"Violet Drive" de Kerala Dust : la récompense
Même si on écoute de la musique depuis des décennies (un demi siècle pour ma part), il peut toujours arriver - et c'est heureux - qu'un disque inconnu d'un groupe inconnu vous cueille à l'improviste, et devienne instantanément quelque chose de fondamental pour vous. Cela a dû m'arriver seulement une dizaine de fois dans mon existence : une dizaine de fois parmi des centaines, probablement un bon millie d'albums que j'ai écouté. Voilà le genre d'effet que m'a fait Violet Drive, le quatrième album du groupe anglais Kerala Dust. Il a changé quelque chose en moi, ou plutôt il l'a illuminé, même si je ne sais pas exactement quoi.
Formellement, c'est un disque qui débute sur le terrain connu du trip hop, version Portishead (il y a même quelques références un peu trop évidentes, mais elles ne sont heureusement pas nombreuses), mais qui adopte rapidement des couleurs sombres et romantiques très cinématographiques. Violet Drive fait naître en nous des images de paysages nocturnes et désertiques, dans lesquels nous allons nous perdre au long de l'album. Et dont nous ne sortirons plus jamais vraiment.
Tous les morceaux sont relativement similaires - tempo lent, beats électroniques, instrumentations planantes mais indiscutablement rock (le groupe cite le Velvet Underground ou Tom Waits comme références), voix tour à tour ténébreuse et sexy, voire les deux à la fois.
L'immense paradoxe de Violet Drive, c'est que cette musique vient des clubs, qu'elle est urbaine et artificielle, voire manipulatrice quand il s'agit d'accélérer ou d'intensifier les beats et leur effet physique, mais que son âme rock (disons blues psyché, grâce aux claviers et à la guitare) et la magie de ses vocaux la rend étrangement organique, mais également mentale. Le tour de force de Kerala Dust est étourdissant, presque invraisemblable : voici donc une musique qui crée une atmosphère terrible, presque morbide, et pourtant chaleureuse. Mais aussi une musique qui s'épanouit, titre après titre, grâce à des mélodies magnifiques, qui en facilitent l'accès, qui la rendent hypnotique, irrésistible.
Il est difficile au long de ce long parcours nocturne, de choisir les étapes qui nous semblent les plus belles : on s'attache rapidement à Red Light ou à Engel's Machine, mais il est certain que Violet Drive n'a littéralement aucun réel point faible.
On en ressort à chaque fois avec l'obsession de le réécouter immédiatement, mais surtout avec le sentiment d'avoir reçu la récompense inattendue d'une vie passée à écouter de la musique.