"Bobbie" de Pip Blom : de toutes les couleurs...
Avouons-le (presque) sans honte, nous n’avons découvert les formidables Pip Blom que bien trop récemment : c’était en avril de l’année dernière, au Zénith, en première partie de Franz Ferdinand, et l’indie rock malicieux de la chanteuse néerlandaise – Pip Blom, c’est elle, mais c’est aussi le nom de son groupe… – nous avait comblés d’aise. Après coup, reconnaissons que nous avions sans doute même pris plus de plaisir pendant les 30 minutes du set de Pip Blom que pendant tout le reste de la soirée (Pardon, Alex, pour cette trahison, nous qui nous sommes tant aimés…!). Pas question, donc, de louper l’album suivant de Pip Blom, qui sort justement cette semaine, qui se nomme Bobbie, mais qui… surprise, surprise, arbore des couleurs synth pop sensiblement différentes de celles déployées au Zénith. Nous employons le terme de couleurs, car, à l’image de la pochette très réussie de Bobbie (que nous avons envie de lire comme un négatif facétieux de la célèbre couverture du Positive Touch des Undertones, album modèle du genre pop-punk optimiste), tout cela reste pimpant, joyeux et… coloré.
Pip Blom en sont arrivés à ce troisième album, celui qui est souvent décisif dans la trajectoire à long-terme d’un groupe, soit en cristallisant de manière plus ou moins permanente le savoir-faire et les caractéristiques principales de sa musique, soit en relançant le jeu dans une nouvelle direction, démontrant par là-même la versatilité des auteurs et des musiciens. C’est cette seconde option qui a été choisie par nos Néerlandais pop et excités : noyer leur musique dans un bain de synthés, dans une démarche – inévitablement – très eighties, en essayant de ne pas y perdre leur âme, mais plutôt au contraire d’y trouver une nouvelle forme d’énergie. Les mauvaises langues parmi ceux qui ont un peu de mémoire diront que le virage vers l’électronique d’un groupe à guitares n’a rien d’une nouveauté – après tout, Joy Division sont devenus New Order après deux disques, non ? Ce qui est intéressant, c’est que Pip Blom ont choisi d’accentuer encore plus les côtés les plus insouciants, les plus légers de leur musique… même si les textes, comme toujours un peu anodins de Pip (elle a expliqué ne pas être totalement à l’aise avec l’écriture en langue anglaise…), trahissent les angoisses existentielles et les tourments sentimentaux typiques de notre époque.
Not Tonight, en intro puissante et lumineuse, comporte suffisamment de guitare pour faire le lien avec les albums précédents, et c’est à Tiger, le plus joli hit en puissance de l’album, qu’incombe la véritable présentation du nouveau « style musical » du groupe : la voix de Pip peut par instants évoquer – belle comparaison – celle d’Alison Goldfrapp, mais la synth pop classiquement mélodique, avec une juste touche de mélancolie pour empêcher que cette fameuse légèreté désormais préconisée par le groupe, braconne sur les terres d’un Two Door Cinema Club. Red, avec son refrain irrésistible, est notre titre favori du disque, sans doute parce qu’il laisse imaginer ce que les Breeders de la première époque auraient pu faire avec des claviers et un désir plus fort de conquérir les charts. Sur Kiss Me By Candlelight, le chanteur fou des incroyables Personal Trainer, Willem Smit, vient injecter une sensualité froissée – et parfaite – dans un duo qui pourrait sembler romantique et sexy si un soupçon de malaise ne venait enrichir les montées en puissance lyrique. I Can Be Your Man joue la carte de la fausse ingénuité, la voix de Pip se faisant mutine : c’est un titre plus conventionnel d’abord, mais qui bénéficie de l’irruption d’une guitare furieuse, pas si courante sur l’album, et qui soulagera un instant les frustrations de ceux qui ont toujours du mal avec les abus d’électronique. Where’d You Get My Number ajoute une pincée de psychédélisme dans la potion magique et nous fait décoller sur un tapis volant modernisé du plus bel effet.
La seconde face débute par une autre mélodie accrocheuse qui pourrait séduire le grand public : Brand New Car s’avère un titre ample, puissant et ambitieux, qui devrait fonctionner parfaitement en live. C’est l’ami et partenaire de tournée Alex Kapranos qui vient donner un petit coup de pouce sur Is This Love? : comme avec Willem Smit, le duo vocal fonctionne impeccablement, mais on pourrait cette fois trouver que la chanson sonne par instants trop proche du travail de Franz Ferdinand. Fantasies est le premier titre pas franchement intéressant de l’album, et étant donné que c’est le neuvième, cela donne une idée de la qualité générale des compositions. Again semble de prime abord également banal, avant que la montée en puissance de son final ne nous convainque. Get Back remet alors l’aiguille dans le rouge très pop, et est susceptible de créer une vraie frénésie sur les dance floor comme dans les mosh pits : grosse maîtrise de leurs effets, façon montagnes russes, de la part de Pip Blom, qui font finalement parler la poudre, avec guitares et synthés à l’unisson. Bobbie se referme plus sereinement, de manière quasi lumineuse avec le consensuel et apaisé – mais dansant, attention ! – 7 Weeks. Qui donne immédiatement, comme cela doit être le cas avec tout bon album de pop, envie de remettre l’aiguille au début du sillon de la première face. Bis repetita placent !
On ne l’a pas précisé, mais la production hyper léchée et ultra efficace, parfois même brillante de Bobbie est à mettre au crédit du musicien britannique Dave McCraken, repéré pour son excellent travail avec des gens aussi différents que Scissor Sisters, Florence + The Machine, dEUS, Ian Brown ou… Depeche Mode, avec lesquels il a également joué des claviers. Et ce luxe sonore, clairement en phase avec le projet global de Pip Blom, garantit confort et plaisir total à l’auditeur.
Confort et plaisir ? Tiens, voilà un parfait résumé de ce qu’on ressent à l’écoute de Bobbie, peut-être bien le meilleur disque de Pip Bloom, ou en tous cas le plus impeccablement efficace.