"Le Juif Arabe" d'Asaf Hanuka : une vérité enfouie dans le passé
2001 : Asaf Hanuka revient dans sa famille, en Israël, après quatre années passées en France à étudier la BD. Pas simple pour lui, ce retour : se réhabituer à vivre avec son père, chercher un emploi alors qu’il n’a que son expérience de dessinateur à offrir, et aussi, peut-être surtout, affronter à la fois la haine qui embrase toujours la région, et le passé de sa famille « juive-arabe ». Il y a par exemple cette histoire à moitié oubliée de l’assassinat de son arrière-grand-père Abraham par un jeune Arabe orphelin, adopté, et dont il était pourtant si proche : Asaf, tout en construisant sa nouvelle vie, va mener des recherches pour comprendre quelle est la vérité, enfouie dans le passé, derrière ce meurtre…
20 ans plus tard, Asaf Hanuka, auteur de BD reconnu et célébré pour le Réaliste (Eisner Award en 2016) et pour Je suis toujours vivant, écrit avec Roberto Saviano (l’auteur de Gomorra), met enfin en images cette double histoire : celle de son retour difficile au pays, et celle de la relation entre son arrière-grand-père et cet enfant, qu’il considère désormais comme une métaphore des conflits qui déchirent son pays, comme sa propre identité.
Mêlant souvenirs personnels, histoire familiale, faits historiques (bien utiles à la compréhension de l’histoire de la naissance d’Israël pour un lecteur néophyte), comédie familiale et romantique douce-amère et quasi-thriller politique, le Juif Arabe est un livre passionnant, mais surtout une formidable montée émotionnelle, au fur et à mesure que la vérité se dévoile et qu’Asaf trouve, quant à lui, ses marques dans sa nouvelle vie. Bien entendu, une construction aussi complexe, pour ne pas perdre le lecteur en chemin, nécessite un mécanisme narratif bien structuré : Hanuka a décidé de consacrer la page de gauche au récit de son retour, mis en images en noir & blanc, alors que l’histoire d’Abraham, située dans les années 30, est au contraire en couleurs, à rebours des codes cinématographiques habituels, par exemple ; les informations historiques font quant à elles l’objet de cases intercalées entre celles du récit. S’il est inévitable que cet aller retour permanent (à chaque fois qu’on tourne une page) paraisse parfois fastidieux, ce serait dommage de choisir – ce qui est toujours possible – de lire chaque récit indépendamment, les échos entre présent (enfin, 2001) et passé enrichissant encore le Juif Arabe.
Voici donc une nouvelle œuvre admirable, tant par le fond (une réflexion profonde, rationnelle, à hauteur d’homme, sur l’une des situations géopolitiques les plus complexes du globe) que par la forme (des solutions narratives originales, un dessin formidablement élégant, lisible), qui confirme qu’Asaf Hanuka est désormais l’un des grands maîtres du 9ème Art.