"un jour, le soir" de Giacomo Nanni : un jeune homme marche dans Paris
En 2019, Giacomo Nanni, artiste italien vivant désormais à Paris, publie Acte de Dieu, un ouvrage inclassable, qui sera remarqué à Angoulême où il recueillera le Fauve de l’Audace. Les critiques soulignent la subtilité de la narration et l’originalité de son graphisme, consistant en une superposition de trames très colorées, pointillistes. Soit un double concept qu’il réutilise, mais en le poussant encore plus loin dans son nouveau livre, le quasi révolutionnaire – ou en tout cas très avant-gardiste – un jour, le soir…
Même si l’on peut aisément arguer qu’un jour, le soir ne relève pas de la bande dessinée, puisqu’on échappe aux bulles, et quasiment aussi aux cases qui définissent le genre. Voici 96 pages comportant chacune seulement quelques dessins « muets », au fil d’une narration succincte, épisodique, portée par un texte « littéraire ». Un texte qui s’avère être un monologue, celui du personnage principal (quasiment unique, en fait) : un jeune homme sans le sou qui marche, le soir, dans les rues parisiennes, dans le métro aussi. Un jeune homme dont on ne verra jamais le visage, seulement la silhouette de marcheur. Toujours la même silhouette, celle représentée sur la couverture. Comme si sa seconde malédiction, après celle de la pauvreté, c’est d’être – malgré la marche – figé au cœur d’une ville qui bouge.
L’histoire que nous raconte un jour, le soir s’avère peu à peu beaucoup plus subtile et complexe qu’il ne semble au cours des premières pages : car nous sommes dans la tête de quelqu’un de très étrange comme nous le découvrons au fil des pages, au long de deux flashbacks successifs (aujourd’hui, hier, avant-hier…), qui s’avèrent révélateurs. Avons-nous affaire aux digressions d’un déséquilibré, d’un malade mental, d’une « simple » autiste, ou bien d’un jeune homme ordinaire que le dénuement a fait basculer ? L’énigme qui naît, qui se déploie au fil du livre est particulièrement fascinante, même si les péripéties sont minimales, et l’inconfort qui s’installe de plus en plus prenant.
Visuellement, le travail de Nanni est à la fois déroutant de (fausse) simplicité et rapidement envoûtant : notre quotidien, dans toute sa banalité, sa pauvreté même, est immédiatement reconnaissable, nous sommes bel et bien dans notre réalité, mais il y a dans le choix de la colorisation saturée et de la trame pointilliste un détournement vers une virtualité faisant écho à la déréalisation de nos écrans de portables, ou des messages publicitaires.
Un jour, le soir est une expérience visuelle et narrative mémorable, et la confirmation que nous tenons avec Giacomo Nanni un pionnier d’une bande dessinée innovante, et pourtant totalement en phase avec notre époque.