"Bodies" de Paul Tomalin : boucles temporelles emmêlées…
Trois policiers à trois époques différentes (en 1890, en 1941 et en 2023) enquêtent – chacun à sa manière et évidemment en fonction du contexte et de la société dans lequel ils vivent – sur la découverte d’un cadavre similaire dans la même ruelle de Londres. Lorsqu’en 2051, dans une société totalement bouleversée par un événement majeur survenu en 2023, une jeune policière se trouve elle aussi embarquée à la poursuite d’un mystérieux scientifique soupçonné d’être un terroriste, ces différentes histoires vont se rejoindre de manière… complexe.
On se doute qu’avec un tel point de départ, qui est tiré d’un comic book très réputé de Si Spencer – décédé en 2021 – a priori non encore publié en France, Bodies est plus une série de science-fiction jouant avec les paradoxes temporels qu’un véritable polar, et on craint vite le pire. La bonne, l’excellente nouvelle, c’est que chaque enquête permet aux scénaristes d’explorer de manière pertinente les spécificités de la société britannique de l’époque : en 2023, c’est le Brexit et le multiculturalisme d’une société sous tension ; en 1941, c’est la pression terrible du blitz qui conduit les Londoniens à se réfugier sous terre à chaque alerte aérienne ; en 1890, c’est le poids des conventions sociales qui empêchent un amour homosexuel, mais aussi la domination totale des classes supérieures sur tous ceux qui sont en dessous d’elles. Chaque enquêteur est qui plus est une personne passionnante, en dehors de son statut de policier : que ce soit Mapplewood, infirme dépendante de la technologie qui permet à sa colonne vertébrale de fonctionner, Whiteman, le juif détesté pour ses origines mais trempant également dans des trafics peu recommandables, ou Hillinghead et son amour interdit pour un beau jeune photographe, tous sont passionnants, et leurs trajets nous offrent un espace bienvenu autour de l’histoire centrale de Bodies…
… Une histoire qui s’emballe à mi-parcours et permet de déboucher sur une dernière partie réellement inattendue : au lieu d’un paroxysme de tension, mécanisme classique dans ce genre de séries, Bodies nous offre au contraire une plongée dans la psychologie du « grand méchant », et nous montre que, in fine, ce sont les sentiments humains les plus honnêtes, les plus sincères qui déferont le nœud gordien de la boucle temporelle.
Le véritable problème du scénario de Paul Tomalin, c’est que, comme 99% des récits s’aventurant sur le terrain piégé des paradoxes temporels, il lui est impossible de nous proposer une résolution parfaitement satisfaisante : finalement trop complexe, trop malin aussi, le scénario de Bodies essaie de se jouer de nous en passant outre nombre de situations illogiques, et en n’expliquant pas convenablement nombre d’événements et de faits qui, finalement, auraient pu être retirés de l’histoire. Bref, on aime beaucoup quasiment toute la mini-série, bien jouée (Stephen Graham, en particulier, est comme toujours magnifique), bien mise en scène, bénéficiant d’effets spéciaux tout à fait acceptables… Jusqu’à une fin inévitablement (?) frustrante.