci, après une brutale ellipse temporelle qui nous projette dans la vie d’un couple établi, avec enfants, au sein duquel la passion a clairement cédé la place à la négligence (de la part de Monsieur l’Artiste qui se consacre pleinement à sa carrière et à son dernier amant, qu’il amène gentiment à la maison d’ailleurs…) et à l’irritation (pour Madame, qui a, elle, sacrifié ses succès en tant qu’actrice pour élever ses enfants et tolère difficilement l’égoïsme de Monsieur…). Et la musique, demanderez-vous ? Eh bien, puisqu’on voit à peine Lenny travailler, elle est utilisée de manière démonstrative en illustration largement excessive du quotidien de notre couple : alors, oui, c’est très beau d’entendre de longs extraits des œuvres de Berstein, mais en tant que BOF, c’est assez paradoxal quand même !
La force du film, rendu à ce point – où l’on a admis que Maestro ne nous parlerait pas de musique, et ne nous raconterait pas grand chose de consistant -, est son interprétation : autant Cooper que Mulligan sont au delà de toute éloge, et c’est un immense de plaisir de les regarder, de les écouter, nous livrer un véritable travail d’orfèvrerie fine. Il y a dans la dernière partie une scène absolument extraordinaire de dispute – sans aucun mouvement des acteurs – filmée en plan fixe dans une pièce dont les fenêtres s’ouvrent sur une parade dans la rue en contrebas : ces quelques minutes sont prodigieuses, et nous font dire que, oui, il y a un metteur un scène, un vrai, à l’œuvre ici, et deux acteurs merveilleux !
La fin du film nous laissera sur une impression encore une fois mitigée : on appréciera une très belle interprétation d’un morceau de Mahler dans une cathédrale, morceau filmé dans son intégralité, où la musique génère des flots d’émotion ; on regrettera le traitement assez mélodramatique de la maladie de Felicia ; on s’intéressera à la scène de « transmission » du savoir de vieux maître à jeune élève, avant de déplorer la scène suivante qui en révèle les dessous. On notera aussi le procédé fastidieux consistant à nous montrer pendant le générique final des images du véritable Bernstein, sans doute pour que l’on apprécie et le changement d’apparence et l'effort de mimétisme effectué par Bradley Cooper… soit le genre de choses qu’il ne devrait pas être nécessaire de souligner si le film avait fait son travail…
Pour conclure, Maestro est une déception, même si le savoir-faire de son réalisateur et de ses acteurs sauve de nombreuses scènes. C’est avant tout une déception parce qu’il est difficile d’adhérer au projet de Bradley Cooper, qui nous semble bien étriqué par rapport au potentiel de son sujet.