"Fuse" par Everything But The Girl : à la recherche du temps perdu…
Fuse marque la réapparition inattendue de Everything But the Girl après un break de… 24 ans ! En 1999, le couple Tracey Thorn et Ben Watt jetait en effet l’éponge, alors que, grâce à des remix « dance » de certaines de leurs chansons, ils étaient devenus une sorte de référence quand il s’agissait de « danser intelligent ». La place était libre pour des gens comme The xx, qui allaient suivre, à leur manière, une voie assez similaire, intégrant une indie pop suave dans les sons électroniques de notre époque. Mais on se souvient aussi que les derniers textes de Everything But the Girl véhiculaient un pessimisme à fleur de peau, pas forcément commercial : entre la très grave maladie auto-immune dont souffrait Ben Watt et l’angoisse de ces deux artistes hypersensibles devant l’aliénation croissante induite par notre mode de vie de plus en plus artificiel, il était compréhensible que Tracey et Ben aient choisis de disparaître, de se consacrer à leur vie privée, intime.
Habillé dans une pochette « synthétique » et colorée, Fuse est donc le onzième album de EBTG, et ne créons pas un suspense malsain et inutile, il peut figurer d’ores et déjà – avant même que nous ayons laissé le confort des écoutes répétées faire son travail – parmi les réussites du groupe. Nothing Left To Lose, le premier titre, dansant (dub step ?), peut donner un instant l’impression que Tracey et Ben ont cédé aux sirènes de la superficialité, mais il suffit de prêter attention aux premières phrases pour comprendre que, non, rien n’a fondamentalement changé : « I need a thicker skin / This pain keeps getting in / Tell me what to do / ‘Cause I’ve always listened to you » (J’ai besoin d’avoir la peau plus épaisse / Cette douleur n’arrête pas de me pénétrer / Dis-moi quoi faire / Parce que je t’ai toujours écouté). L’angoisse, le désespoir, la douleur, et l’autre comme planche de salut…
Run the Red Light lance le thème majeur de l’album, les souvenirs d’une époque désormais perdue dans le passé, et à travers le portrait d’un rêveur dont les grandes ambitions (« It’s 2 AM, wе’re leaving loudly / Wake thе neighbours, we won’t come quietly / They’ll all know my name soon « – Il est 2h du matin, on sort en faisant un maximum de bruit / On réveille les voisins, on ne va pas se rendre tranquillement / Tout le monde connaîtra bientôt mon nom…) ne faisaient que dissimuler la vulnérabilité, c’est tout l’amour et la nostalgie de ceux dont nous avons croisé le chemin quand nous étions encore jeunes et plein d d’illusions qui éclot.
Ce que l’on comprend au fur et à mesure que les magnifiques chansons de Fuse défilent, c’est que la magie de l’album vient, d’une manière finalement assez inattendue, de la conjonction improbable de la chaleur et de la nostalgie qui se dégagent de la voix de Tracey – une voix qui a évidemment changé avec l’âge, mais qui n’a rien perdu de sa beauté – avec la modernité synthétique, et donc froide, de l’orchestration. On pourra tiquer sur l’utilisation de l’auto-tune sur When You Mess Up (mais mon dieu pourquoi déformer une voix comme celle de Tracey Horn ?), mais c’est là une réflexion de fan de la première heure, qui n’arrive pas à réellement admettre que le groupe ait survécu aux années, et surtout au silence, et reste toujours aussi pertinent… Et puisse peut-être même séduire une nouvelle génération avec des chansons qui parlent surtout du temps passé…
Noone Knows We’re Dancing est probablement le titre le plus accrocheur, le plus immédiatement charmeur de tout l’album. Cet hommage au club Lazy Dog (d’après Ben Watt) est porté par une mélodie magnifique, et la nostalgie que diffusent ses portraits instantanés d’une jeunesse disparue prend des couleurs sublimes par la magie d’une électronique divine, qui fait se rejoindre sonorités synth pop des eighties et électro contemporaine : « All the Croydon boys are over / All the girls and night-off waiters / Sweat falls off the ceiling / We’re all trapped in a feeling / No one knows we’re dancing » (Tous les garçons de Croydon se sont envolés / Toutes les filles et tous les serveurs de nuit aussi / La sueur dégouline du plafond / Nous sommes tous piégés dans cette impression / Personne ne sait que nous sommes en train de danser).
Mais plus le disque avance, plus la tristesse qu’il dégage est profonde. Lost, dont Tracey raconte que le texte fut à moitié inspiré de phrases repêchées sur Google et à moitié improvisé, est une chanson poignante sur la perte, et sur la possibilité de continuer quand même à vivre. Forever semble nous renvoyer encore au dance floor, mais il s’agit d’un leurre : plus question de s’amuser, juste d’affronter un avenir incertain, voire tragique : « No more games / Start thinking what you’d save from the flames / What you’ll desire / When everything’s on fire / And who’ll be around / When everything’s burned down? » (C’est fini de jouer / Il faut commencer à penser à ce que tu sauverais des flammes / Ce que tu désireras / Quand tout sera en feu / Et qui sera là / Quand tout sera brûlé ?).
Et la conclusion, lente et comme engourdie, de l’album, Karaoke, qui voit Ben Watt se souvenir d’une soirée dans un karaoké californien, apporte (enfin ?) l’une des meilleures explications possibles à ce qui motive le duo d’EBTG après tout ce temps : « Do you sing to heal the broken hearted? / Oh, you know I do / Or do you sing to get the party started? / And you know I love that too… » (Est-ce que tu chantes pour réparer les cœurs brisés ? / Oh, tu sais que je le fais / Ou est-ce que tu chantes pour que la fête commence ? / Et tu sais que j’aime ça aussi).
Tout est dit.