"Qatr" par les Clopes : d’une plaisanterie individuelle à une expérimentation collective…
Il conviendrait probablement de ne pas trop en dire sur les Clopes, pour ne pas faire s’envoler la part de mystère – un peu dadaïste – qui entoure ce groupe (?) qui malmène les codes de la new wave millésimée début des années 80, tout en les appliquant avec une admiration, un amour visible. Mais, avouons-le, nous en sommes désormais au quatrième album de ce collectif (faussement) dépressif, et il devient de plus difficile de maintenir le secret sur leurs origines et leur projet. Et ce d’autant que ce projet évolue très vite, et amène les Clopes aujourd’hui à une révolution complète par rapport à ce qu’elles étaient au départ.
Il y a quelques jours seulement, le créateur / fondateur des Clopes, l’inénarrable musicien stakhanoviste Kim Giani, revenait sur sa page Facebook sur les débuts de cette aventure pas comme les autres : « Tout d’abord les Clopes étaient une blague, un pastiche que j’ai sorti seul en 2013. (…) Puis en 2017, (…) j’ai pensé qu’un des instrumentaux [que j’avais composés] pourrait faire un bon deuxième single pour les Clopes, flanqué d’une voix. J’ai sorti le « téléphone cellulaire » qui a donné envie à deux amis qu’on monte une version live des Clopes. On a joué. (…) J’ai écrit d’autres chansons (…), puis j’avais un album, je l’ai sorti. On a monté un quintet. On a joué. Il y a eu le covid. (…) Le bassiste de scène a écrit une chanson, les membres du groupe ont inventé des pseudos, j’ai sorti un deuxième album. On a eu plein de dates en sortie de confinement. Le groupe était à géométrie variable. J’ai proposé que les membres écrivent des chansons pour le troisième album. (…) On a engagé une musicienne de plus. On a fait de plus en plus de concerts. (…) Toutes les Clopes étaient archi-motivées et ont écrit des nouvelles chansons en plus pour un autre album… ».
Tout ça paraît compliqué, tordu, presque, alors que les Clopes, c’est exactement l’inverse : la croissance naturelle, organique, d’un collectif, plus que d’un groupe au sens traditionnel du terme, autour d’une idée, presqu’une plaisanterie au départ, qui fédère peu à peu des musiciens de plus en plus passionnés par le concept. Le tout avec le soutien d’un public enthousiaste et de plus en plus nombreux (avec des concerts déclenchant de grands moments de délire). Partir des clichés de la dépression, alliés à la noirceur d’une new wave / cold wave anglaise stéréotypée (rappelons quand même que Kim est un fan absolu de The Cure, donc cette parodie n’est jamais dépourvue de tendresse, voire d’amour pour le genre). Et construire là-dessus, en particulier en live, lieu d’improvisation systématique à partir de la trame des chansons, où l’expérience les Clopes est beaucoup plus déstabilisante, plus surprenante que ce à quoi on peut s’attendre, quelque chose d’autre, de libre, de réellement joyeux.
Avec de nouvelles voix, comme celle de « Gerda Glockenspiel » sur l’ambitieux Fascination Béton et sur le nostalgique Ville de Nuit, le quatrième album des Clopes marque une évolution par rapport aux productions initiales de Kim Giani sous le nom du groupe. On passe progressivement de l’individuel au collectif, de la virtualité à la réalité. De la provocation aux allures d’amateurisme goguenard à un soin plus grand apporté à la forme. Sans jamais se prendre au sérieux pour autant, en particulier dans un chant cherchant parfois le dérisoire (Contact, du pur Kim Giani, tant au niveau texte que vocaux, même si la chanson s’offre le luxe d’un bel envol final).
Bien entendu, qatr reste dans un registre similaire aux albums précédents , les synthétiseurs « vintage », les beats électroniques et la basse menant alternativement la danse comme il se doit, mais on sent dès le titre d’introduction, le surprenant Périgord Noir, un souci mélodique qui va au-delà de l’envie de créer des hymnes faciles à brailler en chœur dans un pogo général. Bon, on dit ça, mais on s’imagine bien brailler en chœur, un grand sourire aux lèvres : « Tu as la flemme ! » (La flemme), mais quelque chose de mystérieux se dégage d’un Ma fumée monte au ciel, en dépit de son imagerie absurdement religieuse contrastant avec ses paroles grotesques. Déguisée en chien est une chronique décalée, à l’innocence charmante, d’une expérience sadomasochiste, dont on aimerait bien qu’elle dépasse le format de trois minutes. Plus surprenant encore, Actualisation voit les Clopes baisser le masque et chanter la chienne de vie ordinaire de beaucoup d’entre nous. Virginie tant pis distille (pour la première fois chez les Clopes ?) une tristesse sincère, comme s’il était temps d’arrêter de rire. Qatr témoigne donc que la multiplication des compositeurs et des interprètes induit, logiquement, une complexification bienvenue de la musique, avec des hauts et des bas (suivant les goûts de chacun), ce qui est une vraie bonne nouvelle…
Laissons le dernier mot à Kim : « C’est pour moi très émouvant qu’on ait construit ensemble un objet musical qu’on ne comprend pas nous-mêmes. »
Ça s’appelle la magie de la musique, ce qu’on n’attendait pas forcément de part des Clopes. On avait tort.