"Barbie" de Greta Gerwig : Doll Story
L’idée d’aller voir un film sur Barbie, qui plus est conçu depuis le départ comme un outil promotionnel Mattel visant modernisation de l’image de la poupée la plus célèbre du monde, est certainement l’une des plus improbables qui soient. Mais Hollywood a plus d’un tour dans son sac : de la même manière que Tom Cruise a brillamment « whitewashé » son image de promoteur de secte rétrograde en super-cascadeur défendeur du « vrai cinéma commercial », voici que les marketeurs des studios nous ont retournés comme des gants : d’abord en confiant le projet Barbie – soit disant sans contrainte – à des gens qui nous sont aussi sympathiques que Greta Gerwig (l’inoubliable série Girls, Lady Bird) et Noah Baumbach (les Berckman se séparent, Frances Ha), et ensuite en insistant sur le fait que nous aurions droit à un « high concept film » qui ne ménagerait pas la multinationale. Nous avons fait fi de nos mauvais souvenirs familiaux – toutes ces poupées et accessoires hors de prix achetées au fil des années à nos filles – et nous sommes allés au cinéma.
L’ introduction de Barbie est très drôle en citation de 2001 l’Odysée de l’Espace, mais permet surtout à Mattel de se positionner – de manière assez culottée – aux avant-gardes du féminisme puisqu’ayant substitué au rôle de futures mères prônés par les baigneurs traditionnels, une effigie de femme moderne encourageant les pettes filles à vouloir travailler et gravir les échelons de la société : encore une manière pas forcément honnête de nous faire avaler les couleuvres du capitalisme lourdement marketé des US !
On plonge ensuite dans l’univers caricatural du monde de Barbie, avec son esthétique qui fait grincer des dents, mais qui offre l’opportunité de gags bien enlevés, et finalement assez sympathiques. Margot Robbie et surtout Ryan Gosling, qui crève littéralement l’écran à chacune de ses apparitions, et qui est sans doute la meilleure raison de voir le film, sont impeccables dans les rôles de Barbie et Ken.
Jusqu’au moment où la « perfection » de Barbieland déraille lorsque Barbie commence à avoir des idées noires, qui lui sont inspirées par la petite fille qui joue avec elle dans le monde réel. Ce qui obligera Barbie, accompagnée par Ken, à aller rencontrer sa « propriétaire » mais causera une réaction en chaîne destructrice dans la mesure où Ken sera confronté au patriarcat de la société réelle, qu’il importera dans le monde de Barbie, avec l’impact destructeur que l’on imagine bien !
On apprécie l’intelligence de la première partie de Barbie, qui simule une oppression des hommes sur le « modèle féminin » que l’on connaît bien dans notre monde, et qui reconnaît que la frustration de l’inégalité entre les sexes peut être parfaitement symétrique. Mais le véritable cœur du film, et sa singularité réelle, est la suite, qui décrit la mise en place d’une domination masculine dans le monde de Barbie, la manière dont les personnages féminins s’y soumettent un temps, puis la solution qu’elles trouveront pour s’en libérer, à travers un discours théorique provoquant des déclics salvateurs dans l’esprit de celles qui l’entendent. On est en effet à ce moment-là dans du « high concept », comme promis, mais on ne peut néanmoins s’empêcher de ne trouver ça pas très passionnant cinématographiquement : Gerwig et Baumbach n’ont tout simplement pas le talent de… disons l’équipe Pixar, qui est passée maître depuis des décennies à traduire des discours théoriques en action palpitante et en gags hilarants. Ici, malheureusement, on s’ennuie gentiment pendant une bonne moitié du film : notre cerveau est stimulé, certes, mais pas nos émotions.
La conclusion du film est plus convaincante, mais on regrettera que la recherche d’un équilibre entre aspirations masculines et féminines se traduise surtout pas un grand déballage de clichés usés et d’images consensuelles.
Si l’on ajoute la pauvreté de tout ce qui tourne autour des efforts des « hommes en noir » de la multinationale pour rétablir l’ordre capitaliste dans leur création – tout cela aurait dû être enlevé du film, qui aurait gagné en légèreté -, Barbie est loin de tenir toutes ses promesses, et n’est finalement qu’une demi-réussite, ou un demi-échec.
Rien de honteux, certes, mais on est loin, répétons-le, de ce que proposent la plupart des films de Pixar sur des problématiques sociétales ou psychologiques assez comparables.