Séance de rattrapage : "Aftersun" de Charlotte Wells : "It's me in the corner"
Aftersun est un projet très singulier, très différent de tout ce que l’on voit, surtout ces derniers temps, sur nos écrans, et c’est à la fois son problème (pas sûr qu’il suscite assez d’envie pour remplir une salle de cinéma) et sa splendeur (même si le film de Charlotte Wells n'est pas dénué d'une sorte de "pose" auteuriste qui pourra rebuter). Construit sous forme de montage de vidéos de vacances, dont on comprendra finalement qu’elles sont visionnées, bien des années plus tard, par la protagoniste, complétées par des scènes de cinéma plus traditionnelles, Aftersun raconte – même s’il n’y a a proprement parler pas d’histoire – les vacances d’un jeune père et de sa fille de 11 ans, dans un « resort » un peu miteux en Turquie.
Il ne montrera pas grand-chose d’autre que des scènes de plage, de piscine, de repas de vacances, de jeux d’adolescents, mais surtout de tendresse mal exprimée entre cette fille qui grandit, qui devient une adolescente, et son père immature – séparé de sa mère – qui est constamment comme "empêché" de l'être (père...), qui doute, qui s’interroge sur son avenir, et sur la manière de témoigner son amour.
Comme la petite Sophie, qui s’interroge a posteriori sur qui était son père, et sur la nature de sa relation avec lui, le spectateur passe la majeure partie du film à attendre une révélation, un drame peut-être (une sorte de menace flotte en permanence sur le film, à moins que ça ne soit que dans la tête du spectateur !), voire simplement l’émergence d’une fiction, qui jetterait une lumière différente sur ces images qui défilent, presque neutres.
L’intelligence de Charlotte Wells, c’est bien sût de n’en rien faire, de ne pas sacrifier à notre goût pour le drame, et de préserver jusqu’au bout la « normalité » d’une relation qui n’a rien à cacher, rien à démontrer non plus : pourtant, plus le film avance, plus l’émotion monte, jusqu’à une fin magnifique, bouleversante sans qu’Aftersun n’ait recours à aucun mécanisme classique de mélodrame.
Le mystère reste entier, mais le plus beau, c’est qu’il n’y a pas forcément de mystère, si ce n’est celui de la richesse de l’amour, et de la douleur du temps qui passe.
Magnifique.