"Sur l'Adamant" de Nicolas Philibert : un Ours d'Or mille fois mérité !
Tout le monde se souvient encore de la réussite commerciale que fut en 2002 le fameux Etre et Avoir, film événement qui passionna les Français déjà désespérés par l'état de l'éducation nationale. La réapparition sous les feux du succès de Nicolas Philibert, pour ce Sur l'Adamant récompensé par l'Ours d'Or à Berlin - un fait relativement exceptionnel pour un documentaire - fait donc plaisir, et ce d'autant que ce nouveau film, consacré à un établissement de jour situé sur un bateau amarré sur les quais de Seine, traitant les personnes souffrant de problème psychiatriques, est d'un niveau notablement plus élevé.
Cinématographiquement rigoureux, Sur l'Adamant regarde avec attention et respect la parole d'êtres souffrants, et inclut également un certain nombre de scènes (remarquables) où l'on peut voir des exemples des activités qui leur sont offertes. Le film de Philibert est un documentaire exemplaire, refusant tout facilité : pas de voix off, pas d'explications inutiles, juste de beaux visages (des "gueules cassées", comme il est dit à un moment), jamais de chantage à l'émotion, même si celle-ci s'invite forcément, de temps à autre.
Les mots prononcés semblent de prime abord ordinaires, traduisant de manière pudique, souvent légère, un désarroi, une souffrance, un isolement qui ne surprennent évidemment pas. Mais peu à peu, on est happé par la véritable profondeur de certains propos, qui font naturellement écho à nos propres préoccupations, nos propres tourments.
Être fou, comme le disent ces malades qui sont conscients de leur état, et qui sont souvent lourdement médicamentés pour pouvoir fonctionner, ce n'est pas "être terroriste" (et les terroristes ne sont pas des fous, d'ailleurs) : c'est souvent être aussi touché par la grâce d'une hypersensibilité artistique qui, lorsqu'on lui donne la peine de s'exprimer, donne des résultats magnifiques.
Sur l'Adamant donne ainsi à voir des dessins et des tableaux impressionants, réalisés par les patients, et à entendre des musiques saisissantes (l'ouverture du film, sur une interprétation fabuleuse de la Bombe Humaine, qui ridiculise toutes celles de Téléphone, donne justement le ton...).
Finalement, ce qu'on retiendra peut-être vraiment de Sur l'Adamant, c'est la puissance de l'Art lorsqu'il s'agit d'exprimer l'inexprimable. Et le dénuement encore plus grand de ceux à qui on n'a pas donné les clés pour créer, comme cela semble être le cas de certains des patients que l'on voit, souvent les plus jeunes...
Un film exceptionnel, une expérience humaine rare, un Ours d'Or mille fois mérité.