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Le journal de Pok
9 juin 2023

"Succession - Saison 4" de Jesse Armstrong : un paroxysme…

Succession S4 Affiche

On a eu tendance à oublier, au fil de 3 saisons aussi malsaines que réjouissantes, que si le titre de la série HBO Succession était… « Succession », c’était qu’un jour il faudrait bien que Logan Roy, le patriarche, passe l’arme à gauche, pour que la bataille pour sa succession entre ses quatre enfants s’engage réellement. Dans cette quatrième et dernière saison, même si certains ce sont déclarés surpris par le troisième épisode (Connor’s Wedding, curieusement le moins pervers de toute la série), on y est enfin, au cœur du sujet, celui de la bataille finale entre Kendall (Jeremy Strong, très remarqué jusque-là pour sa brillante interprétation d’un véritable lâche), Roman (Kieran Culkin) et Shiv (Sarah Snook). Et ça fait mal, très mal. Encore plus mal que tout ce qui a précédé.

Des amis nous disent adorer l’outrance « monty pythonesque » de la série, qui accumule depuis son premier épisode des comportements déviants, des déploiements aberrants d’imbécilité, et transforme la méchanceté en un immense spectacle quasi métaphysique. Nous avons dû leur rappeler que la famille Roy est directement inspirée de la famille – bien réelle – des Murdoch, dont l’empire médiatique a rabaissé de plusieurs niveaux la qualité des news au niveau global, et qui a joyeusement fait le lit des réactionnaires, voire de l’extrême-droite chaque fois que ça a été possible. Nous aurions pu leur confirmer – mais nous auraient-ils cru ? – que le comportement abject qui est celui de tous les membres du Comité de Direction de WayStar est tout à fait comparable avec ce que l’on observe au sein des grands groupes internationaux, et que les Français ne sont d’ailleurs pas en reste quand il s’agit de cirer des pompes, de « faire de la lèche », de sacrifier tous leurs principes moraux, et de maximiser leur collusion avec le pouvoir politique. Non, Succession n’a rien d’une fiction, elle nous montre simplement une réalité terrifiante – un véritable empire du Mal contemporain – que nous n’osons pas admettre.

Au-delà de ce fameux troisième épisode et de la foudre qui a frappé la population globale des téléspectateurs, cette quatrième saison nous offre du lourd, du très lourd : les trois derniers épisodes sont tout simplement extraordinaires, et nous permettent d’affirmer sans crainte de nous tromper que cette quatrième saison est la meilleure de toute, et que l’équipe de Jesse Armstrong a réussi ce que toute grande série rêve de faire, se terminer « en beauté ». America Decides (Episode 8) décrit avec une lucidité cruelle comment la recherche de l’audimat et les arrangements personnels entre la direction des médias et les politiciens fait le lit des extrémistes. Church and State (Épisode 9) nous offre une succession de scènes bluffantes, donc l’incroyable cérémonie d’enterrement du patriarche, alors que les manifestations sèment le chaos dans les rues de New York. Et With Open Eyes, sorte de mini-drame à lui seul, nous offre en une heure et demie la description parfaite de l’effondrement d’une famille, où, malgré une dernière tentative de réconciliation, les intérêts personnels auront raison des derniers liens fraternels. Et le vainqueur final de toute cette histoire – celle de l’acquisition du groupe WayStar par la société GoJo – n’est certainement pas celui sur lequel on aurait parié.

On a assez peu parlé de la qualité et de l’intelligence de la BO de la série, signée Nicholas Britell, et en particulier de son thème principal, qui semble triompher de manière particulièrement sinistre en accompagnant les dernières images d’une série qui a constamment oscillé entre tragédie classique et comédie : cette musique, sombrement romantique que l’on a appris à aimer en laissant défiler le magnifique générique de la série, est jouée sur un piano légèrement désaccordé, et à l’image des tentatives pitoyables des personnages d’exprimer de l’amour et de la satisfaction – deux sentiments à jamais inaccessibles pour eux – feint en permanence de monter vers l’extase. Elle continuera à nous obséder longtemps après qu’on ait contemplé les décombres de la Famille Roy…

Il faut enfin souligner comment, une fois disparu de l’écran le génial Brian Cox, c’est Kieran Culkin qui ramasse la mise au milieu d’un casting comme toujours impeccable : dépassant – enfin – la vulgarité et la provocation tous azimuts qui a caractérisé la plupart du temps le personnage de Roman, dans un rôle mieux écrit sans doute, plus complexe aussi, Culkin est tout simplement brillant.

Oui, la parade monstrueuse se termine, et si la nausée a été omniprésente au cours de ces huit épisodes, il faut bien avouer qu’on regrettera le spectacle extrême offert par la Famille Roy.

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