"So This Is Love" de Cash Savage and The Last Drinks : « I’m doing my best to be unlovable »
Quand on est la nièce de Conway Savage, qui fut un temps claviériste au sein des Bad Seeds de Nick Cave, il est sans doute normal de cultiver comme le grand Nick l’alliance du lyrisme et de l’intensité. Quand on a pour nom de famille « Sauvage », il est difficile de faire de la musique discrète, retenue et prudente. Celle que l’on entend sur ce cinquième album de Cash Savage & The Last Drinks, sans doute son plus personnel, son plus intime à date, est d’une évidence totale : une sorte de classicisme dans la manière d’emporter l’auditeur sur d’irrépressibles vagues d’émotion, sur des chansons qui fonctionneront dès la première écoute.
Même si les admirateurs de la brutalité du groupe à ses débuts, il y a plus de dix ans déjà, déploreront que sa furie s’exprime désormais de manière moins extrême, comment ne pas penser plutôt au magnifique album The Hypnotizer de 2013, et à sa chanson I’m in Love – l’une des plus célèbres de Cash Savage -, auquel le titre de ce nouveau disque fait forcément écho ? So This Is Love, la chanson, ouvre l’album sur sept minutes qui synthétisent parfaitement la grâce – le génie peut-être même de Cash et de sa bande : une redoutable montée en puissance d’une chanson d’amour, s’ouvrant sur une sorte de méditation presque tendrement mélancolique, et décollant progressivement dans le hurlement des guitares jusqu’à une sorte de colère noire, quasiment extatique : « So this is love / It’s everything I wanted it to be ». C’est dantesque, c’est parfait, et on a hâte de l’entendre interprétée sur scène.
On sait (ou pas…) que Cash Savage sort de l’échec de son mariage avec Amy Middleton, et le thème de l’amour – des épreuves qu’il faut traverser, des frustrations qu’il engendre, et sans doute de son impossibilité finale – irrigue inévitablement l’intégralité de So This Is Love. Cet album est donc celui des doutes, de la douleur de l’échec, et peut-être du découragement devant la perspective de devoir continuer en ayant découvert que l’amour, ce n’était que… ça ! A ce constat qui serait décourageant pour n’importe quoi s’ajoutent les craintes de Cash sur son équilibre psychologique et même mental, mais également l’épreuve que peut représenter en Australie le fait de faire partie d’une communauté queer qui semble bien moins acceptée qu’en Europe (ou tout au moins, on l’imagine ainsi…).
Hold On est une chanson plus engageante, entre ses couplets récités par la voix si particulière de Cash, avec cette sorte de conviction qu’elle manifeste en permanence, et son refrain facile à reprendre tous en chœur. Push, avec sa rythmique saccadée et son urgence évidente, est la première véritable poussée orageuse du disque, et le chaos que les six musiciens du groupe sont capables de générer à volonté autour de Cash n’est pas sans rappeler celui, évidemment, des Bad Seeds de la grande époque : « I’m not feeling too hot, today ! », tu parles, Cash, tu es tout simplement torride !
Everyday’s the Same diffuse cette mélancolie absolue sur sept autres minutes toutes en retenue, avec la voix androgyne de Cash parfaitement posée, avant de se déployer dans un format de « torch song » qui nous rappelle que l’excès n’est jamais loin. Mais, finalement, « It’s just a song, It doesn’t mean anything » (Ce n’est qu’une chanson, ça ne veut rien dire du tout) : ça, on n’y croit pas une seconde…
$600 Short on the Rent marque le retour de la combattivité après l’abattement : « I’m trying to relinquish control ! » (J’essaie de lâcher prise), mais les guitares rugissent. I want to be everyone contient un aveu bouleversant au cœur de sa superbe mélodie : « I got a fantasy I can be everthing you need » (J’ai un fantasme, je peux être tout ce dont tu as besoin), et c’est clair que sur un tel déséquilibre, un couple ne tient pas longtemps.
Keep Working at Your Job est l’un des titres les plus forts de l’album : débutant de manière amusante, presque fantaisiste, avec un petit gimmick au clavier, il change de ton quand Cash profère cette phrase définitive : « I’m doing my best to be unlovable / and all you want is someone to love you back » (Je fais de mon mieux pour ne pas pouvoir être aimée / et tout ce que tu veux, c’est que quelqu’un t’aime en retour).
Seahorse (I’ll Be Your Rainy Day), magnifique, littéralement dévastateur, nous brise le cœur comme le font les plus belles ballades de Nick Cave, avec le violon qui déchire le peu qu’il reste de nous. « When you hold me like you mean it, Scarlett, I would promise you everything » (Quand tu me tiens comme si ça avait vraiment de l’importance pour toi, Scarlett, je te promettrais tout ce que tu veux). La banalité, la terrible banalité de l’amour. Tellement cruel.
Shake from the Heart termine l’album de manière plus traditionnellement rock, et a indéniablement des accents de PJ Harvey des antipodes. Avec un petit effort supplémentaire pour être plus amène, ce genre de morceau pourrait séduire un plus large public que celui de Cash Savage aujourd’hui.
Mais parler à beaucoup de gens, ce n’est clairement pas l’objectif : parler à la femme qu’elle a aimée et qui n’est plus là à ses côtés, et peut-être sans doute se parler à elle-même pour réussir à réunir la force de continuer dans un monde aussi hostile, voilà le but de Cash Savage sur ce So This Is Love. Et elle y parvient à merveille…