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Le journal de Pok
7 juin 2023

"Le Griffon" de Sebastian Marka et Erol Yesilkaya : monde parallèle et traumatisme familial

Le Griffon affiche

On nous vend le Griffon, nouvelle série allemande de fantasy / SF, comme un mélange de Dark et de Stranger Things. Et on comprend bien en visionnant la série ce qui a pu induire ce genre de rapprochement : un drame familial allemand causé par l’exposition de cette famille à un monde parallèle pour Dark, des aventures de lycéens devant protéger leur monde de l’invasion potentielle de créatures monstrueuses, alors que peu d’adultes les croient, comme dans Stranger Things. Sauf que le Griffon s’avère finalement sensiblement autre chose que ces références, dont il est loin d’atteindre la qualité, mais dont il se distingue plutôt positivement aussi.

Inspiré d’un best-seller de Wolfgang Holbeinle Griffon raconte l’histoire de la famille Zimmerman, marquée depuis des siècles par une sorte de malédiction, matérialisée par un livre manuscrit, « la Chronique », dont ils sont détenteurs et qui explicite l’existence d’un univers parallèle, la Tour Noire, sur lequel règne une créature maléfique, le Griffon, dont il convient à tout prix d’éviter son accession à notre univers. Mark, le plus jeune enfant, a vu son père périr par le feu, à cause de cette malédiction, et son grand frère interné dans un asile psychiatrique par sa propre mère, totalement incrédule vis-à-vis de ces divagations. Et c’est maintenant autour de Mark de mener la lutte contre le Griffon !

L’histoire que nous conte le Griffon est passionnante, et ce d’autant que, au fil des chapitres, à partir de bases assez simples, elle se complexifie avec l’introduction de nouveaux surprenants protagonistes. Le problème vient plutôt du reste, qui est d’un niveau assez moyen ! Quand on se penche sur les détails du scénario, on se trouve confronté avec une accumulation – typique des séries TV en général, il est vrai – de petites incohérences, de raccourcis faciles, d’omissions bien arrangeantes, qui ont tôt fait de mettre largement à mal la crédibilité générale du récit (pour autant qu’une telle histoire soir « crédible »). Les effets spéciaux sont également discutables : si le choix de Sebastian Marka et Erol Yesilkaya, intéressant, a été d’aller vers un univers vaguement cartoonesque, presque rétro, dans la ligne de ce que propose un Guillermo del Toro dans la plupart de ses films, le développement artistique des « créatures » n’atteint pas la qualité auquel le maître mexicain nous a habitués, ce qui s’avère régulièrement gênant quand des scènes qui devraient être dramatiques portent plutôt à sourire.

Mais le paradoxe du Griffon est que, en dépit de ces problèmes non négligeables, d’avère vraiment séduisant. D’abord par son utilisation de la musique, non seulement en termes de BO, mais aussi de « composant » de l’histoire principale : une idée qu’on trouvait bien entendu dans la dernière saison de Stranger Things, mais qui est encore plus développé ici. Située dans les années 90, l’action, impliquant la création de mixed tapes, l’achat de vinyles, la diffusion de musique via de lourds appareils portables, ravira probablement les nostalgiques d’une époque où le Rock était au cœur de la vie des adolescents. Avec Radiohead et Metallica en guise de bannière, tout cela est bien sympathique, ma foi.

Mais le point le plus intéressant du Griffon, c’est bien son versant « psychologique », voire « psychanalytique », qui est bien plus sérieux (et plus lourd !) que ce que l’on trouve en général dans les séries « Young Adults ». Loin des stéréotypes gentillets des tourments adolescents, Mark souffre, du fait du drame de son enfance, d’un véritable déséquilibre mental, qui se traduit par des vertiges, des hallucinations, un besoin de s’infliger à lui-même une souffrance physique, et, lorsque l’angoisse atteint son paroxysme, une violence incontrôlable. Victime de la méfiance de tous vis-à-vis de ses actes, il semble s’enfoncer de plus en plus dans des comportements extrêmes, qui lui portent préjudices autant dans « notre monde » que dans celui de la « Tour Noire » : il n’y a pas ici, comme dans les histoires US, de facilité à lutter contre ses propres démons (qui s’avèrent d’ailleurs presque pires que les créatures à la solde du Griffon. Le combat est difficile, la victoire n’est jamais certaine, et c’est très bien comme ça, beaucoup plus « adulte », malgré les trucs scénaristiques que l’on peut regretter, que ce qu’on voit d’habitude.

Autre raison de réjouir, une peinture très paradoxale également des « méchants » : si les « chasseurs d’esclaves » sont initialement représentés comme des monstres laids, brutaux et pas très intelligents – un peu à l’image des orques du Seigneur des Anneaux, on a la surprise de voir éclore sous nos yeux une discrète histoire d’amour entre deux chasseurs, qui oblige à jeter un regard bien différent sur ces créatures « inhumaines ». Ce n’est peut-être pas grand-chose a priori, mais ça fait toute la différence avec la production courante des séries TV.

Cette première saison, qui s’améliore au fil des épisodes, s’achève sur une conclusion – un peu gâchée par la représentation peu convaincante du Griffon lui-même – pour le moins inquiétante, voire noire : rien n’est réglé, les happy ends n’étaient que des soulagements provisoires, et on attend donc une seconde saison qui corrigera les défaits de la première, et permettra au Griffon de remplir toutes promesses.

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